mercredi 27 mai 2009

A Dorham

Nous avons eu de beaux échanges. Tu m'as offert de bonnes tranches de rigolade et de savoureux moments de lecture. Pas une de tes histoires ne m'a laissée tranquille sur ma chaise. Tes univers m'en extirpaient sans prévenir, comme un coup de groin expert dans une truffe se croyant bien planquée dans sa terre.

Ceux qui ont essayé de lire du Dorham d'un œil savent de quoi je parle. C'est impossible. Vous pensez pouvoir effleurer distraitement quelques lignes en oblique mais l'extracteuse Dorhamienne est déjà à l'œuvre. Vous voilà aspiré et violemment rejeté vers des mondes étranges faits de fakirs fous, de cadavres sans dents et de supermarchés effroyables.

"La suite !" venais-je ensuite bêler bêtement au bas de ta page.

Je ne peux donc que désapprouver ta pertinente idée de prendre le large avec le monde du blog. Mais je me réjouis de te savoir occupé à d'autres choses passionnantes et j'attends sagement tes futures publications. Heureusement, tu continues d'écrire.

Te souviens-tu du temps de la gloire, lorsque par exemple nous avions gagné l'eurovision ? Zoridae, Balmeyer, Gaël, Nicolas et moi faisions les chœurs derrière toi. C'était ta dernière représentation en chanteur de variété et nous avions pleuré beaucoup. A présent j'en souris : nous ne savions pas, à l'époque, que ta célèbre plume traviata-punk allait bientôt nous réjouir !

Petit rappel en images :

lundi 11 mai 2009

Suivi

Lucas Cranach, Mélancolie, 1532


Je prends des capsules de joie depuis maintenant deux mois. Je me rends donc régulièrement à une visite de routine chez mon généraliste. Au programme : contrôle technique avec vérification du niveau de larmes, pression psychologique, tenue de route et questions diverses.

- "Comment ça va ces temps-ci ?
- Écoutez docteur, ça va vraiment très bien. Je ne sais pas si c'est dû aux gélules ou aux congés. Est-ce que je peux en prendre à vie ?
- Des congés ?
- Mais non.
- Ce n'est pas le but.
- Je comprends, mais comme je vais bien, je n'ai pas hâte d'arrêter. D'ailleurs pourquoi arrêter, si une gélule rose suffit à mon équilibre ?
- Parce qu'on peut faire sans.
- On n'en sait rien, j'ai peut-être juste un défaut de fabrication à la base : des synapses qui bâillent, une sérotonine grumeleuse, un strabisme des neurones ou quelque chose comme ça.
- Rien n'est moins sûr. Vous avez pu subir une dépression réactionnelle ; c'est ce qui arrive suite à une série de coups durs. Là, vous allez mieux grâce à votre traitement, vous allez vivre votre vie tranquillement, le temps va faire son œuvre, la thérapie aussi ; les antidépresseurs deviendront inutiles et nous les arrêterons progressivement.
- Vous ne croyez pas que je puisse avoir hérité d'une usine à morosité en guise de cerveau ? Ça n'existe pas, une raison physique à la dépression ?
- Si.
- Ah !
- Cela dit, c'est un peu facile de dire "je suis faite comme ça".
- Je vais mal depuis toujours. J'ai fait une dépression à 18 ans et une à 28. Et cette année, encore.
-Il y a des états très anciens que l'on peut changer, la psychothérapie est là pour ça. Cela ne veut pas dire que vous êtes construite pour déprimer. Si c'est le cas, on peut prendre des médicaments à vie. Je pense que vous n'en êtes pas là.
- Comment savoir si je réagis mal parce que je suis faite pour mal réagir ou si je suis devenue comme ça à force de mal réagir ? C'est vraiment l'œuf et la poule, ces histoires de dépression. Oh, à propos de progéniture, je peux vous raconter mon rêve ?
- Eh bien...
- Ça dure trois minutes ! C'est pour mieux m'en rappeler quand je verrai mon psy. J'ai une mémoire auditive, vous comprenez.
- Je ne suis pas votre thérapeute, mais allez-y, je vous écoute.
- Cette nuit, les gens étaient enceintes. Entendez : les hommes aussi. D'ailleurs ils portaient des kilts, sans doute pour que ça ait l'air plus normal. Je passe sur les épisodes étranges d'allers et retours à la clinique. La fin de mon rêve me laisse perplexe. Je suis dans la cuisine de la maison de mon enfance, avec ma mère. Elle est enceinte. Mon père est mort (l'inverse de la réalité en somme) depuis 3 jours et c'est pour ça que je suis revenue. J'arrive après sa mort. Je demande à ma mère quand a lieu la cérémonie. Absence de réponse claire : "euh, oh..." Manifestement elle se fiche de me répondre. Elle n'a pas l'air triste. Je me fâche : "Normalement s'il est mort y'a 3 jours, il doit y avoir la cérémonie d'enterrement très bientôt ! Tu veux pas me dire quand ?!" Elle m'ignore et regarde distraitement dans le micro-ondes. On se retrouve dans le bureau (l'ancienne chambre de ma grande sœur décédée) et je crie : "c'est dégueulasse de te venger sur moi ! Tu sais bien ce que ça fait de ne pas assister à l'enterrement de son père ! Tu en as souffert toi-même (ce qui est bien réel) et tu veux me faire subir ça ! De toute façon je n'aimerai pas ton gamin !"
- Ton gamin.
- Oui.
- Pas ta gamine.
- Euh.
- Je ne fais que reprendre votre terme. Alors... Effectivement, je pense qu'il y a matière à un travail avec votre psy. (rire étouffé) Ouh, ça oui.
- Il me semblait, aussi. Merci de m'avoir écoutée et à dans un mois."

