mercredi 30 juillet 2008

Au blog opératoire

Degas, L'absinthe, 1876


Je me saoûle. Non pas en trinquant, mais en écrivant. J'ai à vrai dire un souci un poil épineux. Je rédige des textes comme à mon habitude mais quand je me relis, le miracle se produit à chaque fois : j'en ai assez, ma claque de moi-même et de mes tournures. Ma prose alambiquée m'apparaît indigeste et en même temps, je ne souhaite pas à écrire autrement. A savoir, ça ne me plaît pas si je ne passe pas par tout un tas de circonvolutions. Il me faut absolument telle inversion verbe-sujet, tel passé simple ; j'exige tel adjectif... Alors j'écris, je corrige, je peaufine... Et au moment de relire, je m'aperçois que mon texte m'est devenu insupportable. Je le veux ainsi, puis je le déteste. C'est grave ? C'est bête. Comme mes pieds.
Alors contemplons plutôt les pieds de chez Degas. Combien en voyez-vous ? Avez-vous pensé à compter ceux des verres ? Mais où sont ceux des tables ? Diantre...

mercredi 23 juillet 2008

Trinquons


Véronèse, Les noces de Cana, 1563
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Je souhaiterais sabrer le champagne avec vous. Vous avez cinq minutes ? Bon. Après trois mois de compromis, recherche de prêt, tout ça blabla, j'ai enfin acheté mon appart. Certes, il est minuscule. Mais mensuellement et à surface équivalente, je m'en tire mieux qu'avec une location (Paris sera toujours Paris) et puis c'est mon mien et puis ça y est j'ai la clé !


En sortant de chez le notaire, je trottinais avec au visage l'expression du chien qu'on vient d'appeler à l'autre bout du champ de blé pour qu'il vienne manger ses croquettes. Vous savez, la pub avec des violons. Croyez-moi ou non : tout au long du chemin, j'ai eu un succès d'enfer. L'aura de nouvelle riche, l'air intelligent de quelqu'un à qui on a lu un règlement de copropriété, la nouvelle clé rutilant autour de mon cou ? Je ne sais, mais les "Ah !" et les "Oh !" s'enchaînaient à mon passage comme les saucisses d'un chapelet de concours agricole.


Depuis, je cherche à faire tinter mon verre en vain. Je n'ai pas eu l'occasion de trinquer en vrai vu que :
- mes amis (stéphanois voire cryptostéphanois) restent désespérément provinciaux donc loin ;
- mes amis parisiens sont en vacances à Shanghai, en Ecosse ou à Saint-Etienne (!) donc loin.

Vous voulez bien lever votre coupe à mon entrée dans le clan des privilégiés aux avantageuses réductions d'impôts grâce aux formidables mesures de notre président ? Mais revenez !

lundi 21 juillet 2008

Un moi de vacances (2)


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"Je suis content, je suis content, euh contente, je suis contenteuh !" En chemin, je cherchais des adjectifs à prononcer avec attention. Qu'est-ce que je peux être bêteuh, abrutieuh, stupideuh, bon, finalement c'est invariable à l'oreille tout ça. Très vite, le cerveau de ma résidence secondaire s'emballa. J'arrivai métro Rambuteau. "Métra Rambuta !" corrigea un lobe qui ne devait servir qu'à décocher des âneries.
Je descendis à Goncourte.


La rue montait légèrement et mes talons claquaient plus que de raison. Entre le cheval qu'on vient d'éperonner et l'andalouse vaguement épileptique, j'évoluais nerveusement sur un trottoir planté de poteaux plastiques et humains. Poubelles et fumeurs se tenaient droits comme les portes qui les séparaient des nids colorés pour abstinents nicotiniques. Mes pensées s'étaient arrêtées. J'observais ce nouveau trajet que le corps réalisait dans un par coeur rapide et distrait. Finalement, c'était comme camper dans un GPS. Trop facile. Je pourrais peut-être pousser le vice vacancier jusqu'à piquer un somme en arrivant, pendant que les douces mains de Marie-Georges récureraient la vasque de sa douche ? Héhééé ! Restait à trouver des gants en caoutchouc histoire de ne pas abîmer la peau du matériel. C'était dans le contrat. "Le client est tenu de restituer le corps en bon état. Les parties endommagées au cours de la location pourraient être prélevées sur la propriété charnelle du vacancier". Ouille...

