Je pense être assise dans le sens de la marche. "Si la gare est derrière moi c'est bon signe", me rassuré-je. Je n'ose pas me retourner pour vérifier, des fois que ma rotation entraîne celle du wagon entier.
Je m'appuie contre la vitre et je regarde les compagnons de galère ou passagers encore sur le quai. Un couple s'embrasse. L'homme est si content que ses dents dépassent. Il approche son sourire pour l'appliquer directement sur la face de sa partenaire. La fille se dégage. Elle se retrouve avec le sourire tout collé sur le visage. Il entame un jeu de va et vient du cou, comme pour imiter un pompon de manège titillant l'occiput des enfants qui tentent de l'attraper. Ils se cognent les lèvres plusieurs fois, vérifiant régulièrement qu'ils ont embrassé la bonne personne.
Me voilà flanquée d'une angoisse. J'aimerais crier à la fille qu'elle parte avant qu'il la mange mais trop tard : il dépèce sa gorge à grands coups de canines tandis qu'elle, bâillonnée par le sourire-scotch, ne crie pas. Je tourne la tête.
Le train a démarré et mon chéri, placé quelques wagons plus loin, me rejoint. Nous parlons différentes langues pour nous croire incompris des voisins. Il sait que quelque chose cloche. Le voyage se passe quand même bien, pour peu que j'arrête de réfléchir à ce que je vois. Nous arrivons en gare connue.
"- Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Oh, non tu sais, franchement, j'habite à côté de la gare. Cela étant, est-ce que je peux changer d'avis immédiatement ? Je veux bien que tu fasses un bout de chemin avec moi jusqu'au métro.
- Bien sûr."
Arrivés à ma station, nous prenons congé et je poursuis ma marche. Mes pas convergent de plus en plus avec l'alignement des murs. Il faut dire que les bancs de passants que je croise s'ingénient à me faire des queues de poisson. Des gouttes jouent au toboggan sur mon visage. Les rues sont bordées de molaires à fenêtres et je ne sais lesquelles emprunter. Je me rends compte que j'allonge mon trajet à force d'avancer de réverbère en réverbère. J'ai la tête comme le reste qui n'en finit pas de tourner. Je veux juste rentrer chez moi mais il y a comme un rond-point mental à la Devos qui se répercute dans mes guiboles et m'empêche de me diriger au bon endroit.
Quelques jours plus tard, chez le médecin, nous nous en tapons les cuisses :
-"Wouh, docteur, je suis partie en week-end en oubliant mes antidépresseurs, eh bien c'est quelque chose !
- Ah oui effectivement ! Vous avez eu des flashs non ? Des décharges électriques peut-être ?
- Non, juste des hallucinations et des vertiges. Au moins je m'en souviendrai, fini les oublis.
- C'est pour ça que vous ne devez jamais arrêter le traitement d'un coup. Cela doit se faire progressivement.
- Loin de moi l'envie de rejouer les kamikazes chimiques, croyez-moi."
Aujourd'hui, cela va faire environ trois semaines que j'ai complètement arrêté. Ce fut long mais pas trop difficile. En revanche, la vie l'est toujours. Je constate que je n'arrive plus à aller travailler sans adoucissant cérébral. Comme je ne tire aucune gloire particulière de me passer de ce genre de béquille, j'ai rendez-vous ce soir avec mon médecin pour causer reprise. Il faut bien tenir. Du moins c'est ce que disent les collègues. Et puis, d'après mes calculs, cette année est la dernière de ma vie où j'ai trente-six ans. Autant qu'elle se passe avec les commissures relevées.
(Mais vous avez remarqué ? Dès que j'arrête les cachets je reprends le blog, c'est bizarre ça.)
Je m'appuie contre la vitre et je regarde les compagnons de galère ou passagers encore sur le quai. Un couple s'embrasse. L'homme est si content que ses dents dépassent. Il approche son sourire pour l'appliquer directement sur la face de sa partenaire. La fille se dégage. Elle se retrouve avec le sourire tout collé sur le visage. Il entame un jeu de va et vient du cou, comme pour imiter un pompon de manège titillant l'occiput des enfants qui tentent de l'attraper. Ils se cognent les lèvres plusieurs fois, vérifiant régulièrement qu'ils ont embrassé la bonne personne.
Me voilà flanquée d'une angoisse. J'aimerais crier à la fille qu'elle parte avant qu'il la mange mais trop tard : il dépèce sa gorge à grands coups de canines tandis qu'elle, bâillonnée par le sourire-scotch, ne crie pas. Je tourne la tête.
Le train a démarré et mon chéri, placé quelques wagons plus loin, me rejoint. Nous parlons différentes langues pour nous croire incompris des voisins. Il sait que quelque chose cloche. Le voyage se passe quand même bien, pour peu que j'arrête de réfléchir à ce que je vois. Nous arrivons en gare connue.
"- Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Oh, non tu sais, franchement, j'habite à côté de la gare. Cela étant, est-ce que je peux changer d'avis immédiatement ? Je veux bien que tu fasses un bout de chemin avec moi jusqu'au métro.
- Bien sûr."
Arrivés à ma station, nous prenons congé et je poursuis ma marche. Mes pas convergent de plus en plus avec l'alignement des murs. Il faut dire que les bancs de passants que je croise s'ingénient à me faire des queues de poisson. Des gouttes jouent au toboggan sur mon visage. Les rues sont bordées de molaires à fenêtres et je ne sais lesquelles emprunter. Je me rends compte que j'allonge mon trajet à force d'avancer de réverbère en réverbère. J'ai la tête comme le reste qui n'en finit pas de tourner. Je veux juste rentrer chez moi mais il y a comme un rond-point mental à la Devos qui se répercute dans mes guiboles et m'empêche de me diriger au bon endroit.
Quelques jours plus tard, chez le médecin, nous nous en tapons les cuisses :
-"Wouh, docteur, je suis partie en week-end en oubliant mes antidépresseurs, eh bien c'est quelque chose !
- Ah oui effectivement ! Vous avez eu des flashs non ? Des décharges électriques peut-être ?
- Non, juste des hallucinations et des vertiges. Au moins je m'en souviendrai, fini les oublis.
- C'est pour ça que vous ne devez jamais arrêter le traitement d'un coup. Cela doit se faire progressivement.
- Loin de moi l'envie de rejouer les kamikazes chimiques, croyez-moi."
Aujourd'hui, cela va faire environ trois semaines que j'ai complètement arrêté. Ce fut long mais pas trop difficile. En revanche, la vie l'est toujours. Je constate que je n'arrive plus à aller travailler sans adoucissant cérébral. Comme je ne tire aucune gloire particulière de me passer de ce genre de béquille, j'ai rendez-vous ce soir avec mon médecin pour causer reprise. Il faut bien tenir. Du moins c'est ce que disent les collègues. Et puis, d'après mes calculs, cette année est la dernière de ma vie où j'ai trente-six ans. Autant qu'elle se passe avec les commissures relevées.
(Mais vous avez remarqué ? Dès que j'arrête les cachets je reprends le blog, c'est bizarre ça.)