mardi 28 octobre 2008

Gérontophile

Ensor, Portrait du père de l'artiste, 1881

Je suis restée bête et béate à cause d'un vieux.
Qu'avait-il fait pour me mettre en joie ? Rien d'autre que d'être vieux.
C'est ainsi.
Je l'ai vu. Tout a changé. Mes commissures ont commencé à toucher mes oreilles. J'ai relu mon billet. Voiture 16, place 18, fenêtre.
Je me suis assise à côté de lui.
Je devais avoir l'air d'une illuminée : je souriais comme si la malédiction du clocher m'avait frappée en pleine grimace. J'avais l'impression que j'étais née comme ça, avec une bouche qui remonte toute seule, comme une balise de la mer morte.
Son ventre semblait tenir la tablette devant lui, sur laquelle était posé un journal : la montagne. Un vieil auvergnat, donc.
Quand le vendeur de boissons est devenu audible, je l'ai senti se redresser. J'ai fait pareil. Je voulais tout faire comme lui.
Il a commandé un café. J'ai regretté ne pouvoir l'imiter. "C'est malin, tu bois du café d'habitude." Je maudissais celui pris à grandes tasses quelques heures auparavant. Il m'avait vaccinée. Il faut dire que le café de mon papa, il est comme lui : c'est le plus fort. A la surface, on croit voir ses gènes italiens ricaner dans du pétrole. Quand on en a bu un, on décline tous les suivants du jour.
"Zut, je ne pourrai pas entamer une conversation sur le café de la sncf !", déplorai-je intérieurement. Puis je questionnai l'ambulant :
"- Qu'est-ce que vous avez, en barres chocolatées ?"
Je me félicitai intérieurement. "Bien joué ! Ca fait vieux ça, barre chocolatée." Je regardai mon voisin mais il ne saisit pas cette perche intergénérationnelle.
Je voulus ensuite lui proposer un de mes triangles au nougat mais me ravisai : "malheureuse, il a sûrement un dentier !"
Je me retins de finir la friandise, pour avoir l'air d'une fille bien. Au lieu de me faire remarquer que j'étais une fille bien, il toisa l'effort en ouvrant son journal.
Un intérêt sembla naître lorsqu'il me vit chercher une poubelle. Accoudoir, rebords, radiateur, mon index tentait de soulever tout ce qui pouvait imiter un couvercle de poubelle design. Ses yeux suivaient ma main. Il cherchait à travers moi. Nous étions enfin ensemble. Je trouvai un cylindre à ordures entre nous et y jetai mon papier. Sa vigilance retomba.
Peu de temps après, l'ingrat utilisa la poubelle en feignant connaître son existence ainsi que le sens d'ouverture du couvercle depuis des temps immémoriaux.
Je me suis vengée en fourrant mes oreilles d'écouteurs MP3.
Je me suis injecté le fou chantant dans les conduits et j'ai regardé les vaches filer à toute allure. Je souriais désespérément.

Puisqu'on parle des anciens, j'en profite pour souhaiter un bon anniversaire à PMÂ, à ne pas confondre avec PMA, qui est né plus tard, ainsi qu'à PLR, même si ces trois blogs ont le même prolifique papa : Nicolas.

dimanche 26 octobre 2008

Pas drôle

David, Le serment des Horaces, 1785

Demain, c'est mon anniversaire. Je dis ça juste dans l'espoir d'avoir un lien chez Nicolas. Et de me faire plaindre.
Vous parlez d'un cadeau : trois blogs cessent leur activité. Dorham et So dilettante sont surbookés, et Mtislav veut relouer. Sans les textes extras du premier, les loufoqueries technico-artistiques de la deuxième et les parodies du troisième, mon paysage bloguesque sera moins chatoyant.
J'en profite pour signaler à celles et ceux, mais aussi ceux-là, qui ne l'ont pas encore fait, qu'un billet récent serait apprécié. Siouplaît ! D'accord, j'attends. Heureusement, bon nombre de blogs que j'aime continuent envers, contre tout et malgré la crise à nous couvrir de billets, ouf !
maj du 27 octobre : Wouah, j'ai eu droit à de beaux articles, nichés parmi d'autres beaux articles ! ! Merci messieurs Gaël, Nicolas et Mathieu l. ! Merci mamzelle Flo Py et son rock-noz à faire sautiller un menhir !

vendredi 24 octobre 2008

Amphore de France

Dubuffet, Monsieur Plume plis au pantalon
(portrait d'henri Michaux), 1947

Ce soir, je suis allée écouter Marie-Georges.

