dimanche 31 août 2008

Poisse à plumes

Courbet, Femme au perroquet, 1866

Un beau jour, ou peut-être une nuit,
Près d'un Mac, je m'étais endormie.
Quand soudain, semblant crever l'écran,
Et venant de tout près,
Surgit un perroquet.

Bruyamment, la gorge déployée,
Longuement, je le vis radoter.
C'est alors, que je l'ai reconnu,
Surgissant du passé
Il m'était revenu.


Dis, l'oiseau, oh dis lâche-moi.
Je n'en veux plus, du pays d'autrefois.
Comme avant, dans mes cauchemars d'enfant,
réveillée en tremblant,
Non merci, non vraiment.


L'oiseau vert, dans un bruissement d'ailes,
prit son vol et revint de plus belle.

mercredi 27 août 2008

Un tag, trois énervements, quatre possibilités

Giotto, Le Christ chassant les marchands du temple, 1306

C'est simple. Romain a créé une nouvelle chaîne et a immédiatement tagué Nicolas. Comme il s'agissait de citer 3 choses qui énervent et que Nicolas était justement énervé par trois choses ce jour-là, Nicolas s'est empressé de saisir l'occasion avant de refiler le bébé à monsieur Poireau. Monsieur Poireau ayant plein d'amies végétales énervées, ses pensées se tournèrent vers mademoiselle Ciguë qui décocha derechef un triple venin avant de me confier cette périlleuse mission.
On me somme de râler. Et dire qu'il y a tout juste une heure, tranquillement assise au bord du canal Saint-Martin et dégustant une pâtisserie compliquée, une amie me lançait un "arrête de râler" tandis que ma bouche menait un combat méritoire. La crème s'échappait de toutes parts et mes lèvres durent à plusieurs reprises s'élancer au plus loin pour rattraper la fuyarde. Les dents râclaient le papier qui essayait de digérer le gâteau avant moi en le tenant prisonnier sur toute sa surface et la langue jouait au ping-pong pour arrêter le feuilleté qui tentait de s'échapper alternativement à droite et à gauche. D'impuissantes gencives sanglotaient devant l'amas gluant d'un glaçage pervers, qui cachait son jeu et ses munitions d'éclats de pistaches pour mieux les immiscer là où nul poil de brosse à dents ne passe. Dans le même temps, La division des zygomatiques se livrait à d'usantes contorsions pour rassembler les troupes de miettes disséminées dans tout le territoire buccal.

Vous l'aurez compris,

1- les millefeuilles m'énervent.

Voilà des pâtisseries qui vous aguichent de tout leur long, posées comme ça, nonchalantes, sur le plateau en inox, en présentant leur meilleur profil. Leurs strates tour à tour dures et moelleuses se grimpent les unes sur les autres sans vergogne en vitrine, provoquant l'hystérie collective de vos papilles. Vous cherchez à les fuir du regard mais lorsque la dame demande ce que vous désirez, votre index, aussi fébrile que le reste, se tend vers une de ces allumeuses glacées. Toute résistance est vaine, d'autant que ce sont au bas mots 749 feuillets qui font la danse de l'éventail pour attirer dans leurs filets vos dents écarquillées. Vous réglez et partez à grandes enjambées, les phalanges précautionneusement repliées autour de votre victime dont vous sentez l'insolente fraîcheur au travers du papier beurre.

Pourtant. A peine entamé, le millefeuille n'est plus cette promesse d'une fête gustative où chaque matière, bien rangée au départ, pénètre petit à petit les autres pour y insinuer ses saveurs et tournoyer dans votre bouche en une formidable partouze pâtissière. La danse des mille textures qui craquent, cèdent et fondent se révèle être un sac de noeuds où rien ne circule dans le sens prévu. Voilà votre bouche privée de dessert et salivant dans le désert.

Mais est-ce bien raisonnable, tout ça ? On s'en fout.

Vous l'aurez compris,


2- Les incitations à la prudence diététique m'énervent.

Les conseils me pompent l'air. Je parle des conseils d'état sur le nôtre. Enfin, de ceux-ci : "pour être en forme, ne fumez pas" ; "mangez au moins cinq fruits et légumes par jour" ; "ne grignotez pas, ne mangez ni trop salé ni trop sucré et pratiquez une activité sportive régulière". Comme degré zéro de l'information doublé d'une préoccupation faux-derche pour notre santé, ça se pose là. L'idée, c'est de nous faire croire que tout est de notre faute. En politique, on appelle ça "responsabiliser". Les milliers de produits infâmes que l'on nous vend n'y sont pour rien, c'est nous qui ne savons pas les manger au bon moment. Et on voudrait la gratuité des soins ! J'attends l'étape suivante. Une carte vitale à points ? "Vous avez du cholestérol, moins 3 points". Des packs soins-cadeaux financés par les grands groupes, genre "Un pot de Nulleta acheté, une analyse sanguine offerte" ?

