lundi 22 décembre 2008

Premières heures

Courbet, Après-dîner à Ornans, 1849

Hier matin, je pris un train désert.

Telle une rescapée de fin du monde, je déambulais pour choisir ma place parmi des rangées de sièges vides. Je me collai à une fenêtre. La perspective d'étendre mes jambes à l'infini et de ne rien faire d'autre que défiler dans le paysage en croyant dur comme fer à l'inverse me réjouissait. A moi vaches volantes, arbres fonceurs et maisons météores. Ce serait comme fouiller dans un coffre à Playmobils et en jeter de partout.

Le départ était prévu pour 8h01. Le train partit à 8h01.

Je regardai au dehors. Rien. La nuit avait tout empaqueté. "C'est nul ce noir, il est plus de huit heures, ça suffit !" maugréai-je. Je scrutais aux gares le nom des villes traversées. Je me dis que je ne pourrais jamais vivre à Villeneuve Saint-Georges, trop nocturne à mon goût.

Puis un bout de mon cerveau sortit de sa léthargie matinale. La notion de solstice d'hiver m'apparut et tout s'éclaira. J'eus des remords d'avoir grogné. S'il y a une date dans l'année où la nuit peut légitimement faire la grasse matinée, c'est bien celle-là. Je promis d'être compréhensive et lui murmurai de rester. Elle se leva.

Je vis des lopins de terre galoper et des présences humaines surgir entre deux bois. J'inventais des rencontres. Un druide errant dans le Gâtinais trouverait ce gisement de gui juché sur un bosquet perdu. Les chasseurs de la clairière, bredouilles, iraient tuer la vache broutant vingt kilomètres plus loin. Sauve-toi Marguerite !

L'intérieur du train me détourna de mes scénarios champêtres. Une jeune femme avança jusqu'à moi. Elle retira ses longues bottes, découvrant des chaussettes de tennis qui juraient avec sa tenue sophistiquée. Mes yeux en restèrent fascinés. Elle s'allongea sur une rangée de trois sièges, la tête sous son manteau et les pieds dans le vide. Attirés par cette quiétude, deux germanophones s'installèrent derrière elle de la même façon. Bien qu'étendus mollement, ils se mirent à palabrer sur un ton guilleret. La femme aux chaussettes blanches se redressa d'un coup en gémissant. Elle scruta l'origine du bruit entre deux sièges et retomba comme une morte. Puis elle se redressa encore, me demanda l'heure et se rechaussa. Le train arrivait en gare de Nevers.

Je trépigne toujours après Nevers. Je sais que trente minutes me séparent de mon père. Alors je piaffe sous un air qui peine à demeurer impassible. Je découpe la demie heure dans ma tête, je fais semblant de ne plus y penser. Je vois Moulins sur les panneaux routiers et mes jambes entament la gigue de l'imminence.

Un coup de frein, deux marches, une voix. "Vous êtes arrivés à Moulins sur Allier." Mes pieds embrassèrent goulûment le sol. Je dévalai et ravalai l'étage du passage souterrain.

Mon père était là qui faisait, comme à son habitude, les cent pas dans le hall.

Une fois installés dans sa voiture, je pris les nouvelles animalières.
-" Combien de chats en ce moment ?
- Dix.
- Mais ils se multiplient tous les mois ! Ils devraient se disputer des territoires ou se faire bêtement écraser de temps en temps...
- Ils s'entendent bien.
- Ce n'est pas normal."

Mon père n'a jamais pris de chat mais il en a dix. Il a toujours eu le don de transformer n'importe quelle bête sauvage en peluche fidèle et ronronnante. Il pavoise le terrain de gamelles et mangeoires et le jardin finit par ressembler à une scène de Disney. Une rangée de moineaux picore sur la table sous l'œil bienveillant d'une meute de chats digérant leur pâtée. On se croirait dans un dépliant pour témoins de Jéhovah. Je suis sûre que même les araignées de la maison viennent se frotter affectueusement aux chevilles de mon père.

Nous arrivâmes dans l'enchanté lieu-dit. Je fus accueillie par des myriades d'yeux enrobés de fourrure. J'avançai avec mon sac lourd de livres et de bouteilles. Des boules rousses et noires sautaient dans les fourrés. Je me sentais comme Moïse traversant une mer de poils. Mon père referma la porte au nez et à la barbe des félidés.
Nous nous mîmes bientôt à table. La fenêtre de la cuisine comptait cinq museaux écrasés qui suivaient les gestes de mon père en laissant des traces horizontales sur la vitre.

mercredi 17 décembre 2008

Une jolie femme déguisée en fleur

Ingres, madame Moitessier, 1856

Depuis quelques jours, c'est idiot mais je brûle d'écrire ceci.

Violette est une blogueuse. Pas n'importe laquelle : c'est la numéro 1 des chroniqueuses dans le fameux classement Elle. On pense ce qu'on veut de son blog : du bien, du mal, on le lit ou pas. Violette est un personnage créé par une femme normale et probablement quelqu'un de bien.

Cela vous en touche peut-être une sans bouger l'autre. Pas moi.

J'écrivais, il y a date, ma non rencontre avec cette personne au cours de la soirée Elle. Je la décrivis en des termes peu élogieux.

Ce soir-là, je pampillais à la remise des prix du classement, avec mes a priori en bandoulière (impossible de les laisser en bas : le vestiaire était fermé). Je fus en désaccord avec son discours, comme ça peut arriver. Je l'ai croisée, nous avons raté l'occasion de nous saluer pour des raisons qui nous échappent encore. Du monde, du bruit, une fille à qui je suis présentée et qui ne me salue pas. Je rentre ensuite raconter tout ça à mon blog.

Quiconque me connaît sait très bien comment je vais tourner les choses. Tu ne m'as pas dit bonjour ? Tu m'en veux ! Oui. Sauf que non.