Une amie, qui tenait absolument à fêter mon anniversaire aujourd'hui malgré mes protestations ("ce n'est pas mon anniversaire" me semblait pourtant imparable), m'avait concocté un bouquet de réjouissances : un repas original se terminant par une soirée Buffet.

Niveau bouffe, je fus comblée par un plat complet : le riz aux lardons façon bicéphale.

Il s'agit d'une recette qui, dans la tête de celle qui l'initie, est un plat asiatique très relevé. S'inquiétant de la surdose de piment jetée dans la casserole, la chef laisse ensuite place à son compagnon qui, sans doute féru de cuisine normande, prend soin d'élaborer une sauce crème-sucre censée adoucir l'ensemble. Vous vous retrouvez à table avec un genre de crème caramel pimentée à la paysanne et un couple en pleine crise de reproches culinaires mutuels.

Nous sanglotâmes tous trois. Des chariots de feu dévalaient nos oesophages.


Sachez que, contre la virulence d'un piment ayant rendu un plat de riz-patates aux lardons radioactif, le sucre et la crème ne peuvent rien. Attribuer une fonction canadair à la boisson n'arrangera pas vos brûlures mais peut fonctionner comme excuse pour vous resservir en vin.


Engloutir ce riz façon bicéphale fut un peu comme couvrir avec application nos parois stomacales d'un badigeon d'acide sulfurique. Mon estomac ondula comme pour aller voir par lui-même ce qui se tramait dans mon assiette. Il avait d'autant moins l'air d'aimer ça que l'apéro avait été une orgie pâtissière, sous le prétexte un peu léger qu'il n'était pas l'heure de manger.

Lorsqu'il n'est pas l'heure de se mettre à table et que l'on souhaite manger, il est possible d'avancer un peu l'apéritif, en transformant ce dernier en goûter tardif arrosé d'alcool. Millefeuille, religieuse et tarte normande en guise de mise en bouche seront même judicieux si un des convives fête son anniversaire dans le mois. Plus tard, le dessert sera simple : il s'agira de reprendre l'apéro où on l'aura laissé. Si cette logique vous échappe, c'est vraiment que vous le faites exprès.

C'est donc le ventre proéminent que nous trottâmes jusqu'au parti communiste, où une étrange sculpture surnommée "le yaourt" fit soupirer d'envie nos tubes digestifs.

C'était la première fois que j'entrais dans le bâtiment de la place du colonel Fabien. La voix de Marie-Georges nous guida vers l'événement. Appuyée à un pupitre, elle discourait déjà lorsque nous nous laissâmes rouler vers son auditoire. Nos jambes ployèrent et nous installâmes nos ventres sur un renflement de moquette aux formes voisines des nôtres. Yeux et oreilles écarquillés, nous captâmes sa dernière phrase sans être sûrs d'avoir jamais entendu le début. Puis nous applaudîmes, dans l'espoir de dissimuler notre ignardise sous les claquements de paumes et d'imiter les comprenants. Le verre de l'amitié fut annoncé. Nous relevâmes nos ventres en soufflant et déambulâmes jusqu'à un bar. Nous attrapâmes d'une main leste un gobelet empli de vin, sans la moindre considération pour les rangées de noix de tarama qui se tortillaient sur leur blini. Nous décrispâmes nos mâchoires et balançâmes le verre de blanc par-dessus les dégâts antérieurs.

-"Veuillez prendre place dans l'amphithéâtre, le débat va commencer", annonça un fringant membre du parti.
Nous nous dandinâmes en direction de fauteuils bien situés pour nous permettre une sortie anticipée à peu près discrète. Il faut dire que nous n'étions guère rassurés : faudrait-il parler ? Dire "bonjour, je m'appelle Marie-Georges, je ne connais rien au sujet mais comme c'est mon anniversaire j'avais envie d'écouter des trucs intelligents en cuvant mon vin" ? Ma copine me chuchota avec espoir :
- "Tu as déjà lu du Aimé Césaire, toi ?
- Non, et toi ?
- Non. On est nulles !
- Ouais..."
Il faisait peut-être 35 degrés dans cette pièce au plafond pendouillant. Nous mijotions en essayant de digérer des choses dans un ordre indéterminé.