"Vous êtes arrivéeuh à destination !" me signalèrent les pieds qui se plantèrent devant une porte vitrée. Les cinq appendices de la paume droite erraient en rond sur l'appareil à code de l'immeuble. "Cette imbécile ne se souvient pas des quatre chiffres qu'elle tape plusieurs fois par jour !" maugréai-je. L'index se porta à mon menton puis retourna flairer les touches une par une.

"Ca a changé ?" dit en me doublant un jeune homme dont l'accent cubain ne laissait sensiblement pas les cellules de Marie-Georges indifférentes. Il promena ses doigts au gré d'un 1357 tout bête. Mes yeux burent l'information. Le reste tressautait avec intérêt. Un clic se fit entendre. "Oh, j'avais oublié, quel idiot ! Euh, stupideuh abrutieuh je fais !" lâchai-je d'une voix de fausset tandis que le voisin me considérait du coin de l'oeil. Il se dirigea vers l'ascenseur. Le rouge au front et l'air hypocritement déterminé, je marmonnai un "bonne journée" avant de filer dans le local à poubelle jusqu'à ce que solitude s'ensuive.

vendredi 18 juillet 2008

Garçon, une pression (sociale) !


Gustave Moreau, L'apparition, 1876

A l'horizontale, postée telle une lettre entre le matelas et les lattes de la mansarde, j'étais à plat. Le ciel nous crachait à la gueule une eau qu'à l'intérieur de notre capricieuse habitation nous n'avions plus. Narguée par toutes ces douches imprenables, j'avais fini étendue et vaseuse comme un lac pendant que le plombier atteignait du bout de son fer à souder le tuyau incriminé. Une constellation de noeuds me fixait depuis les lambris. Les nervures de la poutre transversale ondulaient comme pour m'envoyer leurs signes singuliers. Cétait bien ma veine : à droite, elles formaient le visage rondouillard d'un Cupidon embarrassé. Figé dans une pose délicate, il cherchait à s'en tordre le bras un dernier missile au fond de son carquois.
"Tu ne trouveras rien !" l'interpellai-je en pensée. C'était donc ça. Arrivé jusqu'à moi en traversant la charpente, il venait juste me montrer la rupture du stock inespéré. "Je n'ai plus une flèche", soupira-t-il. Cette restriction budgétaire n'arrangeait pas mes affaires, surtout que le ratage s'annonçait ultime. Des voix avinées m'avaient scientifiquement prouvé la veille que j'étais arrivée à la moitié de ma vie globale et à la fin de ma vie amoureuse. J'étais devenue trop faite en mon pays.
Ca tombait bien parce que des pays, j'en avais eu d'autres. Et à chaque fois, j'avais eu le bonheur d'y fêter l'âge de la péremption officielle. C'est que, comme femme souvent, il varie. Je ne sais pourquoi la limite des 25, celle des 30 et à présent des 35 obsédèrent nombre d'âmes bienveillantes qui tentèrent de me pousser vers le salut par le mariage. Dans le frigo, les dates sur les yaourts ne se terminent pas forcément en 0 ou en 5 ; pourquoi refuser aux femmes la fantaisie accordée aux produits laitiers de périmer en 2, 3 ou 7 ? Le mariage équivaut-il à une mise au frigidaire ? L'homme est-il l'agent conservateur de la femme ? Je conclus comme il me plut : si un jour je me sentais seule à moisir, je passerais une annonce. Femme blette cherche homme rance pour consommation sans (date) limite.
Des effusions de joie se firent entendre en bas. La fuite avait été colmatée. Il ne restait que celle du temps.

samedi 12 juillet 2008

Un moi de vacances (1)