Il peut arriver en soirée, immergée dans une nuée de causants, que vous n'ayez pas entendu ni distingué une inconnue vous faisant un vague coucou. Ladite inconnue peut ensuite rentrer chez elle en (se) racontant que l'effrontée a cherché à lui infliger le camouflet de sa vie, mue sans doute par un réflexe sadique tout à fait atavique et/ou un complexe de supériorité avéré.

J'ai une amie très proche qui me lit. Elle me connaît par cœur. Si je lui raconte ça au téléphone, elle me dira avec raison : "elle ne t'a peut-être pas vue ?". Mais mon amie constate ceci : lorsqu'elle me lit, elle n'a pas cette distance. Elle sirote ma prose sans voir ce qu'elle décèle aisément dans nos conversations informelles (à savoir : mon prisme paranoïde). J'arrive donc ici sans peine à faire passer des vessies pour des lanternes. Après tout, je prends bien mon nombril pour un encrier.

Ce qui pouvait arriver arriva : Violette m'écrivit en toute bonne foi pour m'expliquer qu'elle ne s'en souvenait pas mais moi, j'avais déjà pondu un billet sur - entre autres choses - "comment qu'elle se la pète celle-là". Je sais que son image dans mon blog, elle s'en tamponne sévère et elle a bien raison. En outre elle ne me demanda rien. Elle voulait juste me dire "hé, désolée, je t'ai pas vue ce soir-là".

C'est là que je suis embêtée. Je me retrouve dans cette position étrange : je ne regrette pas ce que j'ai écrit car je l'ai vécu comme ça. Mon compte rendu me semble fidèle à mes impressions, c'est pourquoi je ne veux point le modifier. Mais je culpabilise de dépeindre ainsi cette personne, en la faisant passer pour ce qu'elle n'est pas.

Gardez à l'esprit, quand vous parcourez mes billets d'un œil distrait, que vous avez affaire à une blogueuse qui, par une belle nuit de printemps, s'identifia à l'héroïne du livre de Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. Cette nuit-là, elle n'en dormit pas. Elle téléphona à un ami insomniaque qui voulut bien vérifier avec elle la pertinence de ce rapprochement, point par point.

J'ai consulté, vous pensez. Le diagnostic est tombé : ce n'était qu'une névrose de rien du tout (et une drôle de lecture). Ensuite j'ai ouvert un blog. J'ai arrêté le psy quand je me suis rendue compte que je venais lui raconter mes billets.

En ce sens, vous naviguez sur un blog thérapeutique. Mes récits ont pris le relais de ces causeries sur fauteuil. Je publie généralement deux fois par semaine, au rythme donc de ces séances de naguère. Lorsque j'écris, j'essaie d'être au plus près de ce que je pense et ressens, ce qui a parfois pour conséquence d'éloigner fortement mes dires de la réalité toute crue (vous savez, celle qui gigote hors des regards). Mais trève de tout cela. Réjouissances en vue : je dois filer poster une boîte vide, acheter 16 verrines et surtout fêter le retour de Nefisa en pays pâtissier.

samedi 13 décembre 2008

La chaîne des sachants sachant sécher

Masaccio, Adam et Eve chassés du paradis, 1427

Me voilà taguée par le prof des collines qui me confie l'heureuse mission d'exhiber ci-dessous mon inculture. Moi, une maîtresse d'école respectable. Allons.
Le félon a pourtant souffert d'avoir dû écorner son image de sachant prodigue sous l'injonction de deux blogueurs influents. Et on ose encore prétendre que les enseignants sont solidaires entre eux. Je ne te dis pas bravo, Mathieu, je ne te fais pas la ola...

Ce tag s'appelle, mesdames messieurs, la chaîne de l'inculture (quelle idée, il y en a déjà plein la télé).

A présent, voici les domaines me sommant de me vautrer complaisamment dans ma propre ignorance crasse avant d'en ébrouer le trop-plein sur cette page : cinéma (mais pas films, notez), livres (mais pas lectures, notez), géographie, mathématiques, nourriture et boissons.
Je suis soulagée parce qu'en philosophie, économie, anthropologie, géopolitique et tuning, je n'avais aucune lacune à déplorer.

D'aucuns s'esclaffent lorsqu'ils lisent "je suis fan de Jean-Sébastien Bach". Personnellement, j'ai toujours rêvé de prononcer ce genre de phrase : " je suis cultivée en nourriture." Je remercie le présent tag de m'avoir donné l'occasion de le faire.

cinéma
Je n'y vais presque jamais car je n'aime que les films où le son ne colle pas avec l'image, les productions du sud de l'Ouzbékistan et les dessins animés de Miyazaki. J'aimerais me réjouir de la sortie d'un bon vieux blockbuster qui déplace les foules, mais rien à faire, je déteste. Je ne sais pas d'où me vient ce snobisme.

Mes parents ne m'ont jamais emmenée au cinéma. Ma mère affectionnait les films d'action avec du pectoral saillant sous T-shirt lacéré ainsi que les films d'horreur, qu'elle louait chaque mercredi après-midi. Moi les mercredis, j'en avais marre de manger de la guimauve en voyant une substance similaire couler du cerveau de ses héros.

J'ai dû aller au cinéma pour la première fois à 14 ans. Je croyais que je détestais ça, parce que mes copains de collège m'avait emmenée voir :

- Einstein junior, l'histoire d'un savant qui découvre comment mettre des bulles dans la bière (du temps où la bière n'en avait pas) en scindant un atome avec une hache ;
- un film de lunettes avec Tony Danza. Sa fille, moche à lunettes, devient belle sans lunettes et trouve l'amour parce qu'elle a eu la bonne idée d'enlever ses lunettes : un type beau sans lunettes, qui la rejetait quand elle portait des lunettes ;
- 58 minutes pour vivre avec Bruce Willis, le type quelconque que tout le monde trouvait beau, peut-être parce qu'il n'avait pas de lunettes. Il courait partout avec du charbon plein les joues.

