Philippe de Champaigne, La vanité ou allégorie de la vie humaine, 1646
Allons bon, mon ordi me lâche. Il devient bleu et me dit « the system has halted », des fois que je ne l'aurais pas remarqué. Je reviens à la charge à chaque fois. Oui, je le pondrai, ce billet, car je suis énervée et en pleine crise de déraison. Ami lecteur, si tu en as assez des profs qui se plaignent, ferme cette page !
Hier, je commentais chez un privilégié de collègue, au sujet de son dernier article qui me touchait forcément de près vu qu'il parlait de la grève des profs et que j'en suis. Mon comm a peine envoyé, j'en rédigeai un deuxième, écumant de haine envers les remarques précédentes. Puis je décidai de ne pas le publier, consciente de m'emporter un peu plus que de raison. Il faut dire que j'avais relevé une phrase digne du chanteur grolandais Florent Panino à propos de l'absentéisme des profs. Et le taulier de s'épuiser à rappeler une étude officielle qui montre que ledit absentéisme n'est pas plus fort dans ce métier que dans les autres. Oui mais cher collègue, je crains que, tel le lapin rose du métro, tu risques de te faire pincer les doigts très fort à ce jeu-là. Celui qui aime à proclamer que les enseignants sont d'éternels travailleurs velléitaires profiteurs du système n'ouvrira point les yeux devant réalité moins simple. Il aime à se draper dans l'idée reçue ; berce-le chaudement il a froid...
Alors dans un sursaut d'énergie, après une journée entourée de 24 enfants (effectif rendu très correct par l'absentéisme de 3 petits) à qui je fis apprendre à repérer des sons dans des mots, à comprendre une histoire, à utiliser des outils techniques, à faire de l'EPS, que je surveillais en récréation, dont je soignai chagrins, plaies et bosses habituelles, tout cela en préparant avant et en rangeant après, en discutant avec les collègues revenant du soutien scolaire yeux rouges et sandwich à la main d'une progression éventuelle en sciences et en EPS, après avoir emprunté du paracétamol à ma directrice, par chance équipée car victime de la même migraine que moi ce matin-là, bref, après cette journée type, toussotant bêtement grâce à un énième microbe tout juste assez virulent pour m'empêcher de hausser la voix lorsque la classe s'agite, je pondis une prose désobligeante à l'adresse du commentateur drapé et m'en autocensurai la minute suivante.
Il dit donc que les profs sont souvent absents. Il ignore peut-être que ce métier nous expose à un boisseau de virus dont on se passerait bien volontiers. Il précise que cet absentéisme ne concerne pas uniquement les maladies. Je cherche dans ma mémoire de jeune prof les motifs autres qui ont pu me faire manquer mon travail et en effet, le bougre a raison : j'en trouve. Je me souviens avoir enterré ma mère et ma grand-mère à deux mois d'intervalle et avoir dû prendre des jours pendant qu'elles étaient mourantes, vu qu'elles n'étaient pas de ma région. Oui, mais elles eurent la décence de mourir pendant les nombreuses vacances scolaires dont nous sommes bénéficiaires. Il faut dire que ma mère était elle-même institutrice et n'a jamais manqué son travail, même lorsqu'elle perdit sa fille. Ma soeur aussi, par conscience de son métier d'élève, est décédée en juillet après avoir brillamment réussi son CM2.
Je continue ? Je sais ce que ce débile penserait s'il me lisait : que je m'emporte de façon ridicule (je te l'accorde, mais qui s'y frotte me pique), qu'il ne voulait pas parler de moi en particulier, que les instits c'est pas pareil que les profs de collège et autres conneries, surpris qu'il serait de découvrir qu'il y a des gens derrière ses mots. Comme si le monde n'était pas peuplé de cas particuliers. Mais j'oubliais : la complexité, ça file le vertige, mieux vaut se donner l'illusion d'avoir tout compris en une phrase. Il est beaucoup plus normal que l'ensemble d'une profession (tout de même difficile. Si, j'ose le dire) encaisse les attaques sans fondement de ceux qui n'y connaissent rien et se rassurent en autant de temps qu'il en faut pour combler l'espace entre une majuscule et un point. Si tu m'avais dit ça en face, ô subtil commentateur, j'aurais sans doute hésité entre la mandale de bon aloi ou l'inscription de force au concours de professeur. Je ne sais pas ce qui aurait été le plus douloureux pour toi.
Sache tout de même qu'hier nous avons décidé dans plusieurs écoles de venir travailler un jour de grève, de marquer cette journée d'action d'une autre façon et de manifester un dimanche. Une vraie révolution dans ton monde intérieur, ces profs qui n'ont pas profité de l'occasion pour exercer leur absentéisme chronique, non ?
Pour ceux qui soutiennent une autre perspective que l'éducation au rabais : hier, nous nous sommes déclarés grévistes et sommes venus travailler, prenant au pied de la lettre une circulaire qui disait que nous avions le droit de changer d'avis au dernier moment. Comme le service minimum est mis en place, les mairies prévoient notre remplacement en fonction du nombre de profs qui se déclarent en grève 48 heures avant. Nous avons décidé de provoquer la venue des remplaçants tout en « changeant d'avis au dernier moment » et donc en venant bosser. Nous espérons avoir ainsi inauguré le concept de service maximum (remplaçants et instits en présence) et surtout avoir mis un joyeux bordel dans les comptes.