Watteau, L'embarquement pour Cythère, 1717

- "C'est totalement indolore et le dépaysement est garanti.
- Indolore, vous dites ?
- Du moins, physiquement. Pour le reste, comme indiqué dans ce formulaire, nous ne prenons pas en charge les réparations liées à un éventuel trauma psychologique. Nos clients sont responsables et si vous vous estimez fragile, il vaut sans doute mieux opter pour une semaine au Pouldu ou à la Grande Motte..."
L'agent se renfonça dans son siège de bureau. Il avait accompagné sa suggestion d'un sourire au coin narquois et ses mains ouvertes répétaient en choeur "c'est vous qui voyez".
- "Je devrais peut-être réfléchir alors...
- Nous sommes forts de nos douze mois d'expérience. Il n'y a jamais eu de problèmes.
- Peut-être que je...
- Ceux qui en sont revenus demeurent très satisfaits de nos services.
- Bon...
- Signez là.
- Je déclare être seul responsable des chocs traumatiques que ce voyage pourrait occasionner, ah tout de même...
- Oh ça, c'est une mention que nous mettons par précaution mais ça ne signifie rien. De toute façon, notre assurance vous couvre en cas de perte de bagage psychique.
- Bon...
- Signez là."
Ce voyage était inespéré. J'allais enfin quitter mon chez-moi et mon moi-même pour d'autres horizons. Quitter l'enquiquinant quotidien, me défaire de moi, m'ôter la peau et les os, me pulvériser... Et être une fille ! Pour un temps seulement. Puis redevenir, comme si de rien n'était. J'avais si souvent acquiescé au titre du livre La fatigue d'être soi. A moi maintenant, le repos d'être autre !
J'arrivais pour endosser ma nouvelle vie provisoire. J'avais toujours rêvé d'une semaine culturelle à Paris où je pourrais me retrouver seul face à des oeuvres qui me parleraient. Dans la peau d'une diplômée en arts, je toiserais le guide et m'esclafferais "mais bien sûr, bien sûr..." devant la collection permanente de Beaubourg. Enfin !
L'agent convint d'un rendez-vous avec Marie-Georges. Elle ne disait rien et ne semblait pas de très bonne humeur, mais on m'avait prévenu que les voyages en homme n'étaient pas ses préférés. C'était quand même bien payé comme job d'été et elle en profiterait tout autant ; je fus piqué par ce manque d'enthousiasme à mon endroit. Il n'y avait vraiment pas de quoi se plaindre d'être tombée sur moi : elle vivrait dans un appartement plus grand, en province, et s'occuperait de mes plantes en attendant de recouvrer tout son fort intérieur.


Un technicien nous plaça contre une grille. "C'est la machine de Star Trek !" s'exclama mon futur moi. Du folklore, oui ! En fait, le chassé-croisé mental avait lieu par inoculation d'un implant riquiqui mais ils avaient cru bon d'en rajouter dans le pittoresque en nous affublant d'un casque d'où dépassaient des fils de téléphone piqués dans le métal.

"Souriez, vous êtes en vacances !"

Un flash anti yeux rouges m'aveugla tandis qu'on me piquait le bras.

Je me retrouvai mollement adossée à la grille. Je pris mes fines gambettes à mon cou et partis chez mon nouveau moi, avec en clé USB-cadeau la photo souvenir de cet instant ridicule.

Note : Oui, c'est sans doute à suivre. Mais pour l'heure, je pars prendre l'air en Normandie.

Je dédie ce texte à Zoridae, pour l'envie de lire qu'elle m'a donnée à son insu (son écriture est à fort pouvoir addictif), en plus de celle de créer mon blog et aujourd'hui d'écrire sur ma tête habitée (en somme, tout est de sa faute).

jeudi 10 juillet 2008

Les poubelles de Moroprix


Aujourd'hui j'ai contemplé ma liberté. Puis je me suis vue ne rien en faire, dans un haussement d'épaules.