Plus tard, j'ai fait des études artistiques incluant des cours de cinéma. J'ai vu qu'il existait des films sans explosion de crâne dedans. Bresson, Duras et Godard ont réussi le tour de force de me ventouser à l'écran, moi qui clamais volontiers que je n'aimais pas ça. L'université a donc révélé une part snob-élitiste cachée au fond de mon moi-plouc.

Aujourd'hui, je ne vais pas au cinéma car je me dis "celui-là, autant le voir à la télé", avant de me rappeler que je n'ai pas de télé.

livres
Moi, inculte en livres, vous voulez rire ? Un livre se compose de pages et d'une couverture. Et toc. Allez, pour vous prouver que je peux vraiment être ridicule dans ce domaine, ce souvenir de mes 15 ans :

Moi : Vous étudiez quoi en français en ce moment ?
Ma copine qui a changé de classe : Mauriac.
Moi : Ah ? C'est de qui ?

géographie
Précision tout à fait dépourvue d'intérêt : je suis cartographimaniaque. Je collectionne planisphères et cartes en tout genre. Bon. Mais à chaque fois que je scrute ces petites merveilles, je m'étonne que Brazzaville ne soit pas au Brésil. Ça devrait.

Vous commencez à cerner mon problème ? Pour moi les cartes se lisent comme des romans, les films sont meilleurs avec des images fixes, les pages d'un livre devraient être reliées dans le désordre vu que je les parcours comme on regarde un planisphère, etc.

mathématiques
J'aimais bien les maths au lycée. En classe de seconde artistique, je ricanais à la vue des fronts suants de mes camarades devant la moindre équation à une inconnue.

Je suis passée en première scientifique. J'ai détesté. Mon inculture croît donc de façon exponentielle à partir de ce niveau.

Je suis revenue en filière artistique. J'éprouvai tout à coup une grande admiration envers ceux dont je me gaussais naguère. Je réalisai qu'ils demandaient des explications parce que, même pour compter, ils ne s'en laissaient pas conter, là où le prof de maths ne pouvait que seriner "c'est comme ça et puis c'est tout".

nourriture
Rien ne me dégoûte : j'ai été une végétarienne qui aime la panse de brebis farcie, la cervelle d'agneau, la langue de boeuf, les tripes à l'eau (potage coréen des lendemains de biture)...
Je me souviendrai toute ma vie de "la soupe aux crevettes bourrées" ("drunk shrimp" au menu) dégustée à Singapour. On arrose les crevettes vivantes avec du vin blanc. Elles sautillent alors dans le bocal (mettre un couvercle). Quand elles commencent à cuver, on les plonge dans la soupe bouillante.
A part ça, mon inculture est trop béante pour arriver à la cerner (au fait ! On fait comment pour savoir ce qu'on ne sait pas ?)... Je cuisine un peu, mais pas très bien. Ça vous va comme ça ? Ou vous voulez la liste de tous les pays dont je ne connais pas la gastronomie ?

boissons
Arrêtez, je suis incollable en tisanes. J'aurais pu être herboriste, tellement que j'en connais les vertus. Je sais par exemple que la tisane "nuit tranquille" aide à dormir, que la tisane "digestion facile" aide à digérer et que la tisane "minceur" est infecte.
Inculte : petite, je n'ai jamais bu de Tang. A la télé, ça chantonnait "Tang, aussi bon goût que le fruit". De la poudre qui imite le fruit, ça devait être vachement bon. La publicité me faisait assez envie pour que je me tortille au bout du chariot lorsque mes parents passaient à toute berzingue devant le rayon boissons lyophilisées. Mon père m'a toujours dit non (il était chimiste).

Cette chaîne, même si elle vous les brise, ne doit pas l'être. Sinon c'est plus une chaîne. Et je refuse l'idée d'avoir écrit tout ça pour m'apercevoir que j'ai participé à une vulgaire gourmette.

C'est lamentable mais on continue : merci d'avance à Balmeyer, Cochon, Maximus Bob2Bob, Audine et Britbrit.

mercredi 10 décembre 2008

Une soirée parmi les blogueuses d'en haut

Rembrandt, L'ascension, 1636

Lundi soir, j'étais, comme claironné précédemment, invitée à la remise des prix du classement Elle des blogs féminins les plus influents.
C'était écrit comme ça sur l'invitation. "Laissez-moi passer, vous ne savez pas qui je suis !" me retins-je de beugler derrière un couple lambinant à la sortie du métro.

Les gardiens de l'entrée scrutaient ledit papier avant de nous diriger vers le vestiaire où des dames aux mains pleines de cintres collectaient ces invitations (mais pas les manteaux).
Ensuite il s'agissait de se diriger vers un monsieur posté devant l'ascenseur et de lui demander si c'était bien par là, la soirée Elle. Il fallait effectivement cheminer verticalement.

Une monstrueuse baie vitrée dévoilait un panorama parisien avec sa triomphante tour injectée de veines bleuâtres, à deux pas de là. Je commençais à me demander si c'était le bâtiment dans lequel je me trouvais qui était dans Paris ou l'inverse. Bref, ça n'allait pas fort. La capsule ascensionnelle ne me disait rien qui vaille :

"- Vous avez des escaliers ?
- Oui mais c'est haut.
- Bon mais je veux bien les emprunter quand même.
- En fait les escaliers ne vont pas jusque là."
Fichtre, pensai-je, si même les escaliers n'y vont pas...

Influente ou pas, il était hors de question que je me retrouve gigotant dans le vide, à un étage que même les escaliers rechignaient à atteindre. Je tournai les talons en pestant intérieurement contre les architectes tarés.

Sitôt les fesses posées sur une banquette en cuir, quatre hommes en costume surgirent hors de la nuit. Je venais visiblement de m'asseoir sur un interrupteur à vigiles. Je leur expliquai. Bienveillants, ils tentèrent de me rassurer en m'expliquant que le huitième étage était en fait le quatrième. J'acquiesçais tout en cassant un comprimé "nerfs tranquilles" entre mes canines.