Malgré nos panses de ministres qui rôtissaient entre les néons et le skaï des fauteuil, nous ne somnolâmes pas le moins du monde. Mon attention se détourna même avec bonheur de la pesanteur Newtonienne. Je me fichai juste un peu de la question - telle qu'elle fut abordée - sur la nature des relations entre Césaire et le parti communiste. J'appris que ses obsèques, proclamées "nationales", ne seraient finalement pas payées par l'Etat mais que la note avait été élégamment laissée à Fort-de-France. Des obsèques nationales pas si nationales que ça, donc. Je fis connaissance avec l'ADEN dont la représentante évoqua le colloque de Dakar, parrainé par Césaire, sur la traite négrière. La discussion porta ensuite sur les liens entre colonialisme et capitalisme. Un des intervenants de l'ADEN souligna les expressions "quartier sensible" et "minorité visible" en s'interrogeant sur l'existence de quartiers insensibles et d'une majorité invisible. J'imaginai une meute de gens transparents.

Son discours était fin. Il prenait soin d'écarter tout manichéisme tant en évoquant l'esclavage vécu par son grand-père qu'en parlant de sa propre condition de citoyen européen à la peau noire.

Je partis légère et gonflée à bloc. Le débat, doux désodorisant pour hortefeurisme ambiant, m'avait requinquée. Mes neurones admiraient leurs abdos tout neufs en naviguant à vue à bord de leur gondole avinée.

lundi 20 octobre 2008

Post partum

Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, 1635

J'ai accouché trois fois ce week-end : trois belles représentations théâtrales, chacune avec son caractère, ses qualités et leurs pendants moins reluisants. A présent j'affronte fatigue et vague déprime post-partum. Dans ma salle de bal crânienne, satisfaction et nostalgie martèlent le sol au rythme d'une sardane interminable, orchestrée par le souvenir de notre performance d'équipe.
Mais je vous épargnerai les affres du blues de la comédienne fraîchement tombée de l'estrade. Comme je ne suis pas comédienne, je vais déjà beaucoup mieux.

Opera Panica de Jodorowsky se compose de saynètes où évoluent des archétypes (qui se prénomment A, B, C, D ou encore E) pris dans leur obsession vitale. Vous assistez par exemple à la scène de "l'optimiste et le pessimiste", où l'optimiste est prête à tout pour que le pessimiste la suive dans son monde. C'est l'unique but de sa vie, vie qui, d'ailleurs, se résume à ce but. Pour le dire autrement, les personnages de Jodo yoyotent frénétiquement de la touffe. Cela se traduisait au niveau du jeu par une tension constante et un rythme effréné que nous devions maintenir, dans un ping-pong de répliques parfois assourdissant. Deux monologues plus posés, à la même saveur absurde donc riche de sens, entrecoupaient les scènes féroces et offraient une respiration à l'ensemble.

Marie-Georges a eu la chance de pouvoir jouer trois registres différents : un rôle tragique (la prisonnière), un personnage clownesque (la fameuse optimiste) et un bref monologue à la tonalité plus aérienne. Autant vous dire que je me voyais déjà sortir de ma loge nominative, dissimulée derrière de gigantesques lunettes fumées, me limer les ongles devant le gratin des metteurs en scène en file indienne, et répliquer à leurs offres pressantes "Ouais, on verra... Faudrait voir à ce que je ne m'ennuie pas trop dans ton nanar... Je suis comme ça, moi, je peux tout jouer, tu vois...", dans une diction aussi élastique que le chewing-gum servant de balle pour beach-volley à ma rutilante dentition.

Hé bien, si vous remplacez la foule de professionnels du spectacle par une poignée de proches m'ayant fait l'amitié de venir nous soutenir, c'est exactement ce qui s'est passé.

Pour le reste, expliquez-moi pourquoi la bougie que je devais allumer sur scène au début de mon monologue renâcla à cette tâche pourtant précisément dans ses cordes ? Je ne lui demandais pas de sourire, encore moins de déclamer, or tout porta à croire qu'elle eût préféré cela à sa triviale fonction. Trouvant sans doute son rôle limitatif, elle décida de déployer une palette de talents inattendus.

