Hier matin, je pris un train désert.
Telle une rescapée de fin du monde, je déambulais pour choisir ma place parmi des rangées de sièges vides. Je me collai à une fenêtre. La perspective d'étendre mes jambes à l'infini et de ne rien faire d'autre que défiler dans le paysage en croyant dur comme fer à l'inverse me réjouissait. A moi vaches volantes, arbres fonceurs et maisons météores. Ce serait comme fouiller dans un coffre à Playmobils et en jeter de partout.
Le départ était prévu pour 8h01. Le train partit à 8h01.
Je regardai au dehors. Rien. La nuit avait tout empaqueté. "C'est nul ce noir, il est plus de huit heures, ça suffit !" maugréai-je. Je scrutais aux gares le nom des villes traversées. Je me dis que je ne pourrais jamais vivre à Villeneuve Saint-Georges, trop nocturne à mon goût.
Le départ était prévu pour 8h01. Le train partit à 8h01.
Je regardai au dehors. Rien. La nuit avait tout empaqueté. "C'est nul ce noir, il est plus de huit heures, ça suffit !" maugréai-je. Je scrutais aux gares le nom des villes traversées. Je me dis que je ne pourrais jamais vivre à Villeneuve Saint-Georges, trop nocturne à mon goût.
Puis un bout de mon cerveau sortit de sa léthargie matinale. La notion de solstice d'hiver m'apparut et tout s'éclaira. J'eus des remords d'avoir grogné. S'il y a une date dans l'année où la nuit peut légitimement faire la grasse matinée, c'est bien celle-là. Je promis d'être compréhensive et lui murmurai de rester. Elle se leva.
Je vis des lopins de terre galoper et des présences humaines surgir entre deux bois. J'inventais des rencontres. Un druide errant dans le Gâtinais trouverait ce gisement de gui juché sur un bosquet perdu. Les chasseurs de la clairière, bredouilles, iraient tuer la vache broutant vingt kilomètres plus loin. Sauve-toi Marguerite !
L'intérieur du train me détourna de mes scénarios champêtres. Une jeune femme avança jusqu'à moi. Elle retira ses longues bottes, découvrant des chaussettes de tennis qui juraient avec sa tenue sophistiquée. Mes yeux en restèrent fascinés. Elle s'allongea sur une rangée de trois sièges, la tête sous son manteau et les pieds dans le vide. Attirés par cette quiétude, deux germanophones s'installèrent derrière elle de la même façon. Bien qu'étendus mollement, ils se mirent à palabrer sur un ton guilleret. La femme aux chaussettes blanches se redressa d'un coup en gémissant. Elle scruta l'origine du bruit entre deux sièges et retomba comme une morte. Puis elle se redressa encore, me demanda l'heure et se rechaussa. Le train arrivait en gare de Nevers.
Je trépigne toujours après Nevers. Je sais que trente minutes me séparent de mon père. Alors je piaffe sous un air qui peine à demeurer impassible. Je découpe la demie heure dans ma tête, je fais semblant de ne plus y penser. Je vois Moulins sur les panneaux routiers et mes jambes entament la gigue de l'imminence.
Un coup de frein, deux marches, une voix. "Vous êtes arrivés à Moulins sur Allier." Mes pieds embrassèrent goulûment le sol. Je dévalai et ravalai l'étage du passage souterrain.
Mon père était là qui faisait, comme à son habitude, les cent pas dans le hall.
Une fois installés dans sa voiture, je pris les nouvelles animalières.
-" Combien de chats en ce moment ?
- Dix.
- Mais ils se multiplient tous les mois ! Ils devraient se disputer des territoires ou se faire bêtement écraser de temps en temps...
- Ils s'entendent bien.
- Ce n'est pas normal."
Mon père n'a jamais pris de chat mais il en a dix. Il a toujours eu le don de transformer n'importe quelle bête sauvage en peluche fidèle et ronronnante. Il pavoise le terrain de gamelles et mangeoires et le jardin finit par ressembler à une scène de Disney. Une rangée de moineaux picore sur la table sous l'œil bienveillant d'une meute de chats digérant leur pâtée. On se croirait dans un dépliant pour témoins de Jéhovah. Je suis sûre que même les araignées de la maison viennent se frotter affectueusement aux chevilles de mon père.
Nous arrivâmes dans l'enchanté lieu-dit. Je fus accueillie par des myriades d'yeux enrobés de fourrure. J'avançai avec mon sac lourd de livres et de bouteilles. Des boules rousses et noires sautaient dans les fourrés. Je me sentais comme Moïse traversant une mer de poils. Mon père referma la porte au nez et à la barbe des félidés.
Nous nous mîmes bientôt à table. La fenêtre de la cuisine comptait cinq museaux écrasés qui suivaient les gestes de mon père en laissant des traces horizontales sur la vitre.
L'intérieur du train me détourna de mes scénarios champêtres. Une jeune femme avança jusqu'à moi. Elle retira ses longues bottes, découvrant des chaussettes de tennis qui juraient avec sa tenue sophistiquée. Mes yeux en restèrent fascinés. Elle s'allongea sur une rangée de trois sièges, la tête sous son manteau et les pieds dans le vide. Attirés par cette quiétude, deux germanophones s'installèrent derrière elle de la même façon. Bien qu'étendus mollement, ils se mirent à palabrer sur un ton guilleret. La femme aux chaussettes blanches se redressa d'un coup en gémissant. Elle scruta l'origine du bruit entre deux sièges et retomba comme une morte. Puis elle se redressa encore, me demanda l'heure et se rechaussa. Le train arrivait en gare de Nevers.
Je trépigne toujours après Nevers. Je sais que trente minutes me séparent de mon père. Alors je piaffe sous un air qui peine à demeurer impassible. Je découpe la demie heure dans ma tête, je fais semblant de ne plus y penser. Je vois Moulins sur les panneaux routiers et mes jambes entament la gigue de l'imminence.
Un coup de frein, deux marches, une voix. "Vous êtes arrivés à Moulins sur Allier." Mes pieds embrassèrent goulûment le sol. Je dévalai et ravalai l'étage du passage souterrain.
Mon père était là qui faisait, comme à son habitude, les cent pas dans le hall.
Une fois installés dans sa voiture, je pris les nouvelles animalières.
-" Combien de chats en ce moment ?
- Dix.
- Mais ils se multiplient tous les mois ! Ils devraient se disputer des territoires ou se faire bêtement écraser de temps en temps...
- Ils s'entendent bien.
- Ce n'est pas normal."
Mon père n'a jamais pris de chat mais il en a dix. Il a toujours eu le don de transformer n'importe quelle bête sauvage en peluche fidèle et ronronnante. Il pavoise le terrain de gamelles et mangeoires et le jardin finit par ressembler à une scène de Disney. Une rangée de moineaux picore sur la table sous l'œil bienveillant d'une meute de chats digérant leur pâtée. On se croirait dans un dépliant pour témoins de Jéhovah. Je suis sûre que même les araignées de la maison viennent se frotter affectueusement aux chevilles de mon père.
Nous arrivâmes dans l'enchanté lieu-dit. Je fus accueillie par des myriades d'yeux enrobés de fourrure. J'avançai avec mon sac lourd de livres et de bouteilles. Des boules rousses et noires sautaient dans les fourrés. Je me sentais comme Moïse traversant une mer de poils. Mon père referma la porte au nez et à la barbe des félidés.
Nous nous mîmes bientôt à table. La fenêtre de la cuisine comptait cinq museaux écrasés qui suivaient les gestes de mon père en laissant des traces horizontales sur la vitre.