Je retournai à l'ascenseur observer les vagues de blogueuses s'y engouffrant. Des grappes de jeunes femmes souriantes se faisaient avaler de leur plein gré. Puis, à force, plus personne. La soirée perchée devait battre son plein tandis que, bras ballants en bas, le ridicule ne me tuait pas.

Le planton empli de pitié se proposa de m'accompagner. J'acceptai mais mes jambes regimbèrent. Finalement, une blogueuse retardataire coiffée d'un bonnet rouge à grandes oreilles se pointa et, telle une vachette fascinée, je décidai d'embarquer avec elle.

En arrivant, je fus rassurée de voir que nous n'avions pas à nous tenir en équilibre sur une corniche surplombant le champ de Mars. Madame Elle s'exprimait au micro dans une drôle de pièce en forme de couloir à double niveau. Puis vint le tour de paroles de monsieur Wikio, puis celui de Cathy Nivez. Ne me demandez pas de vous restituer le contenu des discours, je n'en ai aucun souvenir. J'étais trop occupée à chercher tout un tas d'évidences sur les visages de l'assistance.

J'entendis monsieur Wikio parler de la remarque d'Olympe au sujet de l'absence des femmes dans le classement Wikio et à mon grand désespoir, il ne la présenta pas. Pas moyen de savoir où elle se cachait, ni qui était qui. J'étais bien avancée.

Je feuilletai un magazine Elle posé devant moi et y reconnut en photo mon accompagnatrice à bonnet rouge. Je réalisai que j'avais pris l'ascenseur en tête à tête avec la numéro un du sexe et n'avais rien trouvé de mieux à faire que de lui conter mes aventures de Barbie agoraphobe.

Accoudée au balcon, j'observai les crânes des lauréates de chaque catégorie - catégories dont je ricanais volontiers naguère - et mes a priori en furent chamboulés : la dame numéro un de la mode avait l'air d'une fille normale. J'éprouvai presque une légère admiration devant la lauréate de la catégorie beauté, une jeune femme de 20 ans qui, paraît-il, fabrique elle-même ses crèmes et file ses recettes dans son blog. Pas con, me dis-je.

Vint le tour de la tête d'affiche de ma catégorie : les chroniqueuses. Celles qui sont censées avoir un cerveau, pensai-je en me redressant fièrement. A l'écoute du discours de la gagnante, je constatai, dépitée, qu'il n'en était rien. Enfin, j'exagère un peu. Disons que l'hémisphère de la superficialité crasse tenait le haut de son pavé cérébral.
La voilà ânonnant que les blogs n'étaient pas faits pour dire des trucs sérieux et que pour dire des trucs sérieux y'avait le papier. J'imagine que pour les lois d'airain, y'a l'airain, etc. Je n'ai pas la même idée qu'elle des blogs mais c'est normal : j'affectionne avant tout les blogs politiques et littéraires, avec de vrais morceaux de gens dedans.

Catégorie maman/bébé, ah bin ça alors, encore une fille normale qui dit des trucs intelligents.
Catégorie sexe/love, la fille de l'ascenseur, wouah ! m'exclamai-je bêtement.

Toutes posèrent pour la postérité mensuelle, un bouquet de mariée à la main.

Puis ce fut la ronde des petits fours. J'entamai la conversation avec ma voisine, une fois le caméraman qui faisait des mises au point sur ma joue gauche décanillé. On se serait cru dans une réunion d'agents secrets :

- "bonjour, moi c'est Bouche de là, et toi ?
- Enchantée, je suis Maman écolo.
- Oh ! Alors tu as un blog politique !" manoeuvrai-je habilement, pour détourner son attention de mon ignorance béante en matière de layette.

Elle m'expliqua qu'elle avait suivi des études politiques et avait un passé de militante. Nous causâmes de cela, de mon métier, de son entreprise et de l'école Montessori où elle venait d'inscrire son fils, pendant que des plateaux de bouchées multicolores défilaient :

- "Je suis pour l'école publique et laïque mais avec les projets de ce gouvernement, je ne veux pas mettre mon fils à l'école publique en ce moment.
- Saumon habillé de radis japonais à la vanille.
- Merci.
- Je te comprends ! La pédagogie Montessori est passionnante et le ministre actuel se préoccupe de tout sauf de l'échec scolaire, qu'il agite pour justifier ses coupes sombres dans le budget de l'Education nationale.
- Lasagnes vertes à la mozzarella.
- Merci.
- Il prône le retour en arrière, comme si ça allait améliorer les choses !
- Beignet d'écrevisse et sa pince à attraper le beignet.
- Merci (...)"

J'étais ravie d'être si bien tombée. Nous nous acheminâmes ensuite vers le buffet à champagne. Nous croisâmes Cathy Nivez, radieuse, et déclinâmes nos noms de code. Elle me dit qu'elle appréciait mon blog et voulut en parler à miss numéro un des chroniqueuses. "Il faut absolument que tu connaisses Bouche de là !" lui lança-t-elle. Sous les paupières de cette dernière, trop occupée à signer des autographes pour dire bonjour, cette expression : "je m'en cogne".

Cathy ne se démonta pas et nous présenta à une grande blonde d'un mètre quatre-vingts, mademoiselle Agnès de Wikio. Maman écolo et moi finîmes la soirée en causant critères wikio avec Agnès, jeune femme fort sympathique aux yeux rieurs, à l'écoute de toute suggestion et notant tout blog qu'elle n'était pas sûre d'avoir référencé.

Nous partîmes en reprenant l'ascenseur maudit. Devinez avec qui ? Mademoiselle n°1 du sexe. Je devais inconsciemment lui vouloir quelque chose. J'en plaisantai avec elle. Celle qui lui parlait sans discontinuer nous lança un regard de bouledogue aux aguets.
Nous eûmes droit à un joli sac plastique avec une clé USB et un exemplaire du magazine. Comme j'en avais déjà chourré un, je me retrouvai avec deux Elle. Malgré cela, je rentrai à la maison par voie souterraine.