Ces gentils conseils ne sont qu'une parade publique pour nous faire croire que l'état se préoccupe de notre santé tandis qu'il se désengage. Il pérore et nous avise avec du vent.

Ca y est, je suis énervée.

J'ose à peine laisser échapper une autre raison de râler. Pourtant il y en a pléthore. Mais je vais sabrer mon troisième. Si j'allais plutôt me faire une camomille ?

3- Les journalistes incompétents m'énervent.

Zut, ça m'a échappé. Je développe ? C'est clair pourtant. Je ne parle pas de leurs approximations langagières qui peuvent, au pire, m'irriter gentiment. Non. Je ne parlerai même pas des courtisans au pouvoir en place qui grouillent sur les plateaux. Et pourtant, vous en conviendrez, c'est particulièrement gonflant. Non. La propension qu'ont beaucoup d'entre eux à broder des phrases truffées de lieux communs sur des sujets qu'ils ne connaissent pas m'énerve.


Marie-Georges clique rageusement sur "publier le message". L'eau de la camomille bout pendant qu'elle est à bout. Elle serre un sachet de tisane dans son poing puis le jette au fond de la tasse. Le fait qu'il faille attendre que ça refroidisse avant de boire, mais pas trop, l'énerve.

Audine, May Nat, Cynique-ta-mère et Britbrit, au rapport !

mardi 26 août 2008

Velux et volupté


Giotto, Le baiser de Judas, 1306
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Mon plafond est incrusté de quelques vasistas. Je veux parler de ces fenêtres d'époque et de toit, nées avec le reste de l'immeuble dans les années 70 du siècle dix-neuvième après l'invention du Judas.

En ce temps-là, c'était compliqué. Pour poser un vasistas, il fallait forcément fabriquer un châssis en bois dépassant du zinc comme une petite cheminée puis le surmonter dudit vasistas, lui-même équipé d'un cadre métallique presque droit et prétendant pourtant à quelque étanchéité, sans oublier un système de poulie-ficelle pour espérer être ouvert par nous, pauvres habitants aux bras levés cherchant l'air trois mètres plus bas.

Le futur monsieur Velux, qui durant l'enfance scrutait les hauteurs architecturales depuis la chambre de bonne familiale, rêvait de toits lisses, de lumière et d'espace. Mais surtout de toits lisses. A l'aide du dos de la cuillère, il aplanissait son assiette de purée après y avoir creusé de nombreux puits. Il aimait l'aspect de la plâtrée parmentière ainsi égalisée ; il aurait voulu que toutes les maisons fussent pareillement coiffées. Plus tard, il inventa la fenêtre que vous connaissez.

Comme vous le savez, du fond de mon lit je vois les vitres archaïques claquer au vent et trembler en échappant d'étranges rires démoniaques, afin peut-être de couvrir le couinement ridicule de leurs châssis grippés. Si j'étais un revenant, il est probable que je retournerais aussi à mon ancienne adresse pour me venger de ces saletés de fenêtres qui ne s'ouvrent jamais comme on veut.

N'empêche, j'aime mes vasistas rouillés aux vitres piquetées par plus de cent ans d'intempéries parisiennes. Mais la pression sociale est trop forte. Je dois m'en séparer. Il me faut couper court à toute conversation de visiteur qui commence par "c'est mal isolé ici/ tu vas payer cher en chauffage/ la chaleur monte mais pas toi", etc. Je proteste vivement lorsqu'on me suggère de refaire le parquet afin d'enfin marcher droit. J'invoque le charme (de l'ancien) et le travail (du bois). Mais contre l'argument éco-nomico-logique de gaspillage d'énergie je ne peux rien.

L'âme en peine, je me résous à prendre congé de mes antiques vasistas. Quand j'étais petite, à l'aide des dents de ma fourchette, je traçais des sillons dans la purée. Ces irrégularités surmontant l'assiettée me réjouissaient. Mais là, monsieur Velux a gagné.