Je suis allée au supermarché et j'y ai passé beaucoup de temps. Je voulais m'intéresser à mes futurs achats. Impossible. Dans ce décor surinvesti, tout m'extirpait de la concentration nécessaire pour retenir ma liste de courses. Je me la répétais en litanie pour mieux l'apprivoiser : "bananes et glace au chocolat ; bananes et glaces au chocolat ; bananes et glace au chocolat ; ne pas oublier la glace au...". Je dus me rendre à l'évidence : je stagnais au rayon des yaourts, fascinée par la fraîcheur qui mordillait mes bras tandis qu'une résistance me grillait délicatement le couvercle crânien. Dans ce supermarché, que nous appellerons Moroprix pour en préserver l'anonymat, ils ont eu l'idée de chauffer les rayons frais. Il fallait y penser. Je me dis qu'ils en avaient peut-être assez de balayer des allées encombrées de gens cristallisés au sol. Ça faisait désordre, ces poubelles pleines de stalagmites humains, ces bacs remplis de clients cryogénisés non loin des portes du magasin. Il fallait bien trouver une solution. Le chauffagiste qui avait accepté la délicate mission de fabriquer un radiateur qui réconforte la chair humaine en gardant le yaourt frais avait sûrement des tas de créanciers aux trousses et de bouches à nourrir. En tout cas il l'avait accomplie et je zigzaguais entre les produits laitiers, zébrée de chaud et froid.

J'aperçus une splendide laitière à bouche et je me sentie proche d'elle. Elle était blanche comme ce qu'elle paraissait chercher. Elle regardait les rayons sans les voir et arborait un sourire tout animé de l'intérieur. J'aurais voulu l'aborder, qu'elle me raconte sa vie, qu'elle me dise si on l'avait comparée un jour à cette marionnette du Muppet Show composée de cheveux longs desquels dépassait une bouche. Mais j'avais des bananes à acheter. Ragaillardie par cette complicité imaginaire et décidée à dégoter l'oblongue cible, je filai au rayon charcuterie, le panier alourdi par d'inutiles yaourts pour célébrer ce bon moment passé parmi les pots. Je parcourus le long couloir rose et débarquai devant une rangée de cageots. Chairs charnues, peaux tendues et queues dressées : je contemplais enfin la vallée des fruits.
Je fis demi-tour sans raison. Je me sentais libre. Je fis une boucle pour revenir d'un pas décidé, fière de maîtriser le parcours yaourt-jambon-bananes. Mon cerveau s'empara vite d'un dilemme : vrac ou cellophane ? Choix de chaque unité ou acceptation aveugle du lot ? Régimes de provenance inconnue ou paquet certifié commerce équitable ? "Tu comptes vraiment perdre ton temps à aller chercher un sachet alors qu'il y a des bananes déjà emballées ?!", pesta une cellule grise plus grosse que les autres. Le cerveau au garde à vous, j'obtempérai en jetant un œil vague au prix de l'équité.

Après quelques errances où je m'assurai que non, rien de rien, je ne regrettais rien au rayon sardines, café, biscuits, essuie-tout et le reste, je marquai un arrêt prolongé devant les glaces. Ce que j'avais à hauteur d'yeux n'était pas à celle de mes espérances. "Tu ne me plais pas", lançai-je au pot de glace qui m'attendait. L'objet de ma convoitise m'apparaissait désormais dans toute sa froideur. Nous nous considérâmes longuement. Le fantasme laissa place à l'indifférence. Je finis par attraper son voisin bourré d'yeux en amandes et refermai la porte brutalement.