Vendredi, elle flamboya de toute sa mèche, si bien que son éclairage seul suffit. Me voilà articulant mon monologue, le visage caressé par son doux halo. Réflexion de mes amis venus vendredi : "La jupe que tu as achetée pour ce rôle, en fait on la voit pas, tu sais ?".
Samedi, la traîtresse s'éteignit au moment où je m'apprêtais à donner de la voix. Plongée dans le noir, mes prunelles ne purent s'empêcher de se jeter d'un bond angoissé aux coins droits des bordures oculaires, afin de considérer le régisseur réagissant. La lumière fut, bien qu'artificielle. Mon drap de dignité en fut à peine froissé.
"Je t'en ficherai, moi, de l'extinction !!" maugréai-je en coulisse, creusant d'un bout d'allumette une tranchée de cire autour de la mèche qui, marrie après coup d'avoir voulu jouer les stars, se faisait toute petite.
Mes amis du samedi attestèrent généreusement qu'ils avaient cru dur comme fer en un effet jodorowskyen tout à fait contrôlé.
Dimanche, je pris le taureau par les cornes avant la représentation et m'adressai directement à l'objet. "Tu joueras les malades imaginaires un autre jour !" lui soufflai-je tandis qu'elle peinait à nourrir la minuscule aurore bleuissant entre nous. La mèche, après moult sillons gravés en sa périphérie, finit par reprendre du poil de la bête. Ensemble, nous répétâmes son rôle. Elle retrouva son feu d'antan.
Las, sur scène, ce fut le trou noir. Elle refusa d'obtempérer et repoussa les brassées de flammes que l'allumette lui tendait. Fatiguée d'être ainsi éconduite, cette dernière me lâcha à son tour. "La honte ! Garde ton calme. La honte ! Du calme." me répétais-je, frottant nerveusement un deuxième bâtonnet sur les flancs de sa boîte. Rien. Pas le plus petit avorton d'étincelle ne daigna surgir de l'ombre. Même le souffre avait oublié quoi faire. J'avançai vers le public, bougie éteinte en main - dans une sorte de métaphore matérielle de l'absurde -, port de tête péniblement altier et pieds hésitants. Le réactif régisseur me sortit une fois de plus de cette obscurité improvisée.

La rébellion du morceau de cire n'entacha cependant pas cette piquante expérience. J'avais dit que j'arrêtais le théâtre après ce spectacle. Je commence déjà à changer d'avis.

vendredi 17 octobre 2008

Au théâtre ce soir


Ca y est, ça commence ce soir ! Ce week-end, je joue trois représentations de Opera Panica en espagnol.
Venez nous voir et approcher la folie Jodorowskienne dans un théâtre intimiste du 20è ! Pour plus d'informations, cliquez sur l'affiche.

Toi aussi, aie ton mot à dire sur une des phrases du dernier billet de Didier Goux

Le Caravage, Saint Jérôme, 1606

J'aime bien tout faire comme les grands. Ô joie du jour, j'ai dégoté de quoi copier d'éminents blogueurs : discuter autour d'une phrase de Didier Goux parue dans son dernier billet, et ainsi suivre les pas d' Audine, Dorham, Nicolas, Zoridae, Balmeyer, monsieur Poireau, Nefisa, Malbeyer y mucho mas.

(Itinéraire conseillé : pour y comprendre quelque chose, cliquez dans l'ordre sur "dernier billet", "Zoridae", "Dorham", "Nefisa" puis "Malbeyer". )

Toi aussi, lis l'extrait suivant. Toi aussi, dis si tu y décèles seulement de beaux pieds ou tout de même un pied bot. Toi aussi, demande-toi si, par exemple, le participe présent employé ne ferait pas mieux de muer en un solide gérondif droit dans ses bottes :

« Bref, nous nous servons un verre (les adultes assommés), et entrouvrant la porte-fenêtre du salon, afin de pouvoir fumer en toute bonne conscience - ce que nous faisons illico »

Quant à mon avis sur la fameuse phrase, après avoir papillonné parmi les coccinelles, je suis allée le cafter chez l'araignée. La conjonction, vous dis-je, la conjonction...

jeudi 16 octobre 2008

Ca ira...

Raphaël, L'école d'Athènes (détail), 1510

Parigots têtes de veaux ?! Que vient faire une grève parisienne des écoles primaires devant la nécessité d'unir nos forces face à la réforme ? Voilà la réflexion qui me viendrait si j'étais en province et que parvenaient à mes oreilles les infos molles de radio machin.

Il va vous falloir comprendre notre exaspération nationalo-locale. Cette grève a été décidée il y a à peine deux semaines, suite à l'interdiction par notre inspecteur d'académie d'une réunion d'information syndicale. Avant cela, la circulaire obligeant les collègues à se déclarer grévistes plus de 48h avant la grève par fax individuel ET par mail (sans quoi, pas de grève !) nous avait déjà un peu chauffés. Ladite circulaire est en effet une interprétation de la loi un poil approximative et surtout, elle vise à mettre un maximum de bâtons dans les roues aux vilaines graines de grévistes que nous sommes.