Le devis a changé ma vie. Envolée par les fenêtres, ma nostalgie. Monsieur Velux m'a envoyé un de ses spécialistes. L'oeil de velours et le muscle saillant, ce dernier m'a annoncé d'une voix chaude que si je tenais absolument à avoir un système de poulie-ficelle, c'était possible. "Je vous offre le cordon", a-t-il ajouté en plongeant un regard félin dans mes orbites hagardes. Ses pectoraux paraissaient vouloir s'échapper du T-shirt par tous les moyens, s'insinuant à travers manches, col et mailles. Ses dents, largement découvertes par un sourire conquérant, semblaient faites pour tracer des sillons dans une purée ou sur toute autre surface tendre. Vivement qu'il revienne.

lundi 18 août 2008

Film d'aurore

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Malevitch, Carré blanc sur fond blanc, 1918

Ma nuit du 9 août

"Ca va aller quand même."

Il n'est pas aisé de s'allonger chez soi lorsque ledit domaine n'a encore rien à voir avec soi. Je m'apprêtais à baptiser une chambre désormais mienne en l'emplissant de songes, de froissements de draps et de ronflements. L'heure de la première nuit dans mon nouvel appartement avait sonné. Etendue sur le dos, mes yeux miraient l'informe violacé à travers vasistas. Car de mon lit, suprême fantaisie des lieux, j'ai vue sur la voûte céleste. Rien que ça.


Pour peu qu'elles eussent été visibles, j'aurais sombré en comptant les étoiles. Je me contentais de les imaginer sous la brume jusqu'à ce que mes stores oculaires se baissent d'eux-mêmes. C'eut été tantôt fait si ma machine à fabriquer les astres n'avait reçu un grain de sable lancé par le fameux marchand, aux prises avec une fulgurante crise de strabisme.


Je me retrouvai en parfait état de veille, yeux écarquillés et rouages cérébraux grinçant une mélodie pour violon désaccordé. Mon coeur passa à un rythme avoisinant celui de la samba préoccupée, en gémissant "Terra incognitaaa". Mes pavillons scrutaient l'horizon sonore, à l'affût du plus petit pas perdu, tintement de chaîne ou de quelque râle fantômatique traversant la blancheur de ce silence tout neuf.


"Ca va aller quand même." Oui quoi. Je ne craignais rien moi, entre ces murs bientôt familiers.


Les esprits qui d'aventure hanteraient les lieux ne pourraient qu'être empreints d'une sainte sérénité. Les anciens occupants étaient discrets et peu portés sur la fête ou le tapage : j'habite la cellule d'un ancien cloître. Et les bonnes soeurs, elles sont gentilles : c'est leur boulot. Alors elles vont pas s'amuser à hanter les combles d'une âme innocente sous prétexte qu'on s'ennuie au paradis ? Allons voyons.


Sauf que je suis l'élue de la sainte-poisse, celle qui débusque le caillou du plat de lentilles qu'elle a juste goûté. Je me trouvais d'évidence dans la chambre de la nonne anormale, la nonne comploteuse, la nonne pas catholique, la nonne faiseuse d'anges pour nonnes fauteuses, la nonne tueuse ; j'habitais le côté obscur de la nonne. D'ailleurs, si j'étais une bonne soeur démoniaque, c'est bien là que je choisirais de dénouer mon baluchon. Au sommet de la bâtisse, les combles font d'idéales cachettes à méfaits. La fenêtre domine toutes les autres. Pratique aussi : les cris des novices torturées demeureraient inaudibles aux étages inférieurs.
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Des chapelets de foetus momifiés couronnaient peut-être mon plafond, à moins qu'il ne s'agisse d'une charpente tapissée de cubitus en rangs d'oignons. Les restes d'un ancien carnage ondulaient probablement sous le toit au gré des courants d'air. Je décidai d'en finir avec les visions de suaires trempés d'eau bénite sourdant des murs fraîchement repeints de ma chambrette. "Même frustrées, les nonnes sont gentilles. C'est leur métier" ânonnai-je. "Et puis elles ont une réputation à tenir". Nonnes du siècle passé peut-être, figurantes pour foire du trône nenni. ces dames ne se bousculeraient pas pour posséder la pièce en ricanant et en claquant des galoches. Au pire apparaîtrait le fantôme d'une religieuse déguisée en fantôme satanique. Mais ce ne serait qu'innocente galéjade. Au premier cri d'effroi, l'hectoplasme ôterait son masque, remettrait sa cornette et nous ririons de bon coeur. Elle s'en taperait les cuisses à se les traverser.


