jeudi 30 juillet 2009

Vivons stressés en attendant la mort

Magritte, La clef des songes, 1930

J'en avais déjà causé à mon psy : je déteste ça. Au détour d'une conversation, je tombe de la toute dernière pluie grâce à des gens qui découvrent en moi un public privilégié pour leur prose de sachants. Non, pas les savants, au contraire : les sachants sont ceux qui entreprennent de vous apprendre uniquement ce que vous savez. Ils m'énervent. Tenez, un exemple dans le dialogue tout bête que voici, avec mon petit ami d'il y a quelques années :

(lui) - "(...) C'était une maison avec un grand toit - tu sais, le truc qui couvre les maisons au-dessus des murs - vraiment bien située et...
(moi) - C'est quoi une maison ?
(lui) - Hein ?
(moi, doigt pointé vers lui) - Ne fais pas l'innocent ! Tu viens de m'expliquer ce qu'était un toit ! "

Je fis la tête jusqu'à ce qu'il trouve une raison valable pour expliquer ce qui pouvait lui faire penser qu'à 30 ans j'ignorais tout du mot "toit".

C'est même pas pour ça que depuis je l'ai quitté.

Ces temps-ci, mon état de sachantophobe s'aggrave. Les objets s'y mettent. Oui je sais, j'avais déjà hurlé ici à quel point un emballage explicitant, schéma à l'appui, comment découper un pain au lait en deux m'avait un jour laissée perplexe. Je l'avoue : la vue d'un dessin représentant un pain au lait avec deux flèches, montrant les directions contradictoires des forces qu'il s'agit d'opérer sur ladite viennoiserie afin de la scinder en deux parties tartinables, m'angoisse.

C'est même pas pour ça que depuis je mange des céréales.

Remarquez, quand je lis sur leur emballage "Chez Machin, nous pensons que nous devons à la nature autant que nous lui prenons", mon esprit divague vers de drôles de scénarios où, après avoir ingurgité mon bol de céréales complètes "avec de vraies fraises" même pas en plastique (oui, c'est écrit en gros), je pars me flinguer au milieu d'un champ de blé afin de faire don de mon cadavre à la nature grouillante et lui exprimer ainsi une gratitude équitable.

C'est même pas pour ça qu'hier j'ai pris le métro.

Horreur : après avoir été accueillie au son de l'inénarrable slogan "Attentifs ensemble : attention, votre voisin est peut-être en train de vous piquer votre téléphone portable. Be carefull please, your neighbourg may be your ennemy. Achtung, etc.", je fus agressée par un sticker posé sur la vitre de mon wagon.
Le serinage auditif sur la dangerosité des lieux, ça a encore un côté jeu télé : lors des diffusions, on s'observe tous durant deux secondes avant de baisser les yeux, limite déçus de pas avoir trouvé où se cache Charlie le pickpocket. Mais le conseil imprimé en rose et blanc sur un autocollant en forme de bulle de bande dessinée pour signifier que oui, on est en train de nous causer, pitié ! Voici la réflexion philosophique que je pus y lire : "Préparer ma sortie facilite ma descente".

Au début j'ai pensé à Nicolas qui doit certainement préparer ses sorties à la comète. On dit que boire une cuillérée d'huile d'olive est utile quand on compte avoir une bonne descente. Et puis j'ai contextualisé. Ca ne pouvait pas s'adresser à Nicolas : il ne prend jamais la ligne 8.
Donc, si je comprends bien l'injonction niaiseuse, il s'agit de penser à se lever quelques secondes avant que la porte s'ouvre, mais surtout avant que celle-ci ferme, afin que ma sortie se déroule avec succès. Heureusement que la RATP a prévu un sticker rose parce qu'avant, je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais jamais à descendre à la bonne station en restant assise jusqu'à la suivante.

Non mais dites-moi que ce n'est pas vrai.

C'est quoi l'histoire ? La ratp a eu trop de plaintes d'usagers restés coincés dans leur strapontin faute d'avoir préparé leur sortie ? Ou s'agit-il de nous avertir que si nous nous y prenons trop tard, nous augmentons le risque que les passagers organisent une sombre vengeance en formant une masse infranchissable pour nous retenir prisonnier, puis en scandant, yeux exorbités et bras en avant, "t'avais qu'à préparer ta sortie !"?

C'est peut-être pour ça que depuis je suis de mauvaise humeur.

mercredi 22 juillet 2009

Billet sans fatigue

Velasquez, l'Immaculée conception, 1618

Un billet sous forme de poème ou de roman d'amour sans effort, ça vous tente ? Essayez le générateur de mots d'amour ! Il vous suffira de répondre à quelques questions simples. Le site vous concoctera ensuite un texte personnalisé en quelques minutes. Ceux qui croulent sous les commandes de pages pourraient peut-être se délester ainsi de quelques lignes ? Ceux qui gèrent une vingtaine de blogs auraient également l'occasion de produire un billet sans trop se fatiguer pour une fois. Les nombreux amoureux blogueurs de ma connaissance verraient leur moitié rougir de plaisir en recevant leur déclaration passionnée, rédigée à peu de frais. Si vous êtes blogueur politique, il faudra simplement prendre soin d'injecter le bon vocable afin de déclarer votre flamme à votre parti ou à une mesure dont vous êtes éperdumment épris (les 32 heures, la renationalisation d'EDF...).