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Vous venez de lire le récit de la soirée Elle telle que je l'ai vécue. Vous aurez remarqué que la n°1 des chroniqueuses n'est pas présentée sous son meilleur jour.

Ce ne sont que mes impressions du moment, vu au travers de mon prisme parfois paranoïde.

Loin de moi l'intention de vous souffler que cette personne n'est qu'une dinde superficielle puisque, comme vous pouvez le constater à cette lecture, nous n'avons pas échangé la moindre conversation ce soir-là. Je ne la connais pas.

L'intéressée m'a adressé un mail tout à fait aimable pour souligner qu'elle ne m'avait pas vue ce soir-là et qu'elle aurait été plutôt contente de me saluer.

Elle a ajouté qu'elle non plus n'avait pas aimé son discours au micro, qu'elle était mal à l'aise face à l'assistance et que sa superficialité affichée faisait partie du personnage de son blog.

Je la remercie d'avoir pris la peine de me donner son point de vue par écrit. Elle ne m'a rien demandé mais il me semblait justifié, au regard de ce que mon billet laisse (un peu vite) supposer, de vous préciser cela.

lundi 8 décembre 2008

Chez Elle

Degas, Chez la modiste, 1882

Je suis privée de fête du 8 décembre depuis que j'ai quitté la région lyonnaise, mais qu'à cela ne tienne. Cette année, l'occasion de festoyer à cette date se présente inopinément. Au moment où paraîtront ces lignes, je serai en train de pampiller chez Elle. J'ai été conviée à la soirée donnée à l'occasion du classement des blogs féminins lancé par le célèbre magazine. Premier scoop donc : vous naviguez actuellement en zone féminine influente.

Vous ne pouvez pas avoir surfé récemment sans avoir goûté aux remous que provoquèrent les catégories retenues par le magazine. Un brin gnan gnan pour qui, comme moi, n'aime pas parler chiffons, exècre les photos de bébés et éprouve un intérêt tout relatif devant les mille et une variantes de la poule au pot, le classement Elle des blogs féminins se répartit en huit catégories, parmi lesquelles la politique et la littérature brillent par leur absence.

Alors que quand même, des blogs littéraires et politiques féminins, il y en a, et non des moindres, en nombre suffisant pour mériter d'y figurer.

Plusieurs blogueuses et blogueurs s'indignèrent de l'aspect caricatural d'un classement présenté par d'aucuns, dont le raisonnement m'échappe encore, comme une avancée. N'ayant placé aucun espoir particulier en une quelconque amélioration de notre condition par l'entremise de magazines féminins, je ne pris guère part à ce tollé.

Comme le précise Cathy Nivez, c'est une première et il y aura moult remaniements. De plus, je compte parmi celles dont la condition s'est effectivement améliorée via ce classement féminin : je passe de la cour des bâtards - je m'ébroue depuis quelques temps dans la catégorie "divers" au Wikio - à celle des "chroniqueuses". Ça a quand même plus de gueule, non ?

Je suis comme à peu près tous les blogueurs et euses : je n'ai pas créé mon blog pour caracoler dans des classements, donc je m'en fous. Mais quand je grimpe, je suis flattée, avant de m'en foutre à nouveau. Une bonne place au classement n'est, au mieux, que la promesse de ratisser des visites supplémentaires. Ce qui ne constitue pas, en soi, un intérêt majeur ; enfin "faut voir", dirons-nous. Je suis un peu Desprogienne dans ma façon de bloguer : je veux bien causer de tout ici, mais pas avec n'importe qui.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'aucun classement ne saurait vous garantir l'apport d'un nouveau lectorat attentif, sensible à votre prose et bienveillant. Si l'appeau à troll existe bel et bien, on n'a pas encore trouvé la technique pour confectionner l'appât infaillible à gentil lecteur. Heureusement, ce dernier vient généralement pépier de lui-même à votre fenêtre, attiré de proche en proche par les lueurs bleutées des liens scintillant sur vos blogs de prédilection. On appelle ça, un peu vite fait d'ailleurs, une communauté de blogueurs, pour ce qui ressemble plutôt à une guirlande affinitaire.

J'arrête ici ce billet préprogrammé, rédigé ce dimanche avec l'espoir saugrenu que je suis en train de bien m'amuser demain.

J'aimerais vous dire "je vous raconterai" mais je me connais. On verra.

dimanche 7 décembre 2008

Noël, deux ans avant

les frères de Limbourg,
Les très riches heures du duc de Berry, février, 1416


J'ai toujours mis un point d'honneur à être chez mes parents le soir de Noël. Eux ne m'ont jamais rien demandé. C'est plutôt moi qui les tyrannisais pour que nous fassions quelque chose ensemble. Même lorsque je vivais en Corée, je revenais pour Noël. Où diable ai-je pu choper ce sens de la famille et cet amour des traditions, le genre de notions dont mon éducation fut pour le moins exempte ? Mystère et boule de Noël.

Le réveillon de 2006 fut différent des autres, mais je ne le sus que plus tard.

Mon père vint me chercher en voiture à la gare. Comme à notre habitude, nous ne dîmes mot durant le trajet, à l'exception d'une escale pâtissière qui nous mit en verve :
- "Bonjour madame, lançai-je, perdue dans une forêt de gâteaux géants, euh vous avez des bûches moins grandes ?!
- Non. Il ne me reste que des 10 ou 12 personnes. Ou celle-là, 8 personnes.
- Vise la bûche au chocolat, papa ! On la prend ?
- Si tu veux.
- Mais toi t'aimes pas le chocolat ! En même temps celles au café me font moins envie, la crème au beurre bof...
- On prend les deux.
- Youpi !"
Je sautillais intérieurement pendant que la dame empaquetait les monstres.

Affublés de nos hyperbûches, nous retournâmes à la voiture. Nous étions trois à dîner.

Lorsque nous arrivâmes, ma mère se tenait debout dehors, sur le pas de la porte. Elle m'accueillait toujours comme ça.