Je vous avais parlé d'une clause précisant que nous avions le droit de devenir non gréviste au dernier moment et que nous avions décidé de tous appliquer afin de provoquer quelques remous dans la mise en place du service minimum d'accueil.
Là où je me gausse, c'est que la grève d'aujourd'hui est tellement suivie que le service minimum est impossible à mettre en place. Le gouvernement va faire une fine découverte : on ne trouve pas 2000 animateurs - formés pour garder de jeunes enfants - sous le sabot d'un cheval. Delanoë, toujours un brin funambule gauche-libéral, en fait l'amère expérience puisqu'il fait appliquer le service minimum tout en dénonçant son impossible mise en oeuvre dans un cas de forte mobilisation comme aujourd'hui.

Bon, à part cette attaque à la liberté syndicale citée plus haut (c'est déjà pas mal !), tout ça ne vous dit pas trop pourquoi les maîtres et maîtresses parisiens sont énervés. Peut-être ne savez-vous pas que la ville de Paris est une académie à elle toute seule, chapeautée par un inspecteur d'académie avec un style bien à lui.

Savez-vous par exemple que l'application du soutien scolaire est très différente d'une académie à l'autre ? En gros, on a enlevé deux heures par semaine d'école aux élèves (les fameux samedis matins) et on a voulu transformer ces heures en soutien aux élèves en difficulté. Ce soutien représente un paquet de 60 heures à répartir, à raison d'environ 2 heures par semaine. Nous, enseignants du premier degré, avons encore des samedis et mercredis matins travaillés car nous devons effectuer 108 heures en tout, hors temps de classe (réunions, rédaction de projets d'école, formation etc.).

D'une académie à l'autre, les 60 heures dévolues au soutien sont gérées de manières très diverses. Telle académie préconise l'utilisation de 6 heures à la préparation des 54 heures de cours restantes. Telle autre estime qu'une heure de soutien nécessite une heure de préparation et partage les 60 heures en deux : 30 heures de préparation des séances adaptées aux besoins des élèves en difficulté pour 30 heures avec eux. Comme nous ne sommes pas formés pour gérer efficacement les difficultés spécifiques de certains élèves (dyspraxie, dysphasie, élèves non francophones, etc.), la préparation est un minimum nécessaire. Eh bien je suis heureuse de vous annoncer qu'à Paris, on est tellement fortiches qu'on se passe de préparation ! L'inspecteur d'académie nous met directement devant les gosses et nous prie d'effectuer les 60 heures avec eux. Même Darcos n'a pas osé suggérer cela. Tout ça pour vous dire qu'on se fout des mômes, du moment que ces salauds de fonctionnaires font leurs heures avec eux. Exemple de situation vécue par moi :

(résumé des épisodes précédents) Marie-Georges fait partie des enseignants dits de "quatre quarts temps", heureux élus qui ont une école différente par jour, sans avoir le statut de remplaçant qui octroie une prime pour les déplacements et les inconvénients liés à cette position.

Lundi soir à l'école maternelle machin

- "A la semaine prochaine, Marie-Georges, on démarre le soutien, hein, n'oublie pas !"
-"Ah euh oui et comment ça se passe ?"
- "Oh ça on en parlera jeudi midi en réunion mais comme tu n'es pas dans notre école ce jour-là bin on te dira après."
- "Ah ok."

Le lundi suivant

Comme d'hab, effervescence de 8h du mat à la pause, en priant d'en avoir une avant 11h30. Ouf , bingo, je ne suis pas de récréation à 10h15 ! Pause, donc. Ma directrice déboule :
-"Marie-Georges, le soutien a lieu de 11h35 à 12h05. On t'a mise avec des enfants qui ont besoin d'apprendre à coopérer. "
- "Euh, ah ?! Comment on fait ?"
- "Bah, tu leur fais faire un jeu où ils doivent coopérer."
- "..."
La fin de la récré sonne. Je file récupérer mes 27 élèves - qui ont tous quelque chose à me raconter en même temps (ils ont 4 ans) - en me répétant en boucle "coopérera, coopéreram, coopéreras, coopérarum...". J'ai une heure pour chercher quoi faire tout en lisant "Emilie n'aime pas le soutien scolaire" à ma classe.

Voilà. Je vous ai donné un exemple, vu par le petit bout de ma lorgnette. Je rappelle que le soutien vise - à terme - à remplacer les enseignants spécialisés qui jusqu'à présent s'occupaient des élèves en difficulté sur le temps de classe, en les prenant en petits groupes. Ca s'appelle le réseau ( ou RASED, en sigle, réseau d'aide spécialisée aux enfants en difficulté). Ca marche très bien. En tout cas j'ai toujours vu ces élèves progresser rapidement avec ce système. Suppression prévue à la rentrée prochaine. Les enseignants spécialisés auront une classe, comme tout le monde, et tout le monde - formé ou pas, préparé ou pas - fera du soutien bancroche hors temps de classe, histoire d'allonger les journées des vilains petits canards avec des cours moins efficaces.

