lundi 29 septembre 2008

Profonde Marie-Georges ?

Taddeo Zuccaro, La décollation de Saint Jean-Baptiste, 1560

Je dirais même plus : Marie-Georges Profonde ?
Au détour d'un commentaire chez Zoridae, monsieur Poireau m'a un jour demandé d'où venait mon nom. "Es-tu l'amie de Jacques Facial ?" s'interrogea un autre blogueur.
Cher monsieur Poireau, comment vous démontrer que je n'aurais pu trouver plus adéquat pseudonyme ? Je veux dire : oui, c'est avec joie que j'accepte de vous en narrer l'origine et vous dire combien il me sied, comme le gant va à la main, la vache au taureau, le veau à l'abattoir.

Je l'ai adopté (le nom, pas le veau) pour plusieurs raisons. Un prénom tant masculin que féminin, une consonnance politique (grâce à madame Buffet) et racoleuse (après coup je souligne son utilité pour attirer quelques brebis égarées de Google et feindre dans mes stats une multiplicité de visiteurs), un soupçon d'oralité freudienne et un jeu de mot à la noix, ce nom est un concentré de ce qui me caractérise.

En réalité il ne date pas du blog. Marie-Georges Profonde était une des protagonistes d'une méthode d'apprentissage du français que nous avions inventée, mes collègues et moi, alors que nous enseignions à Séoul. Las de prêcher une grammaire impossible et des leçons de "civilisation" fleurant bon le camembert et le Chanel 5 sur fond de photos de côte d'azur, nous rédigions à nos heures libres dialogues improbables et exercices stupides afin de nous détendre.

Toute méthode de langue comporte des personnages pittoresques, avec leur fiche d'identité en préambule, leurs dialogues au début de chaque double page, d'où découle une leçon de grammaire et un thème de civilisation. Nous suivions scrupuleusement cet ordre canonique. Notre manuel s'appelait "La méthode pour rien". Je restitue ci-après ce qu'il me reste de nos identités. Pour l'heure, ma mémoire flanche concernant les comparses de Marie-Georges. Mais lorsque j'aurai remis la main sur cet ouvrage d'inutilité publique, je le brandirai à la face du monde en en diffusant les dispensables enseignements.

Nom : Profonde
Prénom : Marie-Georges
Âge : moins de 26 ans
Profession : agent d'ambiance dans l'ascenseur du Crédit Lyonnais de Séoul
signe particulier : secrètement communiste, se transforme la nuit en Super-Hue

Nom : Lavoinée
Prénom : Arlette
Âge : moins que ça
Signe particulier : secrètement catholique (collectionne les chapelets)

Nom : Philou
Profession : tourneur fraiseur sur fromage à l'ambassade de France de Séoul

Nom : Degôche
Prénom : Grosscônne
signe particulier : secrètement de droite.

Ces héros se croisaient régulièrement à Carrefour. De leurs rencontres naissaient dialogues de sourds et répliques alambiquées, chargées d'objectifs linguistico-culturels au service de la leçon à venir. Comme dans les vrais manuels.

Extrait de dialogue :
Au rayon foie gras
"- Stop ! Arrêtez ! Halte au génocide des volatiles de Noël !
- Qui êtes-vous ?
- Je m'appelle Arlette Lavoinée, j'ai moins que ça. Et Vous ?
- Je m'appelle Grossconne Degôche.
- Vous êtes noble ?"

Exercice de civilisation : "La France compte plus de 350 fromages. Citez-les un par un."
Exercice de syntaxe : "Mettez rien à la place des trous. 1 Chirac, il fait ..... qu'à dire des conneries. 2- J'en ai .... à foutre." etc.
Exercice de phonétique : "Apprenez à distinguer le son /m/ du son /R/. Répétez plusieurs fois : J'parie ma culotte. J'pas mis ma culotte."

Faites-moi dire ce que je n'ai pas dit : les vrais manuels de français langue étrangère sont à peine mieux faits.