Je me débattis pour sortir les boîtes et mon sac de la voiture. Je voulus lui montrer le résultat de la mission pâtissière qu'elle nous avait confiée.
- "Figure-toi qu'on a pris deux bûches et qu'en plus...
- Oh, fit ma mère, je m'en fiche, de toute façon c'est que pour vous. Je suis au régime sans sucre.
- Ah !"
Je me voyais déjà, verdâtre comme le goûteur de Cléopâtre, arguant " il fallait finir cette bûche..." devant un médecin incrédule.

Dans le salon, nous causâmes des ennuis de santé qui l'avaient conduite à un régime sans conditions le jour du réveillon : une mystérieuse, soudaine et importante éruption d'eczéma, très étendue. Peut-être une réaction allergique, mais à quoi ? Son docteur lui avait prescrit des corticoïdes et un menu aussi réjouissant qu'un sermon de messe en latin.

"- J'en ai même sur les yeux ! Et là, impossible de mettre de la crème...
- Si, il en existe une spéciale, j'en ai déjà eu, ça s'appelle...
- Comment ça ?!"
Piquée, ma mère fronça les sourcils en regardant droit devant elle et je ne mis pas trois secondes à reconnaître une amorce de bouffée délirante.
- "Pourquoi le médecin ne me l'a pas dit ?
- Il est peut-être nul, il connaît pas, il a oublié...
- Non mais pourquoi il ne m'a rien dit ?
- Euh...
- Ils ne m'ont rien dit ! Le pharmacien m'a demandé : comment ça va en ce moment ? Mais pourquoi il a dit ça d'ailleurs ? C'est bizarre quand même !
- Tu trouves ?
- Qu'est-ce qu'il a voulu dire par là ?
- Bin comment ça va, quoi.
- C'est bizarre."

Ma mère souffrait d'une paranoïa avérée, assortie d'hallucinations qui la faisaient gamberger sévère. Mes parents avaient déménagé à la campagne car ma mère était persuadée que des gens lançaient des pierres sur sa maison toutes les nuits. Elle n'en dormait plus et scrutait le jardin depuis le balcon, d'où elle sentait la présence de clochards dissimulés derrière le laurier, à coup sûr payés par d'anciens voisins malfaisants pour procéder à cette lapidation quotidienne. Le jour, elle retrouvait les cailloux lancés et les montrait à mon père, qui haussait les épaules en les balançant dans l'allée. Elle disait qu'il faisait disparaître les preuves.

Si un voisin lui disait bonjour, elle comprenait qu'il savait.

Lorsqu'ils déménagèrent, je priai naïvement pour que les symptômes de ma mère finissent emmurés dans notre ancienne demeure.

Je me souviendrai toute ma vie de ma première visite dans leur actuel chez eux, une splendide bâtisse ancienne, en pleine nature vallonnée. Émerveillée, je faisais le tour du propriétaire avec ma mère lorsqu'elle s'arrêta en pointant du doigt une motte de terre.
- "Regarde !
- Ah oui dis-donc, les taupinières ici, c'est grave !
- Ce ne sont pas des taupes qui font ça. Regarde bien.
- Euh... Bin si, c'est des taupes.
- Regarde comme elles sont alignées en direction de la fenêtre. Ce sont des humains qui ont fait ça. Ils veulent nous dire quelque chose...
- ..."
Dans son monde, les humains parlaient en taupinières, les voisins invalides retrouvaient leurs jambes chaque nuit pour accourir dans la grange et trafiquer la tondeuse, la maison était un hall de gare nocturne où le village entier passait ses nuits à entrouvrir la porte de la salle de bains et à déplacer l'écuelle des chats pour déposer un assortiment de messages codés. Les paysans étaient organisés en mafia. Tous avaient les clés de chez elle.

Dans son monde, il n'y avait jamais de hasard : si un policier avait voulu jouer aux cartes avec elle l'autre soir, au club du troisième âge, cela voulait bien dire ce que cela voulait dire.

A côté de ça, ma mère haïssait les ragots et ne croyait que ce qu'elle voyait. Cela suffisait bien à nourrir ses scénarios à la Agatha Christie mâtinés d' X-files, deux de ses séries de prédilection.

Ce que mon père déplorait dans cette pathologie, c'était son inutilité : "Si encore ça servait à garder la maison mais même pas ! Quand il se passe vraiment quelque chose elle ne voit jamais rien !"

La soirée de Noël passa comme des milliers d'autres. Ma mère avait oublié le complot médical. Chacun vaquait à ses occupations en grignotant un peu des pléthores de nourriture préparées par ma mère. Elle s'estimait mauvaise cuisinière et c'était sans doute vrai. Elle supprimait des ingrédients pour faire plus simple ou plus léger, elle cuisait tout à feu vif pour aller plus vite. Pour moi, ses recettes sacrilèges surpassent de loin toutes les autres.

A la maison, nous ne mangions jamais ensemble. Noël ne faisait pas exception.
Le déballage de cadeaux constituait en revanche un moment de réunion.
- "Oh ! Un, deux, trois... Quatre pyjamas !
- Un pour chaque saison, précisa ma mère. Et puis si ça te fait trop, tu en laisses un ici. Comme ça, pas besoin d'en trimballer un à chaque fois que tu viens."
Le bleu imprimé pingouins me parut tout désigné pour rester.
Ma mère me couvrait toujours d'argent et de vêtements à Noël, en y mettant sa touche personnelle. Elle avait de drôles d'idées et lorsque son cadeau était commun, c'était l'explication l'accompagnant qui le rendait unique.

Unique, elle l'était. Comme toutes les mères, certes, mais plus que les autres. Puisque je vous le dis.

Solitaire par goût et diserte en société, colérique et douce, déprimée et fantasque, elle s'était elle-même diagnostiquée schizophrène extralucide. Lorsqu'elle se retrouvait à devoir parler à des gens, sa voix trahissait une fausse candeur. Ses yeux semblaient toujours à l'affût de l'extraordinaire. On eut dit une sorte de miss Marple un peu déjantée.