Conclusion : non à la suppression du RASED !

Sur ce, je file agiter une pique devant le rectorat, au son de "Ah ça ira". Oui je sais, c'est un peu radical, je m'en excuse auprès des rocardiens que j'aime bien. Mais là j'ai encore deux mots à dire à notre inspecteur d'académie de Paris...

lundi 13 octobre 2008

Teatro en español

Affiche : Déesse

Et si vous alliez au théâtre ce week-end ?

Je vous conseille vivement le spectacle de la compagnie Latinomania, dont je suis ! Mais ma prestation de comédienne amatrice - bien qu'époustouflante - n'est pas l'unique raison de cette publicité éhontée. L'oeuvre choisie est de qualité. Nous avons travaillé avec un metteur en scène et comédien professionnel et nous avons aimé ça ! J'espère que vous apprécierez aussi.

Nous jouerons des fragments d' Opera Panica de Jodorowsky en version originale.

Entonces si entienden el español (mas o menos, no importa : el nivel es bastante sencillo), vengan !
Les esperamos.

C'est à Paris au théâtre de l'Echo, dans le XXè, métro Maraîchers ou A. Dumas
Vendredi et samedi à 21h, dimanche 17h

Réticence 1 :
"Zut, mon niveau d'espagnol est limite"
-> Nous distribuerons une petite aide à la comprenette en français.
Réticence 2 :
"C'est la crise, j'ai pas d'argent."
-> Il y aura un tarif chômeurs, étudiants, intermittents...
Réticence 3 :
"21h c'est tard et puis j'aurai pas mangé."
-> Le spectacle dure environ une heure.



Venez passer une bonne soirée dans l'ambiance feutrée d'un petit théâtre parisien ...
Entrez dans l'univers panique de Jodorowsky...
Thèmes existentiels, humour noir et absurde au programme !

dimanche 12 octobre 2008

Comète et ballons rouges

Brueghel, le mariage paysan, 1568

Ce matin je me réveillai fraîche comme les légumes que je m'apprêtais à tronçonner d'une lame distraite. Ce n'était pourtant pas gagné : je m'étais endormie tard, en comptant les verres de Côtes du Rhône et de Chablis qui dansaient la conga dans mon réseau sanguin. Les conditions étaient donc réunies pour soulever avec effort des paupières gonflées sur deux bigarreaux contemplant pommettes grises et bouche de bois flottant vaguement en dessous d'un nez rougeaud, dans un concert de symbales temporales. Il n'en fut rien. Je me levai et fis des bonds de cabri jusqu'à la cuisine, fringante comme les carottes qui tournoyèrent bientôt dans ma marmite. Preuve que le vin est bon à la Comète du Kremlin-Bicêtre. Vous l'aurez compris, hier je faisais tinter mon verre avec celui d'autres blogueurs, lors d'une soirée qui avait lieu dans le repaire du maître incontesté de ces derniers.

Le matin de la veille de ce jour, j'avais peur. Je me préparais à explorer une jungle humaine emplie d'affûteurs de billets tranchants, de rémouleurs du commentaire piquant, d'artilleurs de mots contondants et autres arbalétriers du verbe pétrifiant. J'avais passé deux heures à réviser quelques clés d'aikido au cas où. Je savais qu'il y aurait le souverain des blogs politiques, un éditeur ne manquant pas d'aplomb, un végétal souffrant d'un dédoublement de personnalité et un redoutable écrivain-troll. Je devais m'attendre à rencontrer aussi un fakir punk accompagné d'une fée, une graphiste qui élève des hamsters tueurs, un multi-schizophrène doté d'un style d'écriture différent à chaque doigt et sa non moins prolifique compagne, une octopode flamboyante.

En réalité, nichée au milieu de la joyeuse assemblée, je n'eus pas de quoi avoir la frousse. Ce fut même l'inverse : je rencontrai une blogueuse photographe qui jaugea mes limites éthyliques avec une acuité certaine et s'inquiéta de mon sinueux retour au bercail.

La soirée fut détendue, riante, agréable tout du long et méthodiquement arrosée. J'en veux pour preuve la discrète absence qui plana le lendemain chez la majorité des blogueurs concernés. J'ai moi-même des difficultés à publier aujourd'hui, avec une tendance involontaire à taper entre les touches et à fixer l'icône de mon antivirus qui virevolte comme une rondelle de carotte dans son bouillon. Quelques courageux prirent tout de même leur plume et leur cordon USB pour relater cette soirée dès potron-minet. Lisez et admirez. Pour l'heure, je file me coucher après un bol de soupe et une louche de vifs remerciements à l'adresse de nos hôtes.