L'aventure prit fin en 2001 lorsque je revins du pays du matin calme, après avoir contribué pendant un an à la diffusion de cette culture qui nous étreint tous ici dès le réveil : romantisme, menus de la Tour d'Argent et haute couture. Quant à Marie-Georges Profonde, elle ne reprit du service qu'à l'ouverture du présent blog, en avril 2008.

dimanche 28 septembre 2008

Trop la classe

Jeudi, école maternelle Truc

- "Ravie de te rencontrer. On ne se connaîtra probablement jamais car tu es là une fois par semaine et on ne se croise pas ce jour-là. Prends de la distance avec tout : personne ne reconnaîtra ton travail. Apprends à te détendre : il faut que tu tiennes toute l'année. Et puis les enfants ont besoin de voir un adulte épanoui. Contente de t'avoir connue."
Il y a des gens, comme cette collègue, qui ont trop la classe. Moi j'ai juste trop de classes. 4 cette année, ce qui fait 4 écoles, 4 directrices, 4 équipes, 4 collègues qui bossent à 75%, et avec qui avoir une correspondance chaque semaine pour caler mes cours dans leur programme, 4 réunions de rentrée, 4x27 élèves. Je ne suis pas remplaçante, je n'ai aucune compensation financière au surcroît de travail que cela représente (ça a existé mais ça n'est plus, la satisfaction de mener à bien sa mission de service public primant forcément sur l'appât du gain), c'est comme ça et c'est juste une mauvaise année à passer.


Vendredi, école élémentaire Machin

- "Tu sais, la directrice est pas du tout comme ça d'habitude, là elle était stressée parce qu'on doit mettre en place le soutien. C'est pour ça qu'elle s'est énervée. C'était pas contre toi".
Je me doute mais lui en veux un peu quand même. Elle me reproche le fait que ma collègue ne m'ait pas téléphoné pour me parler du soutien. Je ne peux qu'hausser les épaules. Elle insiste. Je n'y suis toujours pour rien. Elle commence à se lamenter qu'elle travaille trop alors comment voulez-vous si en plus... Je décide d'entrer dans la danse histoire de me défouler aussi. Tant pis pour l'ambiance. Je lui dis que j'ai fait 4 réunions de parents, elle réplique "et moi 5" avec la mauvaise foi de la dirlo qui est, dans les faits, passée se présenter 10 minutes dans chaque réunion. Je rétorque "j'ai 4 classes", elle surenchérit "j'ai travaillé tout le mercredi et le samedi". Euh pareil pis toi t'as pas de cours à préparer, t'as pas de classe, nananère bon ok je me tais histoire d'enrayer le moulin à plaintes. Les collègues sont liquéfiés sur leur chaise, les plus anciens tentent de la calmer en lui répétant que je n'étais pas là cette semaine, que je ne peux pas savoir ce qu'elle me demande, que ma collègue lui donnera un papier etc.

Le même jour, effervescence devant la photocopieuse dès 8h00. Tout le monde a des copies à faire pour ses élèves. "Je t'en prie", dis-je à la collègue qui me précède et me le fait remarquer au cas où je ne l'aurais pas vue. Elle me sourit et plaisante : "Oh mais j'y vais même si tu ne m'en pries pas !". Je devrais m'esclaffer, je pleure. Elles sont deux à ouvrir des yeux ronds comme des billes. "Ca va ?" me demandent-elles doucement. "Oui. Pleure quand manque de sommeil, me suis levée à 6 heures. Moral d'acier, juste fatigue." Ce n'est presque pas mentir.