Je la revois encore lors d'une exposition d'enseignants et peintres amateurs, présenter une de ses œuvres : Terminator 2, portrait exécuté à la peinture à l'huile sur toile. Schwarzie, œil rouge, visage bleuté et bazooka en main, trônait parmi les paysages marins et les corbeilles de fruits des autres exposants. Je venais rire de l'incongruité avec mes camarades de lycée, non sans fierté face à ce qui constituait à mes yeux une originalité implacable.

Le surlendemain de Noël, je rentrai à Paris, digérant mollement le repas et notre rencontre. Quelques jours plus tard, je reçus un mail d'elle très doux. Elle me disait de ne pas hésiter à revenir, à chaque fois que j'en aurais envie.

En février, je revins. Elle ne m'attendait pas sur le pas de la porte. Je passai une semaine, recroquevillée dans son fauteuil, à pleurer sa mort.

samedi 6 décembre 2008

Roulés dans la farine

Raphaël, La fornarina, 1519

La crise, c'est dur. On a moins d'argent et tout augmente. Y'en a marre !

Oui. Mais quand y'en a marre, y'a Malobar. Pour l'achat de quinze paquets de Malobar cerise-paprika, le seizième est à moitié prix jusqu'au 16 décembre. Les solutions MOINS CHÈRES : la vie Auchian, elle change la vie.

Arrêtez. Qui fait vraiment tout pour AUGMENTER VOTRE POUVOIR D'ACHAT ? Quand c'est moins cher, c'est chez Leblerc : pour l'achat d'un jéroboam d'Orangigna, la canette en édition limitée et numérotée avec décorations "fêtes de Noël" est à moitié prix. Merci qui ?

Non mais hé. En LUTTE pour votre pouvoir d'achat, c'est Calefour : pour l'achat de deux palettes de crème au chocolat Daniette, un service à poivre complet en cristal dark est offert, oui vous avez bien lu, offert ! Offre soumise à conditions, voir en magasin.

N'importe quoi. Vous parlez de lutte mais vous n'y connaissez rien. Nous, on est des mousquetaires CONTRE LA VIE CHÈRE. D'ailleurs cette semaine, c'est la quinzaine du cabillaud frais d'Australie. Arrivage massif hier matin, notre stock est en promotion jusqu'au 25 décembre à minuit. Untelmarché, les bonnes affaires moins chères.

Qu'est-ce qui vous inquiète ? La révolution est en marche, c'est la publicité qui le dit. A entendre les réclames radiophoniques, le marketing des hypermarchés est le fleuron de l'action citoyenne pour garantir la préservation de notre pouvoir d'achat. A grand renfort de "lutte", de "pouvoir", de "pour tous", on se croirait dans un tableau de Lacroix, "La grande distribution guidant le peuple". Si vous n'êtes pas convaincus, c'est que vous n'y mettez pas du vôtre.

Je vous soupçonne de compter parmi les pénibles qui, comme moi, achètent de la farine. (Vous avez déjà vu de la farine en promo, hors celles qui sont déjà chères parce que fournies avec leur véritable boîte cartonnée superprotectrice ?)

Vous voulez préparer une tarte au pommes mais misère ! Votre boîte de farine est aussi vide que votre créativité en matière de tartes. Vous allez au supermarché Flanprix à côté de chez vous. Vous pénétrez au cœur de gondoles surinvesties avec l'idée saugrenue d'acquérir un paquet d'un kilo de farine de blé. Vous parcourez trois fois l'ensemble des rayons car votre œil déjà surmené peine à repérer l'objet convoité.

La niche de ce dernier une fois localisée, vous vous faites un tour de rein pour explorer cette partie du rayonnage rangée à vos pieds tandis que des colorants pour gâteaux se trémoussent à hauteur d'yeux. A quatre pattes pour lire les étiquettes, vous constatez qu'il y a rupture de stock de farine. En revanche, les mélanges pour crêpes, préparations à brioches et autres poudres à pain pullulent. C'est plus cher qu'un paquet de farine acheté avec quelques sachets de levure et pour cause : l'effort de mélanger les deux vous est épargné. Or, c'est bien connu : le travail, ça a un prix. Demandez à la caissière. Ah non, tiens.

Je le sais, j'enfonce des portes automatiques ouvertes. J'avais qu'à pas y aller. J'en suis sortie bredouille, avec la perspective surréaliste de devoir faire plusieurs magasins pour trouver de la farine qui s'appelle "farine", sans ajout de lait ou d'oeuf lyophilisé. Il n'empêche que, quand j'entends dans les pubs les exclamations niaises des comédiens-consommateurs comblés par tant d'offres bidon, ponctuées par les slogans cryptotrotskystes de nos hyperprotecteurs, je fulmine tout net. J'ai l'impression qu'on me sussure que tout ira mieux en m'enfonçant un entonnoir dans le gosier (dans le meilleur des cas).

Tout va mieux, mais ne vous avisez pas d'acheter de la moutarde de Dijon qui vienne de Dijon par exemple. Un grand groupe vient de racheter Amora-Maille et délocalise, pour cause de bénéfices qui pourraient être encore plus grands que les 25 millions actuels. Ledit grand groupe se contrefout du produit vu qu'il vend aussi bien de la soupe et du thé que du dentifrice. Et puis la moutarde de Dijon, y'a bien qu'en France qu'on en achète.
Moi je dis : vivement que le camembert de Normandie vienne de Belgique ou de Tchéquie. Avec un peu de chance, il sera tellement dégueu que les ventes baisseront. On pourra enfin en acheter trois pour le prix de deux et demi.

mercredi 3 décembre 2008

On décolle vite

David, Les Sabines, 1799

Voici un texte qui s'inscrit dans la chaîne initiée par Audine, en hommage au texte de Dorham. Le principe ? Faire référence à un odieux projet du gouvernement, ou à une pratique actuelle contraire aux principes républicains, dans un billet inspiré de celui de Dorham.