A présent, voici le roman instantané, créé en trois minutes, que je dédie à S., mon preux chevalier anticapitaliste :


Les Noces De Pixel

par Marie-Georges Profonde


Les cheminées fumantes enveloppaient Paris d'une brume artificielle, et firent tousser S.. Celui-ci sourit, sans trop savoir pourquoi, à une vieille dame qu'il croisait. Il traversa le zoo, et bizarrement sourit au lion qui le regardait d'un oeil morne. Plus vite qu'il ne l'aurait pensé, il se retrouva devant la porte.

Sans attendre, il sonna. Quelques secondes s'écoulèrent. Les tempes de S. battaient. Comme personne n'ouvrait, il sonna une nouvelle fois. Mais rien ne se passa. Il frappa, sonna, frappa, sonna encore et encore... puis il décida d'attendre.
Il attendit une heure. Puis deux. Au bout de trois heures, désespéré, il se leva, et après avoir sonné une dernière fois, tourna les talons et s'en alla. Mais à peine fut-il en route qu'un bruit de verrou attira son attention. Il fit volte-face, et aperçut Marie-Georges sur le pas de la porte.
- Je... excuse-moi, dit-elle. Je suis désolée, je... je...
- Tu es si myope, la coupa S..
- Entre, ajouta Marie-Georges.
S. la suivit jusqu'au salon.
- Assieds-toi, fit Marie-Georges.
Il se laissa tomber dans un fauteuil et poussa un soupir d'aise. Un silence s'ensuivit. Puis Marie-Georges, qui le regardait, lança doucement:
- Alors? Tu ne m'embrasses pas?
S. sourit.
- Je fais durer le plaisir, dit-il.
Puis il ajouta:
- Approche...
Marie-Georges s'exécuta, et S. posa sur sa bouche un baiser silencieux. Puis un autre. Encore un.
- Je...
Mais elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, ni même de la commencer, puisque S. la gratifia cette fois d'un long et tendre baiser. Quand cela fut terminé, Marie-Georges sourit.
- C'est toi qui embrasses le mieux de tous mes amants, dit-elle.
- Petite dévergondée, rit S..
Une fois de plus, S. prononça les trois mots magiques.
- Je t'aime.
Mais cette fois-ci, cela sonnait autrement. C'était plus beau. C'était plus fort.
- Cela fait déjà deux mois... deux mois que nous nous sommes vus... deux mois que la foudre m'a frappé... et tu es la seule personne que j'aie jamais aimée.
- Oh... c'est bien vrai?
- Oui, c'est vrai.
- Mon coeur... ce que tu me dis, c'est la chose la plus belle que jamais je n'ai entendue. Tu es aussi anticapitaliste à l'intérieur qu'à l'extérieur.
S. rougit. Il se sentait bien. Au loin, un pachyderme criait. Tout près, son coeur battait. Là-bas le jour passait... ici, tout était arrêté.
- Ma puce... Marie-Georges...
Mais il ne put continuer. Une fois de plus, leurs lèvres se rejoignirent. Ils déliraient presque tant la fièvre les gagnait... ils étaient en haut d'un arbre généalogique, en train de escalader à l'air libre. Près d'eux, Eugène Pottier chantait ''L'internationale'' en les regardant. Comme frappé d'un coup de foudre, S. fasciné eut à peine le temps d'apercevoir, dans un éclair, comme dans une toile de Nicolas Poussin, Marie-Georges réincarnée en sirène... Ecume bouclée, vagues ébouriffées, ciel baigné de nuages qui font cligner la lune, commissures nacrées de lèvres de coquillages, le sourire émaillé de corail blanc, la voix lactée et les seins nus étoilés de mer... tout disparut lorsque S. rouvrit les yeux.
- Marie-Georges...
- Oui?...
- Marie-Georges... veux-tu m'épouser?...
- Oui... fit-elle doucement.
Toute la nuit, ils restèrent enlacés, à parler, ou à s'embrasser.
- Je t'ai déjà parlé de Antoine? Demanda S..
- Non.
- Il m'a dit un jour que je ne pourrais jamais séduire qui que ce soit, même une folle.
- Il ne faut pas écouter ce genre d'idioties... comment pouvait-il te dire ça, à toi, qui es si... intelligent!
- Tu ne le connais pas. Sa bêtise dépasse l'entendement.
- Je veux bien te croire!

Puis ils se promirent de s'aimer éternellement, et l'éternité commença pour eux.