Je suis une pleureuse assidue. Malheureuse non, je larmoie fréquemment, c'est tout. Joie, colère, tristesse, tout s'arrose. J'ai découvert ça avec une psychothérapie. J'ai passé 3 ans, à raison d'une à deux fois par semaine, à pleurer pendant 30 minutes et à payer à la fin. C'était un brin surréaliste. La conclusion s'est imposée : pas grave, c'est comme ça. Toujours atteinte d'épanchement lacrymal récurrent, je ne suis pas déprimée le moins du monde. Ma vie est belle et bien remplie, pas seulement par mon travail. Mais une conjonction d'éléments m'a empêchée de préparer mes classes. Avoir des situations d'apprentissage à proposer aux élèves, vous pensez que c'est l'essentiel du travail du prof, n'est-ce pas ? Je suis de votre avis. Dans un monde simple, l'enseignant peut organiser ses cours et ses corrections de cahiers.
Cette semaine donc, on eut dit que tout s'était organisé pour plonger mes prépas dans l'eau de la fontaine pétrifiante. Je vous passe les soucis purement techniques "Bah qu'est-ce qu'il a cet ordi ?! Je dois imprimer argh ça sonne". Stupeur enclenchée, sécrétions oculaires parées au décollage...
Tout ce que je demande à mes larmes, c'est qu'elles ne se pointent pas devant les élèves. La veille, c'était hélas pendant que je surveillais la récré mais comme je porte des lentilles, j'avais pu feindre une anodine irritation de la cornée. Là, meubles sauvés une fois de plus : 5 minutes après le blues de la photocopieuse, je menais ma classe victorieusement. Yeux de lapin insomniaque mués en prunelles assassines, regards noirs décochés à l'arbalète aux zozos sortant du rang et sourire conquérant de la maîtresse qui a moult choses à leur apprendre. La maîtresse, elle maîtrise. Elle assure, elle a tout prévu.
Ce qui me rend dingue, c'est lorsque l'Education nationale se laisse pousser la barbe kafkaïenne. "Réponds présente partout, Marie-Georges, nous n'avons pas besoin de ton avis mais tu dois être là. Tes préparations de cours, ce n'est pas notre problème." Les priorités deviennent secondaires. Panique à bord : nous devons organiser le soutien tout de suite. C'était pour le 3 octobre, mais les gens d'en haut ont vociféré : ça n'est plus pour octobre, c'était pour hier. Rendez vos copies et que ça saute ! Qui fait quoi quand et avec quels élèves ? Quid des 108 heures des samedis que nous vous avons enlevées ? Viendrez-vous le mercredi ? Soutien à midi ? Le soir ? Les élèves en difficulté seront ravis de se coltiner du soutien pendant que le reste de la classe criera "ouaiiiiiis c'est la récré !!" en galopant dans le couloir. On les prive de pause repas ou de pause goûter ? Nous hésitons. Assez réfléchi, on veut des tableaux remplis avec des heures !
Réunion de parents jeudi soir jusqu'à 19h30 (découverte professionnelle : être au boulot de 8h à 19h30 dont 6 heures avec enfants, ça fatigue), dans laquelle je fis acte de présence car, comme vous le savez, on ne me demande rien, je suis simplement la maîtresse du vendredi ; réunion le lendemain à 12h15 alors que je comptais mettre à profit la pause déjeuner pour enfin trouver des documents intéressants pour les élèves. On m'a sommée d'être là, là, là et puis là, rien d'autre. Vous avez déjà essayé d'être là là là devant des élèves pendant 6 heures sans avoir pu préparer quoi que ce soit avant ? Heureusement, j'ai l'expérience du théâtre d'impro et surtout, un reliquat d'exercices de la semaine passée. J'ai joué la comédie de la rigueur, de la cohérence, j'ai aboyé "dépêchez-vous, le programme est chargé aujourd'hui, vous avez plein de choses à faire !" tandis que mon journal de bord était d'un blanc étincelant. C'était beau comme une pièce de Ionesco.

Dimanche, maison

"Scorpions : mettez à profit cette journée pour ne rien faire."
Purée, heureusement que ça tombe un dimanche. C'est bien foutu, les planètes.