L'autre nuit, vous n'avez pas fait l'amour. Ne venez pas me chanter l'argument du célibat qui n'aide pas. Je ne vois pas le rapport. Ni les rapports en général, si vous insistez. Là n'est pas la question : nous parlons de l'autre nuit, voulez-vous bien vous concentrer ?

Hier soir, c'est vous qui avez chauffé la place dans votre lit, juste pour votre deuxième vous-même, qui s'en satisfit. Oui, vous vivez en couple, mais à l'intérieur de vous. C'est comme une ultime division cellulaire.

Parfois c'est la guerre. C'est normal dans les couples. Vos deux moitiés se toisent. Y'en a une qui refuse de faire la vaisselle et l'autre qui lui fait remarquer que c'est dégueulasse. Mais l'avantage du couple interne du célibataire, c'est qu'à nous deux, on n'a que deux épaules. Alors c'est forcément en même temps qu'on les hausse.

L'autre nuit, disais-je, vous n'avez pas fait l'amour. Vous étiez tous les deux crevés. Vous n'auriez pas pu procréer de toute façon parce que la nature n'a pas réfléchi plus que ça aux célibataires en mal de maternité. C'est comme ça. En plus, vous prenez la pilule. Pourquoi diable ? Parce que vous portez un prénom biblique. Alors, si d'aventure l'ange Gabriel vous rendait visite, vous préférez prendre vos précautions. Avec tout ça, c'est sûr, vous n'avez pas procréé.

A vos heures perdues, vous tissez une poupée vaudou à l'effigie de votre gynécologue et vous l'étranglez avec une ficelle de tampon. Oui, parce qu'un jour vous causiez contraception et elle vous a dit : "ce n'est pas la pilule qui peut réduire votre fertilité, c'est votre âge", alors que vous n'aviez justement rien demandé au sujet des conséquences de l'âge sur la fertilité.

Aujourd'hui vous cherchez votre poupée. Vous la retrouvez sous une pile de vingt volumes de "L'histoire universelle". Vous décidez de la sanctifier. Alors, après avoir desserré la ficelle, vous l'asseyez sur la pile dans une pose digne et l'encensez au patchouli.

Vous n'aurez sans doute jamais d'enfants mais la société vient de vous apprendre à adorer cette idée. Jamais votre fillette ne vous demandera à sept ans pourquoi son camarade de classe ne vient plus depuis que des policiers sont venus le chercher avec son papa.


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Le sujet de ce billet, Flo Py en a parlé ici. J'ajoute, hors texte-hommage :

Je viens d'apprendre qu'il y a quelques jours, à Grenoble, un père est allé chercher ses enfants à l'école un peu plus tôt, accompagné de deux policiers, pour un "rendez-vous à la préfecture". A 19h, les enseignants apprenaient que la famille était au centre de rétention de Lyon.

Ce n'est que le matin qu'ils réussirent à joindre la famille paniquée. Ils informèrent le centre de la visite de la Cimade (seule organisation autorisée à entrer) ce même matin. Lorsque les militants de la Cimade arrivèrent sur place, la famille était déjà en route vers l'aéroport, leur avion décollant une demie heure plus tard.

Je copie et colle ici un extrait de la lettre d'une militante de Réseau Éducation Sans Frontières destinée aux écoles :

Nous n'avons rien pu faire, nous attendions que les militants de la Cimade comprennent la situation de la famille, afin de pouvoir les aider en connaissance de cause. Ils ont été expulsés ce matin. Leurs chaises d'école resteront vides. C'est une première en Isère : la traque des étranger-e-s pénètre dans les écoles.

Les seuls enfants en situation irrégulière sont ceux qui ne sont pas à l'école.

Nous vous demandons de bien vouloir faire circuler cette information le plus largement possible. Personne ne doit pouvoir dire "on ne savait pas".

Merci,

Emmanuelle, pour le Réseau Education Sans Frontières 38

lundi 1 décembre 2008

Demain je vais bien

Daumier, Le mal de tête, 1833

Les enfants ? C'est la maîtresse du lundi qui vous parle. Comme j'ai très mal à la gorge et à la tête, je ne peux pas être là aujourd'hui. Mais je reviendrai avec le chat dès lundi prochain. En attendant, la vidéo ci-dessous est pour vous. Puissiez-vous vous en inspirer pour construire autre chose que vos sempiternels empilements.
Les enfants du mardi ? Tâchez d'apprendre à lire d'ici demain, parce que je serai bien là mais pour que je vous raconte une histoire, c'est pas gagné.
Les enfants du jeudi ? Tout est de votre faute. Si vous vouliez bien arrêter de jouer aux bidibules humains sur les bancs au lieu d'écouter, je crierais moins et ma gorge s'en porterait mieux. Nous ferons de la pâte à sel pour fabriquer un mors des décorations de Noël.
Les enfants du vendredi ? Quand vous aurez compris qu'on peut tourner les pages d'un classeur sans l'ouvrir, on passera beaucoup moins de temps à ranger les leçons de géographie, ce qui nous en laissera plus pour écouter la suite des aventures de Georges Bouillon.

Madame l'inspectrice ? J'ai avancé de trois cases au Profopoly. J'ai tiré deux cartes contradictoires : "vous êtes quatre quarts de temps" et "rendez-vous à votre école samedi matin". J'ai tout fait. Aujourd'hui je stagne sur "accident du travail, passez un tour" et je suis proche de la case "hôpital psychiatrique de la Verrière". Mon dé ne comporte que des 1, est-ce normal ?

Excusez l'amertume qui affleure légèrement dans ce billet, j'enrage parce que je suis tout le temps malade cette année et que je vais devoir reprendre une thérapie à cause du boulot (ou du monde entier, j'hésite). Je ne suis pas à plaindre : l'an prochain j'aurai une classe, normalement. C'est juste qu'il faut tenir.

vidéo de Bibopof