[Le salon blogs et livres était également fort sympathique. Je suis repartie avec de belles nouvelles Filaplomb sous le bras et une dédicace de Joan.]

mercredi 8 octobre 2008

Blogs et livres

J'irai au salon "blogs et livres" ce week-end. Les éditions Filaplomb seront présentes et même qu'elles s'adressent aux journalistes ici.

Ce qu'absence veut dire

Philippe de Champaigne, La vanité ou allégorie de la vie humaine, 1646

Allons bon, mon ordi me lâche. Il devient bleu et me dit « the system has halted », des fois que je ne l'aurais pas remarqué. Je reviens à la charge à chaque fois. Oui, je le pondrai, ce billet, car je suis énervée et en pleine crise de déraison. Ami lecteur, si tu en as assez des profs qui se plaignent, ferme cette page !

Hier, je commentais chez un privilégié de collègue, au sujet de son dernier article qui me touchait forcément de près vu qu'il parlait de la grève des profs et que j'en suis. Mon comm a peine envoyé, j'en rédigeai un deuxième, écumant de haine envers les remarques précédentes. Puis je décidai de ne pas le publier, consciente de m'emporter un peu plus que de raison. Il faut dire que j'avais relevé une phrase digne du chanteur grolandais Florent Panino à propos de l'absentéisme des profs. Et le taulier de s'épuiser à rappeler une étude officielle qui montre que ledit absentéisme n'est pas plus fort dans ce métier que dans les autres. Oui mais cher collègue, je crains que, tel le lapin rose du métro, tu risques de te faire pincer les doigts très fort à ce jeu-là. Celui qui aime à proclamer que les enseignants sont d'éternels travailleurs velléitaires profiteurs du système n'ouvrira point les yeux devant réalité moins simple. Il aime à se draper dans l'idée reçue ; berce-le chaudement il a froid...

Alors dans un sursaut d'énergie, après une journée entourée de 24 enfants (effectif rendu très correct par l'absentéisme de 3 petits) à qui je fis apprendre à repérer des sons dans des mots, à comprendre une histoire, à utiliser des outils techniques, à faire de l'EPS, que je surveillais en récréation, dont je soignai chagrins, plaies et bosses habituelles, tout cela en préparant avant et en rangeant après, en discutant avec les collègues revenant du soutien scolaire yeux rouges et sandwich à la main d'une progression éventuelle en sciences et en EPS, après avoir emprunté du paracétamol à ma directrice, par chance équipée car victime de la même migraine que moi ce matin-là, bref, après cette journée type, toussotant bêtement grâce à un énième microbe tout juste assez virulent pour m'empêcher de hausser la voix lorsque la classe s'agite, je pondis une prose désobligeante à l'adresse du commentateur drapé et m'en autocensurai la minute suivante.

Il dit donc que les profs sont souvent absents. Il ignore peut-être que ce métier nous expose à un boisseau de virus dont on se passerait bien volontiers. Il précise que cet absentéisme ne concerne pas uniquement les maladies. Je cherche dans ma mémoire de jeune prof les motifs autres qui ont pu me faire manquer mon travail et en effet, le bougre a raison : j'en trouve. Je me souviens avoir enterré ma mère et ma grand-mère à deux mois d'intervalle et avoir dû prendre des jours pendant qu'elles étaient mourantes, vu qu'elles n'étaient pas de ma région. Oui, mais elles eurent la décence de mourir pendant les nombreuses vacances scolaires dont nous sommes bénéficiaires. Il faut dire que ma mère était elle-même institutrice et n'a jamais manqué son travail, même lorsqu'elle perdit sa fille. Ma soeur aussi, par conscience de son métier d'élève, est décédée en juillet après avoir brillamment réussi son CM2.

Je continue ? Je sais ce que ce débile penserait s'il me lisait : que je m'emporte de façon ridicule (je te l'accorde, mais qui s'y frotte me pique), qu'il ne voulait pas parler de moi en particulier, que les instits c'est pas pareil que les profs de collège et autres conneries, surpris qu'il serait de découvrir qu'il y a des gens derrière ses mots. Comme si le monde n'était pas peuplé de cas particuliers. Mais j'oubliais : la complexité, ça file le vertige, mieux vaut se donner l'illusion d'avoir tout compris en une phrase. Il est beaucoup plus normal que l'ensemble d'une profession (tout de même difficile. Si, j'ose le dire) encaisse les attaques sans fondement de ceux qui n'y connaissent rien et se rassurent en autant de temps qu'il en faut pour combler l'espace entre une majuscule et un point. Si tu m'avais dit ça en face, ô subtil commentateur, j'aurais sans doute hésité entre la mandale de bon aloi ou l'inscription de force au concours de professeur. Je ne sais pas ce qui aurait été le plus douloureux pour toi.