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mercredi 24 septembre 2008

123 de 5 à 11

Fragonard, La liseuse, 1771

Argh, Zoridae attaque ! L'inspiratrice et mère nourricière de ce blog a saisi une bombe de peinture aérosol et m'a tagué un immense "123" dans le dos. Un tag connu comme le loup blanc. Y'en a même qui l'ont reçu et qui, au lieu de s'y atteler, partent loin, comme si de rien n'était. Tsss ! Ce n'est pas joli joli, madame Audine. Car moi, face à l'appel de la ville blanche, nul doute que je rétorquerais illico "je peux pas, j'ai tag".
D'autres petits malins ont voulu court-circuiter le présent tag en m'en proposant un autre : "expliquer la fin de 2001, odyssée de l'espace". Le perfide, sans doute au courant de mon agoraphobie galopante, se gausse d'avance de me voir liquéfiée à la revoyure de la machine à régurgiter des cosmonautes dans l'espace. Il a quand même trouvé un comparse prêt à se coltiner le sujet : un gars qui se dissout chaque matin dans l'espace de sa cafetière. D'autres prétendent avoir toujours voulu écrire sur le sujet. Si ce n'est pas un complot organisé pour que je me vautre dans l'impossible, tête la première et nez dans le ruisseau, ça y ressemble bigrement.

Le tag que j'honore aujourd'hui est très structuré. Je me dois d'en copier ci-après le

Règlement :

  1. citer la personne qui vous a tagué et mettre un lien vers son blog ;
  2. indiquer le règlement du jeu ;
  3. ouvrir un livre que l'on aime à la page 123 ;
  4. recopier à partir de la cinquième phrase et les cinq phrases suivantes ;
  5. indiquer le titre du livre, le nom de l'auteur, de l'éditeur, ainsi que l'année d'édition ;
  6. taguer 4 personnes dont vous souhaitez connaître les lectures et les avertir sur leur blog.
Ceux qui l'ont fait l'ont vu : l'exercice est rageant. Ce n'est pas son livre préféré qui possède la plus belle page 123. En ce qui concerne mes lectures, La beauté malade de D.H. Lawrence n'en possède pas tant et Le château de Kafka ressemble trop au dernier article de Balmeyer à cet endroit précis (la cafetière comme figure filée dans l'art de l'absurde ?). Quant au Capital de Marx, il ne présente là que 4 phrases, la page étant occupée par des notes qui en rongent les trois-quarts.
Voici donc l'extrait de la 5è à la 11è phrase que j'ai décidé de reproduire ici, parmi toutes les pages 123 que je me suis tapées hier (non sans un certain plaisir, j'avoue) :

"- Daniel, vous êtes blanc comme une cuisse de bonne soeur. Tout va bien ?
Un souffle invisible balayait les rangées de fauteuils.
- Drôle d'odeur, commenta Fermin Romero de Torres. Ca sent le pet rance, de notaire ou de procureur.
- Non, ça sent le papier brûlé."
Carlos Ruiz Zafon, L'ombre du vent, Paris, ed. Grasset, 2001.

Je tague à mon tour Nataloup, qui a bien d'autres chats à fouetter et classe à aménager mais tant pis, je suis sans pitié, Hélène, qui j'espère aura loisir de le faire sitôt que son bout de chou sera sur pieds (courage !), Amapola77 qui connaît la joie des classes surchargées et Fab-Fab, parce que je ne l'ai jamais embêté, tiens. A vos pages, prêts, taguez !

samedi 20 septembre 2008

Grange aux Belles

Seurat, Une baignade, Asnières, 1884

Zoridae a décrit mon Paris familier et vivant. Vous savez, celui de ses habitants et de ceux qui viennent y travailler, pas la carte postale. Son texte est saisissant de vie. Je l’appelle désormais Zola-dae parce qu'elle nous engloutit de ses mandibules à mots et nous voilà dans le ventre de Paris.

