mercredi 18 août 2010

Harmo(g)nieux

Gérard, L'Amour et Psyché, 1798

Je l'avoue tout de go, j'aime Bernard-Henri Devaux. C'est pourquoi nous convolons en juste blog. Ah, qu'il est doux d'entrelacer nos plumes numériques afin de scribouiller de concert sur un site qui fleure bon la peinture fraîche et le zéro commentaire ! Ne dit-on pas "aimer, c'est s'énerver à deux sur les mêmes sujets" ?

samedi 7 août 2010

Explications

Courbet, L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale), 1855

par mail

- "Cher papa, tu es injoignable par téléphone ! J'ai pris des billets de train pour venir te voir du 21 au 27 juillet. J'espère que cela te convient. Bisous."
- "Ma fille, pourquoi pas mais je suis précisément absent du 21 au 27. Bises."
- "Cher papa, je vais donc annuler et en reprendre deux autres pour la période du 28 juillet au 3 août. Bonnes vacances et à très vite."

sur le site de la sncf
- "Pour annuler vos billets, cliquez sur annuler."
- "Clic"
- "Votre commande a bien été annulée."

le surlendemain
- "Chouette, je viens de recevoir mes billets annulés par courrier. Ils sont bizarres à la sncf mais ils sont drôlement rapides en tout cas."

sur une page du site, en petits caractères
"Pour le remboursement de billets, munissez-vous de ces derniers et allez dans une gare."

à la gare

- "Bonjour madame, je souhaiterais le remboursement de ce billet.
- Aucun problème, j'ai besoin de l'autre pour cela.
- L'autre ?
- Oui, le retour.
- Mais j'ai cru comprendre qu'il n'était pas remboursable ?
- Tout à fait. Non remboursable, mais indispensable pour rembourser le remboursable.
- Eh bien je ne l'ai pas sur moi.
- Dans ce cas je ne peux rien.
- A vrai dire, je ne sais pas si je l'ai gardé. Si je ne le retrouve pas, que puis-je faire ?
- Ici, de toute façon, nous ne pourrons rien faire sans ce billet. Cependant vous pouvez vous adresser au service clients. Cela prendra un mois, il faut le savoir.
- Bien. Avez-vous l'adresse du service clients ?
- C'est à ce même guichet.
- ...
- Je résume : vous revenez ici avec votre billet non remboursable pour que je puisse rembourser celui qui l'est, et si vous ne le trouvez pas eh bien vous revenez ici, mais je ne pourrai rien pour vous.
- Un peu comme maintenant ?
- Oui mais à ce moment-là, nous procéderons aux démarches pour le service client.
- Dites, je peux peut-être effectuer ces démarches par courrier ?
- Bien sûr.
- Dans ce cas, je veux bien l'adresse s'il vous plaît.
- Vous pouvez en effet trouver l'adresse sur notre site internet."

Je regarde l'écran de l'ordinateur de la dame, visiblement connecté sur ledit site. Je me dis qu'il doit y avoir un protocole extrêmement pensé indiquant qu'il vaut mieux renvoyer un usager chercher l'information par lui-même plutôt que de la lui donner bêtement. Je suis rentrée en constatant chez moi le même phénomène qui survient après une lecture d'article de presse féminine : une sorte de litanie explicative insensée déguisée en réponse dansait dans mon espace crânien.

mercredi 4 août 2010

Prise de vie


Picasso, la nageuse, 1929


Je me sens bizarre et j'ai encore perdu ma notice, c'est pénible ; je voudrais juste vérifier un truc au chapitre "effets indésirables". Ah, la voilà.

"Qu'est-ce que LA VIE NORMALE et dans quels cas l'utiliser ?"

Bon ça je sais. La vie normale, ça se prend avant chaque sortie et ça sert à avoir l'air comme les autres.

"Quels sont les effets indésirables éventuels ?
Comme toutes les formes de vie, LA VIE NORMALE est susceptible d'avoir des effets indésirables, bien que tout le monde n'y soit pas sujet :
- poussée d'air renfrogné sur le visage ;
- akathisie en période de vacances, parfois associée à une apathie au travail ;
- bavardages internes aggravés avec accroissement du débit aux heures de repos ;
- visites d'anciennes connaissances non souhaitées voire gênantes."


Me voici soulagée : les tous récents événements du dedans de moi ne seraient pas pathologiques mais semblent consécutifs à mon nouveau traitement. Ce dernier est heureusement aisé à suivre : rien le matin, rien le midi, rien le soir, et tout ça trois fois par jour.
Depuis que j'ai commencé, je me sens comme Perrette et son pot aux roses, la tête surmontée d'une outre débordant d'idées brunâtres. J'essaie de filer droit pour éviter l'écoulement intempestif du liquide sombre et haut parlant. J'ai en effet le verbe interne abondant. Qu'est-ce que ça cause là-dedans ! Ma cure précédente, à base de sourdines de l'esprit en poudre, m'avait fait oublier cet élément constitutif du moi mal vissé.
Ne pas déprimer, c'est donc avoir une tête qui la boucle et se tient droite en attendant les consignes. Hé bien il était temps que j'arrête. J'étais en train de perdre des amis de toujours : le boxeur nocturne, le chansonnier phobique, le brodeur de scenarii outrés, la cantatrice miséreuse, le conteur d'histoires à veiller couché, la vendeuse de crayons déminés, le rémouleur de nerfs, l'éplucheuse des sens, que ferais-je sans eux ?
Aujourd'hui, cela fait une semaine que les derniers débris de joie chimique se sont dilués dans mes veines. Depuis lors, grisée par nos retrouvailles, encastrée dans le mou strapontin du moi-même, je contemple d'un œil attendri ma troupe d'infortune qui a repris place sur la grande scène cérébrale illuminée pour l'occasion, en attendant l'overdose.