En passant par chez les céréales, je trouvai que c'était une bonne idée, les céréales. Je me serais bien choisi des céréales. Las, toutes celles qui me faisaient envie mentionnaient des vertus amincissantes alors que je ne leur avais rien demandé. Vous imaginez, flottant dans mon bol de lait, des pétales de riz me soufflant leurs qualités nutritionnelles pendant que le paquet aux silhouettes conquérantes me fredonnerait la recette du bonheur par l'amaigrissement, dans un gazouillis visuel indigeste ? "Vous ne m'aurez pas !", dis-je aux emballages saturés d'exergues incitatifs. J'étais en train de réaliser que moi non plus, je n'aurais pas mes céréales. Elles snobaient mon inertie corporelle autant que je toisais leurs criards atours.
Le status quo me planta là un certain temps, avant qu'une plainte émanant de mon panier se fasse entendre. Un léger tic-tac humide me rappelait de faire fissa. La glace avait ses vapeurs. Les yeux en amandes me suppliaient de les rendre à leur milieu naturel. Claudiquant jusqu'aux tapis roulants, j'emboîtai le pas de la file la plus courte. C'était aussi la plus lente, mais à l'heure où je me congratulais d'avoir débusqué pareille aubaine, je ne le savais pas encore. Je constatai bientôt que non seulement les clients arrivés bien après moi empruntaient déjà la sortie, mais qu'en plus il n'y avait aucune explication visible à ce phénomène. Je fixais ma caissière. C'était peut-être à cause de ses cheveux ? Ou c'était moi. Ou mes cheveux ?

A côté, une voix de Stentor. Les regards se tournèrent vers ce jeune homme qui avait prévu ce succès depuis chez lui. Il portait une chaîne dorée qui pendait jusqu'à l'entrejambe, des lunettes de soleil façon mouche et conversait au téléphone en payant de l'autre main. Son pantalon, véritable défi à la pesanteur, volait bas : la ceinture lui arrivait juste sous les fesses.

Mon tour vint et j'embarquai mes bâtonnets qui tombèrent au fond de mon sac dans un bruit liquide peu engageant. Pour clore ce chapitre absurde, il ne me restait plus qu'à jeter ma brillante acquisition. Je cherchai la poubelle du supermarché à la sortie. Un homme avec une canne cherchait un euro ou deux. Il n'y avait pas plus de poubelle sur le trottoir que de passants prodigues.


Note : Ce texte est ma contribution poussive au concours de Dorham, dont le thème est "les poubelles de supermarchés". Je vous encourage à lire les très belles copies de Zoridae, Audine, Balmeyer, Dorham et de plein d'autres dont les liens se trouvent ici
Je vous le dis tout de go : je ne vote pas pour moi :))

lundi 7 juillet 2008

Déconfitures


Fragonard, Les hasards heureux de l'escarpolette, 1767

Les fabricants de tongs peinent à écouler leur stock en ce doux mois de juillet : les touristes ont pris leur petite laine pour aller photographier la Seine. Je leur conseille au passage le deuxième étage du musée Carnavalet pour se réchauffer. Petit guide thermique de l'édifice : en cas de canicule, filez droit vers les vestiges du néolithique. Privilégiez la révolution en cas de grand froid. La royauté prise en sandwich entre l'âge de fer et et les jets de pierre sera étudiée lors de températures plus clémentes. J'aime me nicher dans un des recoins tapissés de ce majestueux musée. En plus d'offrir une large gamme de degrés Celsius, c'est gratuit et instructif. Je ne me lasse pas d'y admirer le portrait de madame de Sévigné : quand j'étais petite je l'avais en triple dans mes images de chocolat Poulain.


Il fait froid, mais parlez pour vous : moi, depuis quelques jours, je suis brûlante comme la braise. C'est bien l'été à Paris, les oiseaux s'égosillent sous les vrombissements des moteurs, les arbres poussent à l'envers (vu square du temple) et le soleil caresse la face cachée des nuages. Je passerai le plus clair de mes vacances dans cette cave à l'air libre qu'est notre capitale. Alors la chaise longue, ce ne sera ni pour moi, ni pour mes hormones. [ C'est quoi des hormones au fait ? "Les hormones ont une fonction de communication", dixit itsi-Wiki.] Ah ça, pour communiquer elles communiquent... J'ai l'impression que chaque pore de ma peau s'amuse à lancer des clins d'oeil aux inconnus. Je fais des clins de pores. Je clignote, en quelque sorte. C'est raté pour la discrétion, alors j'ai décidé d'assumer. Ces derniers temps, je sors le grand jeu en toutes circonstances ; je fais ma grande Zoa dès qu'il s'agit de descendre les poubelles. Jugez plutôt.