Elle me suggère d’écrire aussi sur cette ville. Voici donc un texte sur un lieu qui m’est encore un peu étranger : mon nouveau quartier, le pont tournant de la Grange aux Belles. Ici ce n’est pas la vie parisienne, c’est le brouhaha en suspens, un refuge, un lieu de glande, un immense bac à sable avec jeux aquatiques. On y est en goguette, on s’y rejoint. Même la circulation peine à rester infernale, régulièrement soumise à la mécanique du pont qui pivote avec majesté pour laisser passer les bateaux.

En sortant de chez moi, je lâche la porte de bois qui insiste pour se fermer seule et me dirige vers le canal. Je suis contente parce que je tombe d’abord nez à feuille avec divers arbustes en pot. Mes trajets débutent toujours par la traversée d’un bosquet bariolé embaumant le terreau. Depuis que j’habite Paris, mes joies sont simples. Je peux trouver la vie belle parce qu’une brassée d’azalées me considère de tous ses yeux.
Mi-gérant, mi-ornement, le fleuriste est assis parmi les plantes de sa devanture. Il a un décolleté que mes copines me racontent quand elles viennent me rendre visite. A côté, la récup’ optimisée en guise de déco à vendre emplit une vitrine éteinte. De vieux meubles repeints en violet vif. Il n’y a personne. Un sifflement d’admiration retentit : on vient d’entrer chez l’épicier. La foule est plus loin, aux terrasses que j’évite en empruntant la chaussée. Devant le PMU, on est plus masculin et âgé qu’au bord de l’eau. Deux tenanciers chinois encaissent argent et provocations d’un client, ivre de rouge et de désir pour le jeune homme qui vend du tabac. A l’angle de ma rue et du quai, des tables plus lourdes où des couples élégants se font servir de grandes assiettes presque vides. Ils se tiennent droit et absorbent pour la plupart un petit pavé de purée verte.

Je traverse en lançant un regard noir au cycliste qui avance à l’intuition. C’est une zone où les badauds ont le globe oculaire qui s’affole. Ils marquent dans leur pas l’hésitation à modifier leur trajectoire. Un bruit animal entre en dissonance avec la rumeur de la ville. Des femmes seules passent en face. Objet du trouble, un homme s’ingénie à couvrir le flot de l’écluse. Les deux débits rivalisent et chuintent de concert. Il crie sur un ton de fin du monde qu’il connaît le paradis et qu’il est enceinte d’amour. Des enfants se tournent vers leurs parents pour partager leur amusement. Il me dit ça à moi. Je le regarde, il me fixe sans me voir puis se tourne pour continuer son message à l’air libre. Il ne veut pas déranger, juste hurler ce qui le point sur le pont. Je me demande s’il existe une association Psychiatres Sans Frontière. Je me dis que le soutien psychologique est un soin de riches, un truc pour mangeurs de pavés verts.

A présent derrière moi, le vociférant pacifiste disparaît derrière des grappes se mouvant tous rires dehors. Des paquets de genoux, de mains, de cheveux trinquent à même le sol sur les quais. L’eau absorbe les regards solitaires. Douce, la nappe du canal miroite entre deux haies d’humains. Chacun semble tirer vers soi la couverture de cette quiétude liquide. J’en attrape un bout et me dissous un moment dans la mollesse partagée.

mercredi 17 septembre 2008

Mars sur la pointe des pieds

Le Tintoret, Mars, Vénus et Vulcain, 1551

Je n'ai rien écrit. Voici un texte de l'excellent Daniel Arasse, causant de cette peinture à une dame qui a écrit sur la même oeuvre mais n'a pas du tout vu la même histoire.
(J'en profite pour rendre hommage à des blogs de garçons. Parce qu'ils m'ont tout appris, jusqu'à l'existence du verbe linker. Il fallait donc que je vous linkasse.)

