Samedi matin, j'avais rendez-vous à la maternelle où j'officie le jeudi.
Les enseignants étaient conviés à une "animation pédagogique". C'est une séance sans élèves, consacrée à notre formation à nous. Nous en avons plusieurs au fil de l'année, certains samedis et mercredis. C'est obligatoire et on ne choisit pas forcément les thèmes mais chut, il faut humeur clémente garder. En tant que quatre quarts de temps, je suis censée être dispensée des samedis mais re-chut, faisons risette. Mon inspectrice est une vraie mère pour moi : elle a décidé des thèmes et des jours à ma place. Sourions de plus belle.
En ce doux samedi matin de novembre, je m'extirpai de ma double couette (oui car les radiateurs,
vous vous souvenez, eh bien ça n'est pas gagné) pour m'y rendre. Je ne vous épargnerai pas même l'intitulé de cette animation : "harmonisation des outils de l'école pour travailler la structuration du temps en cycle 1". J'allais gambadant, vers cette promesse d'harmonie avec les collègues du jeudi.
Ce qui devint subtil, c'est qu'il s'agissait d'une animation sans animateur. Nous nous autoanimâmes. Quelle différence entre une animation sans formateur et une réunion d'équipe, me direz-vous ? Ne faites pas de mauvais esprit. La formation sans formateur, c'est comme les écoles sans profs, c'est l'a-ve-nir. Depuis le temps qu'on vous le dit.
Trois heures assis dans une salle sans chauffage, à nous rafraîchir les neurones et le reste. Nulle hôtesse pour nous signifier à quel moment nous étions en zone de concertation ou si nous naviguions bien en terrain d'autoformation. Nous parlâmes clepsydres, sabliers, minuteurs, réveils, cherchant tous instruments accessibles à des mômes de 3 à 5 ans. Les fumeurs frustrés jouaient avec leur stylo. Le café se déversait dans les tasses en doses généreuses. J'avançai l'idée d'une pendule que j'avais fabriquée à (feu) l'IUFM . L'idée d'en doter chaque classe fut retenue. Hop, harmonisation des pendules enclenchée.
Nous dérivâmes en parlant des élèves pour qui le soutien scolaire constituait un traumatisme sans nom. Nous décidâmes d'arrêter de prendre ceux qui pleuraient systématiquement, en avançant l'idée que le soutien scolaire si cher au
ministre n'a pas vocation à torturer l'enfant qui voit partir ses copains en récré. Je croisai les glaces à l'eau qui me servaient de guiboles. Gel ? Oui ! Gel du soutien, mesure préconisée suite au mouvement de grève. Nous nous tâtâmes.
Deuxième grève jeudi prochain, cas de conscience. Mon pied battait le rythme d'un cha cha imaginaire. Certains tremblaient pour leur salaire, d'autres de froid, l'une mariait sa fille, d'aucuns ne pouvaient pas ; je pensai à mes élèves du jeudi qui devaient commencer à oublier mon existence, les grèves tombant toujours ce jour-là... Gel des décisions.
Mes collègues remplirent ensuite leur tableau de comptes à rendre, autre nouveauté de l'année. Il s'agit d'écrire la moindre minute passée avec les parents, en réunion, en soutien etc. afin de prouver que nous faisons toutes les heures dues hors classe. Je ne le fis pas. Je suggérai de marquer dans ce tableau le temps passé à le remplir.
Enfin, l'heure du dégel. A moi l'opportunité de décaniller vite et loin !
Je pris le chemin du retour, toute formée que j'étais, en broyant la couleur du breuvage ingurgité trois heures durant. De la même teinte furent les regards que je décochais à quelques malheureux reluquant des bouts de genoux sous ma jupe. "Allez vous autoformer plus loin !", beuglais-je intérieurement. "Coucou, qui est là !" claironnait Eole niché dans mes jupons au sortir de la bouche de métro. Il prenait ma jupe pour sa bougie d'anniversaire. "Couché !" lui ordonnai-je en zigzaguant jusqu'à la rue Bichat.
En lieu plus abrité, j'
admirai l'œuvre de Vellefaux que je longe lorsque je reviens du métro. La partie ancienne de l'hôpital Saint-Louis me laisse à chaque fois béate. Je décidai de m'autoformer sur le mystérieux architecte :
Claude Vellefaux, major de sa promotion, reçut son diplôme de l'école royale d'architecture en mille cinq-ou-six cent et des brouettes, puis fut introduit à la cour du roi qui, époustouflé par ses plans, lui confia l'imposant chantier de l'hôpital Saint-Louis. Moui. Si ça se trouve, me dis-je devant les pierres rougeaudes, ce que j'admire aujourd'hui est ce qui se faisait de pire à l'époque. D'autres projets, tous plus
grandioses les uns que les autres, ont fini au poêle. Trop chers pour les malades. Autocorrection :
Claude Vellefaux, architecte au rabais, fut pistonné auprès de Henri IV. Étant, comme tous les monarques, près de ses sous, ce dernier lui ordonna de réaliser une bâtisse sans fioriture :
- "Je n'ai pas un radis. Ma femme compte dilapider l'or de la couronne pour commander notre album de famille à Rubens en 24 tableaux, rien que ça ! Il devient urgent d'ouvrir un nouvel hôpital loin d'ici pour y entasser les gueux contagieux. Je veux un grand machin tout simple.- C'est un honneur Sire, mais que faire sans idée ni moyens ?!- On a commandé trop de pierres pour le chantier de la place des Vosges. Tu n'as qu'à les prendre et faire construire des murs avec, cela fera l'affaire.- Bien, votre Altesse".Mon moral volait plus bas que la facétieuse bise. Je me repris.
Le petit Claude, futur marquis des Anges, fut repéré lors d'un déplacement du roi dans nos campagnes. Alors qu'il traçait au sol les plans de la pyramide du Louvre avec un bâton, Henri IV lui ordonna de monter dans son carrosse et le ramena à Paris où il le nomma architecte du roi. Claude, dont la mère était souffrante, put désormais envoyer à sa famille de quoi acheter nourriture et soins appropriés. Il persuada Henri IV que les malades avaient besoin d'un dispensaire digne de ce nom avec force moyens et qu'une telle entreprise serait tout à la gloire du roi. Ce dernier en fut séduit et mit à la disposition du petit Claude l'argent nécessaire à la construction du plus grand hôpital jamais édifié au service des déshérités. Je gratifiai cette dernière version de la note maximale et terminai mon trajet avec la fierté que requiert une telle réussite. C'est drôlement chouette, l'autoformation.