Sache tout de même qu'hier nous avons décidé dans plusieurs écoles de venir travailler un jour de grève, de marquer cette journée d'action d'une autre façon et de manifester un dimanche. Une vraie révolution dans ton monde intérieur, ces profs qui n'ont pas profité de l'occasion pour exercer leur absentéisme chronique, non ?

Pour ceux qui soutiennent une autre perspective que l'éducation au rabais : hier, nous nous sommes déclarés grévistes et sommes venus travailler, prenant au pied de la lettre une circulaire qui disait que nous avions le droit de changer d'avis au dernier moment. Comme le service minimum est mis en place, les mairies prévoient notre remplacement en fonction du nombre de profs qui se déclarent en grève 48 heures avant. Nous avons décidé de provoquer la venue des remplaçants tout en « changeant d'avis au dernier moment » et donc en venant bosser. Nous espérons avoir ainsi inauguré le concept de service maximum (remplaçants et instits en présence) et surtout avoir mis un joyeux bordel dans les comptes.

dimanche 5 octobre 2008

Retrouvailles

Degas, Les repasseuses, 1884

La première fois que je mis les pieds au lycée, je remarquai qu'ils marchaient sur du bois. Vieillot et chaleureux, le plancher gondolé résonnait sous nos pas dans l'imposant bâtiment en forme de banane. Le lycée Lumière à Lyon fait dans l'étendue : c'est un ensemble composé de trois longs édifices et d'un gymnase avec piscine. Je mettais dix minutes à en contourner la cour pour atteindre le portail d'entrée diamétralement opposé à mon arrêt de bus. C'était rageant d'arriver en retard par la faute du périmètre de l'établissement, qui mettait ses barreaux dans les roues de mes jambes. Parfois je préférais avoir lambiné : une fois le portail fermé, nous pouvions emprunter une petite porte plus proche.
Dans ce nouveau décor, nous n'étions que deux du même collège, mais nous n'allions pas copiner pour ce motif alors que nous avions passé quatre ans à ne pas nous causer. Je scrutais les visages de mes nouveaux camarades, sans doute aussi fiers que moi. Nous étions les élus d'une sélection sur dossier, les têtes de liste ayant intégré une classe de seconde avec option "lourde" en arts plastiques. Nous ne connaissions alors rien de l'aura de déchetterie qui nimbait les filières littéraires et artistiques.
Je vis une autre fille seule, aussi haute qu'hautaine. "Qu'elle est belle !" pensai-je. Yeux et cheveux grands, elle semblait échappée d'une colonie de Sylvidres. Elle tournait la tête de chaque côté avec l'air de ne pas aimer cela. La plupart des néolycéens arboraient un rictus de survie et acquiesçaient aux remarques de tout le monde, pressés de trouver un premier copain de parade.
Un peu plus tard, j'eus l'occasion d'approcher la fille haute. Elle me parla et un monde de fantaisie s'échappa de sa bouche. Je me rapprochai d'elle. Nous avions le même goût pour les grimaces et les mots inventés. Nous passâmes bientôt les heures de cours à inventer une langue aux sons improbables et à en rédiger le lexique. "Lunettes", par exemple, se traduisait par "glougloux". Nous avions quelques règles de grammaire truffées d'exceptions. Je me souviens du système des nombres dans cette langue, que nous avions simplifié à l'extrême : "u" signifiait un, "uu" deux, "uuu" trois, etc.
Nous séchâmes ensuite, pour aller faire de l'auto-stop dans les monts du lyonnais ou entonner la chanson d'Obélix dans les couloirs du métro de la Part-Dieu. Nous adorions Gotainer, Gogol premier, la Jenlain, tenir des propos incohérents et imiter l'air interrogateur de Benny Hill. Elle me téléphonait chaque 25 décembre, articulait "Noëëëël" et raccrochait, parce qu'elle avait entendu ça dans un de ses films cultes, "Le viager". Aux alentours du bac, nos chemins se décroisèrent.
Les mots biscornus me revinrent par un message il y a quelques jours. Le site Copains d'avant a fait son oeuvre. Il réserve donc parfois de belles surprises. Nos interjections joyeuses fleurissent à présent dans une correspondance baroque, au goût de madeleine un peu folle.