"Parce que ce tableau est comique. Excuse-moi d'insister, Giulia, mais il le faut puisque l'idée ne t'a pas effleurée - et tant pis si je suis un peu lourd ! Mars est ridicule, caché sous la table comme l'amant dans le placard. Vulcain est comique, qui s'y laisse prendre une fois de plus, aveuglé par la fente de Vénus. Comique aussi, le roquet qui aboie avec rage en vain. Même Cupidon endormi est comique : épuisé par ses propres efforts, il s'est vaincu lui-même (ce n'est plus Omnia vincit Amor, mais Amorem vincit Amor). Le vase de verre posé sur le rebord de la fenêtre est plus subtil, parce que plus irrévérencieux sans doute : il fait sourire car il évoque irrésistiblement la transparence du vase virginal de Marie "qui-n'a-jamais-connu-d'homme". Et même la construction perspective pourrait bien avoir un rôle comique latent : elle dramatise la scène en conduisant le regard vers la porte par où Vulcain est entré, mais elle mène, du même coup d'oeil et dans un mouvement souligné par l'index pointé de Mars, vers un four manifestement éteint. Celui de Vulcain ? ou celui de Vénus, que Vulcain va devoir, après l'avoir refroidi par sa propre faute, s'employer à rallumer ?


Finalement, seule Vénus n'est pas vraiment drôle. Elle se trouve, sans doute, dans une situation inconfortable ; elle a risqué l'humiliation et le ridicule. Mais, une fois de plus et contrairement à ce que raconte Ovide, elle va s'en tirer au moindre effort - sinon au moindre prix : combien coûte une passe avec Vénus ? Quel cadeau va lui faire son mari satisfait ? En tout cas, ce n'est pas cette fois que Vulcain l'attrapera et fera rire tous les dieux à ses dépens. Occupé comme il va l'être, il ne verra ni n'entendra Mars sortir sur la pointe des pieds de son armure.


Or, si cette fable a une moralité - grivoise, bien sûr, et machiste -, c'est là qu'elle réside : toutes les mêmes, ces femmes, des catins, des séductrices qui nous trompent, nous les hommes, qui exploitent notre aveuglement, qui se jouent de nous et de notre désir, qui nous mènent par le bout du nez (du sexe, en fait) et nous ramènent au rang soit de jeunes butors obligés de se cacher sous une table, soit de cocus contents."
Daniel Arasse, On n'y voit rien, ed. Denoël, 2000, pp. 21-22.

samedi 13 septembre 2008

Ciel bouché

Simone Martini, Annonciation, 1333


Je ne suis pas croyante. Benoît 16 peut bien aller minauder en robe blanche sur la nationale 7, il m'émeut peu. Normal : je ne suis pas croyante, je vous ai dit. J'estime quand même que les dieux lucréciens, bien que se moquant de nous comme de leur premier miracle, pourraient jouer au planté de trident en pleine chair pontificale lorsque le saint père postillonne des âneries à propos des laïcs.

Je ne suis pas croyante. Qu'on ne se méprenne pas : je ne crache pas sur les dons divins. Je ne pousse pas l'impiété jusqu'à l'ingratitude. Je m'en voudrais si Dieu - tout inexistant soit-il - me rayait de sa liste des candidats au voeu réalisé. Je prie comme d'aucuns remplissent leur grille de loto, mue par une curiosité intéressée.

Quoiqu'athée, j'ai observé un phénomène tout à fait transcendant dans mes escaliers : depuis que j'habite au dernier étage, le ciel m'entend mieux. Vous me ferez remarquer la platitude de ma transcendance. Je sais. Mathématiquement, le phénomène se justifie pleinement. Je ne suis pas stupide : je connais la vitesse du son. Mais tout de même, ce n'est pas rien. Dire qu'il suffisait d'un étage de plus pour être à peu près exaucée. J'ai bien fait de déménager.