En sortant du cabinet médical, j'emprunte la rue qui se trouve être celle d'un ex que je n'ai pas vu depuis un an au moins. Ce dernier en profite pour sortir à ce moment-là. De deux choses l'une : soit c'est le destin, soit il sort de chez lui sans arrêt. Je pense ne pas souhaiter lui parler mais je me connais mal : un de mes bras s'agite frénétiquement pour lui faire coucou.
Il s'approche et me demande de mes nouvelles.
- "Ça va, là je euh (Marie-Georges, explique-lui que tu ne traînes pas en bas de chez lui en hululant !) je sors de chez le médecin.
- T'es malade ?
- Non.
- Tu vas le voir parce que tu vas bien ?
- C'est une visite de routine. Il me prescrit du bonheur en gélule.
- Oh !
- Ça n'allait pas trop il y a quelques temps."

Je m'arrête de sourire pour mieux coller à mon propos. Je me souviens avoir été amoureuse de ce drôle de type qui me préférait maussade. Mon expression fait son effet : il semble plus intéressé.

- "Qu'est-ce que tu fais, là ?
- Qu'est-ce que je fais là ?
- Non, là.
- Ah, là ! Je suis quatre quarts temps. J'ai quatre écoles cette année. Je déteste ce travail.
- Hé bien moi je suis allé trois mois au Japon.
- C'est bien dis-donc."

Mon ton feint ostensiblement l'enthousiasme. Je me sens au boulot, quand un enfant m'annonce une nouvelle aussi extraordinaire que l'acquisition d'une casquette Spiderman. Pas grave : il n'aurait pas aimé que je sourie. Pendant que nous causons, je constate que le médecin avait raison. Le temps fait son œuvre : mon ex a de nouvelles rides autour des yeux.

Nous prenons congé en nous disant "à bientôt" sans y croire ni vraiment le vouloir. Un peu plus tard pourtant, dans la pharmacie où je patiente depuis dix minutes en essayant de deviner à quoi servent toutes les boîtes, il entre et vient s'ajouter à la file des clients. Comme quoi.