Mon film de série Z m'extirpa des eaux glauques de l'angoisse pour me plonger dans le bain du sommeil indifférent.

vendredi 1 août 2008

L'épopée des pots


Courbet, L'atelier du peintre, 1855
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Le calvaire, c'est ce jour que je le connus. Un cruciforme sur l'épaule, ma destinée rangée dans une boite à clous, j'allais où le roi Merlin m'avait condamnée à une plinthe infinie. Inutile de vous cacher que l'histoire finit les bras en croix au sommet d'un escabeau. Au bout du rouleau : moi.

Bleu de travail bleu, T-shirt blanc encore blanc, pots de monocouche au bout des bras, je cheminais d'un appartement à l'autre comme à ma fraîche habitude. Ayant sans doute débusqué l'aubaine, l'angoisse pointa le bout de son museau familier. Pour mener à bien ma trajectoire, je dus m'équiper. Impossible de m'enfoncer dans la jungle humaine sans apprêter mes doigts délicats d'ongles à cran d'arrêt. Je me voulais parée d'atours vengeurs : parapluie bulgare au poignet, mors aux dents, vipère au poing et semelles au curare. J'avançais en caressant du dos les reliefs des façades parisiennes. Les passants étaient pour la plupart mal coiffés mais tous semblaient de mèche. Je remarquai vite deux femmes lentes. Evoluant au rythme précédant l'arrêt complet, elle mimaient plutôt bien la balade erratique. Leurs chairs ondulaient avec mollesse devant moi. Leur dos ornait mon horizon d'un irritant rideau. L'ouverture était bien trop mince pour que je m'engouffre sans y laisser quelques plumes. Les pots pesaient de tout leur poids sur quelque phalange indisposée. Une voix de poulet contrarié demanda pardon du fond de mon gosier. Le rideau, tout à son rôle d'écran, ne glissa de côté ni ne frémit. Je voulus me faire fil de fer mais le poids des pots de peinture me ramena à ma roideur frontale. "Laissez-moi passer, crétines des Alpes !" médis-je en mon for intérieur, avant de me rappeler que j'étais née à Grenoble. "Paaar-don", roucoulai-je en mon for extérieur, la voix aspergée d'essence de fleurs roses. Je crois que ce fut mon souffle rageur dans sa nuque qui fit pivoter une des étoffes sur pattes. En franchissant ce cap, une envie de râler se jeta sur moi. Un éprouvant combat eut lieu et je ne m'en sortis pas trop mal, avec quelques grognements sans gravité.
J'atteignis la Grange aux Belles où se trouve mon nouveau nid. Les escaliers de service m'obligèrent à d'égyptiennes contorsions dans le but évident de m'en faire mieux mériter les sommets. "Qu'importe, me dis-je en poussant la porte, ces murs sont miens et je m'en vais y marquer mon territoire en les peinturlurant jusqu'à la nausée".

L'épopée des pots s'arrêta là. Je me rendis vite compte que mon bras, pourtant bien étiré vers le haut, n'atteignait pas les deux mètres soixante-dix. "Qu'importe, me dis-je en peignant la porte, nous nous occuperons des hauteurs une autre fois". C'est au moment où les poils en caressaient la surface afin de l'enduire généreusement de blanc que je compris le sens de la monocouche. On pourrait croire à mono comme unique et à couche comme un dépôt du produit d'une épaisseur suffisante pour couvrir la couleur précédente. Il n'en est rien. Quiconque a déjà utilisé de la peinture monocouche sait parfaitement à quoi je fais allusion. Le terme monocouche renvoie en fait à la première couche, celle que l'on dépose avant toutes les autres. Le fabricant préfère ne pas mentionner ces dernières sur l'étiquette du pot. Manque de place, économie d'imprimerie ou éllision poétique, je ne sais. Toujours est-il que je badigeonnais généreusement mon mur de cuisine, en m'interrogeant sur le nombre de monocouches nécessaires pour venir à bout de la couleur du dessous, qui semblait jouer à "coucou, qui est là ?" malgré mes tentatives répétées d'étouffement par rouleau compresseur à poil long.

A l'heure où vous lisez ces lignes et après plusieurs passages, la monocouche ricane et frétille encore de toutes ses traces. Elle me nargue en ondulant du bassin, comme d'autres rideaux humains. Pas de pot : plus rien dans les miens. Mais demain j'aurai sa peau. Armée d'un escabeau et d'un énième pot, je lui ferai à nouveau subir l'épreuve des guilis verticaux. Mon rouleau à l'assaut, je lui aplatirai la face jusqu'à ce que l'unification du royaume des taches soit en marche.