Non pas que je l'implore tant que ça, le gars de la régie céleste. Mais il m'arrive, au cours de ruminations profondes, de me faire remarquer à moi-même que je voudrais bien tel ou tel obscur objet. Cela se traduit souvent par une exclamation frappée au coin de la paranoïa, où je constate une chose : tout le monde possède ce que je désire, sauf moi. C'est agaçant. Alors mes neurones s'énervent. Ils hurlent à m'en crever les tympans que ce n'est pas juste et que je veux la même chose. Hé bien croyez-le ou non mais ces derniers temps, une fois la commande formulée, Dieu joue à Dominus pizza avec moi. Livrée derechef je suis.

Las, le traitement céleste de mes réclamations a du progrès à faire. Le ciel s'avère être dur de la feuille. A moins que ce ne soient mes neurones qui articulent mal. Je penche plutôt pour l'explication rationnelle : mon immeuble ne comptant que 4 étages, c'est encore un peu juste pour bien m'entendre de si loin. Oh, je pourrais me fendre d'un pélerinage sur la tour Eiffel ou d'un baptême en planeur, mais je ne suis pas croyante. Alors je reste là, sur mon palier, à commander mon homme idéal, puis à renvoyer les erreurs de livraison. Dieu fait ce qu'il peut, et c'est déjà beaucoup quand on entend mal et qu'on n'existe pas. Le résultat est édifiant : je crois avoir frôlé un bout de vérité révélée. Etant donné la gueule de la réponse divine, je me demande si Dieu ne serait pas, tout bonnement, la manifestation transfigurée du professeur Tournesol.

vendredi 12 septembre 2008

Tag raté, t'as gagné

Guido Reni, Le couronnement de la Vierge, 1595
Je t'aime bien Britbrit. Mais toi, traîtresse, pourquoi m'as-tu fait ça ?
Au début je me suis dit "chouette, du grain à moudre". Du grain qui craint, oui ! Et puis finalement. Ca tombe rudement bien, ce prix que je reçois et que je suis censée refiler aussitôt à 7 blogueurs. La tubercule ébouillantée de la gloire, en somme. Au moins cette saleté ne trônera pas longtemps sur ma cheminée virtuelle. Et puis j'ai des blogueurs à féliciter plein l'escarcelle. Alors structurons un peu le machin :
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1- Haaan, fallait pas Britbrit, mersnif, c'est le plus beautiful tag de mein vida, etc.
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2- Alors euh je décerne ce prix à :
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- Nicolas. Parce qu'il ne fera pas suivre ce tag un peu biesse, lui. Mais surtout : parce qu'invoquer l'arrêté d'interdiction des soutanes du Kremlin-Bicêtre pour faire coffrer le pape lors de sa venue, c'était sacrément bien vu.
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- Gaël, pour décorer le bateau sur lequel il nous a embarqués un jour.
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- Mademoiselle Ciguë, pour m'avoir fait fantasmer ces derniers jours.
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- Zoridae, pour son écriture, en espérant qu'elle ne mettra pas cette horreur sur son beau blog.
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- Malbeyer, pour ses efforts réguliers en orthographe et ses couts de colaire.
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- Monsieur Poireau pour ses conseils judicieux en matière de détournement de fichage.
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- Dorham, parce que vraiment, il faut le lire pour le croire.
J'ai droit qu'à 7 ? Soufflez, les autres, vous avez échappé à ça : afficher le prix. Tadaaa :
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Epilogue : le boulet de l'Education nationale s'avère être également un boulet du web. Impossible de coller cette fichue image ici. Remarquez, c'est pas plus mal. Britbrit ? C'est pas de ma faute !

mercredi 10 septembre 2008

Le temps d'une nuit

Le Bernin, L'extase de sainte Thérèse, 1652

A l'époque, il y a deux ans de ça, c'était bien. Nos lèvres s'étaient jointes et dès lors je ne voyais pas pourquoi nous aurions à cesser de nous embrasser. Boire, manger, parler avec les gens que j'aime, autant d'activités vitales que je me voyais abandonner à jamais pour cause de bouche en dérangement. Embrassée et embarrassée de savoir qu'il faudrait bien arrêter avant de mourir. Certes mais à ce moment-là, mourir, c'était très secondaire. Cela aurait pu arriver sans que je n'y prête attention.

Les cigales pouvaient bien redoubler leur raffut, les étoiles cligner et se mouvoir de côté, l'herbe sèche embaumer ma veste, mes sens n'étaient guère distraits par ce décor hors du quotidien. J'étais trop occupée à chercher par quelle contorsion ma peau aurait pu épouser entièrement la sienne.

Je ne sais pas combien de temps nous passâmes à profiter de la douceur d'être ensemble. En tout cas, j'étais persuadée que nous occuperions l'éternité de nos vies à continuer. Vous comprenez quoi, quand celui que vous désirez vous embrasse pour la première fois. Celui que j'admirais et avec qui j'aimais parler se révélait être un délicieux amant. Je vous fais un dessin ? Pardon, vous aviez compris.

J'étais amoureuse.

La suite est simple : il n'y en a pas. Il avait déjà quelqu'un.

L'apprendre après avoir goûté à l'illusion est un peu brutal. Mais comme on dit, y'a pas mort d'homme. On se relève, on réajuste son soutif, on époussète sa veste, et on s'en va d'un air digne. Je ne veux pas d'un demi-homme, moi. Je ne me contenterai pas des miettes laissées par l'officielle. Il l'a bien compris. Il s'est étonné que je ne sois pas dans la même situation. Il croyait que je trompais mon mari. Que pouvait bien faire une fille comme moi toute seule, etc. Sauf qu'une fille comme moi n'a d'yeux que pour son homme, sinon elle ne reste pas avec. Bref.

Vous voilà bien : Marie-Georges vous narre une historiette vieille comme Hérode. Non. Après quelques mois sans nouvelles, il est venu me voir plusieurs fois ces jours-ci. Sa disponibilité m'a intriguée mais je n'ai rien osé demander. J'ai retenu mes mains et ma bouche qui parfois avançaient tout seuls vers lui. Le pacte de non adhérence s'annonçait mis à mal. Heureusement, l'ultime secousse émotionnelle fut la colère. Il partit en me demandant de ne pas l'oublier.

Rester seule avec nos souvenirs en guise d'os à ronger tandis que tu seras auprès d'une autre, c'est tout ce que tu me souhaites ?

mercredi 3 septembre 2008

Au commencement était le blog

Pour me lire aujourd'hui, c'est chez Zoridae. Autant vous dire que je ne suis pas peu fière d'être publiée par cette auteure de talent.

mardi 2 septembre 2008

Douleur rentrée

Titien, Vénus d'Urbino, 1538

Ceci juste pour valider, date et heure à l'appui, le fait que les enseignants arriveront à l'école bien plus mal en point que leurs élèves. Ces derniers ont peut-être hâte de mettre leur nouveau pull, de retrouver leurs copains, de faire reluire leur cartable tout raide. Je suis jalouse. En guise de hâte, je me contente d'une insomnie venue me titiller pour rien.


"Ben quoi !", me suis-je écriée à 4h30, yeux ronds, nerfs en boule et ventre raide en guise de nouveau cartable. J'étais en pleine forme. Mon corps avait décidé de me suggérer que c'était maintenant ou jamais, la rentrée. Comme je me voyais mal aller taper des mains dans la cour à 5h du matin, j'ai patienté en parcourant un chapitre d'un livre que ma mère m'avait offert. L'ouvrage en question distille méthodes et conseils pour changer de métier. Elle était institutrice.


Mon petit doigt bientôt plein de craie me dit que Nataloup et Amapola vont publier des choses peu ou prou en rapport avec ce qui vient d'être dit. Ah, les profs qui bloguent...