Hier, en me pavanant à Carnavalet, vêtue d'une combinaison catwoman (ou d'un jean, je ne sais plus bien), je m'installai lascivement sur un gros pouf rouge. Je balançai ma chevelure d'avant en arrière, prétextant une gêne capillaire qui m'empêchait d'observer à ma guise les événements de la Commune. Afin de n'en rien rater, je pivotais régulièrement sur mon pouf, à l'aide d'un jeu de jambes à la Cyd Charisse (ou Charlot, je ne sais plus bien). Im-pa-rable, le coup des gambettes en folie : un jeune homme vint, taillé comme l'armoire de Paul Léautaud aperçue peu de temps avant (ou était-ce l'armoire elle-même qui s'approchait, le doute me submerge). L'individu meuble exprima le souhait de partager mon pouf et engagea derechef la conversation. Ca mordait sec à l'hameçon, me félicitai-je intérieurement. Une bien belle prise, en plus. De l'écaille luisante, de l'oeil vif, de la chair ferme, du sauvage quoi ; un parler plein d'arêtes, un vocabulaire rudimentaire comme les armes de l'âge de bronze exposées plus bas, des fautes de frappes plein la bouche, ah non là ce n'était plus possible. Sa prose grinçait comme les gonds d'une grange abandonnée et les pores de ma peau se verrouillaient les uns après les autres. Je pris congé poliment en lui souhaitant bonne chance pour les réparations de sa voiture, qui le plantait "juste avant ses vacances au Cap d'âge". Pour équilibrer ma journée, je décidai d'aller draguer l'octogénaire au square du temple. Bonne pioche : 4 papys aux yeux rieurs et à la brioche turgescente avaient, eux, moult aventures amusantes à conter. Pratique : leur banc jouxtait le mien. Occupée à chercher en quelle langue ils devisaient, je n'eus pas le temps d'aller à l'abordage et les vis partir sans un regard à mon endroit. Mon jeu de jambes passait-il moins bien sur banc vert que sur pouf rouge ? Je ne le saurai jamais.

Une nuit passa et mes hormones n'eurent de cesse de m'envoyer leurs fax désespérés. La combustion opérait toujours. "Il fait froid, j'ai chaud !" continuai-je de gémir, prise dans d'épaisses fumées dont l'origine semblait me suivre partout. Ce fut donc en déshabillé de satin que j'attendis mon agent EDF ce matin (ou en jean, je ne sais plus bien). Lorsqu'il parut, ma joie et mon compteur ne firent qu'un tour. "1040, vous êtes d'accord ?" me lança-t-il en titillant un petit bouton bleu. "Je ne sais pas, je vais réfléchir", crus-je bon de répondre d'un ton langoureux (ou langoustier, je ne sais plus bien). Il eut un rire surpris. Il interrompit son activité et me regarda dans les yeux en souriant. Puis il sembla se raviser et me dit au revoir. "C'est tout ?", rajoutai-je, de la sauce au beurre plein la voix. Ma question le plongea dans un abîme de réflexion. Avouez que le moment était propice pour embrayer avec un "What else ?" prononcé d'un ton grave, en me plaquant au mur ou en me préparant un café. Visiblement dans l'embarras, il paraissait chercher ses mots. Son visage s'illumina au bout d'une interminable poignée de secondes. Il eut un regard appuyé qui remonta lentement de l'intérieur de ma cheville à mes paupières en me chatouillant tout du long. Ses lèvres s'entrouvrirent et il dit : "Non, ce n'est pas tout : vous recevrez votre facture dans dix jours".

dimanche 6 juillet 2008

L'arrêt

Chardin, La raie, 1728
Un bruit sourd et régulier, entre le maillet allègre et la mitraillette enrhumée, me réveilla à six heures et demie. Qui pouvait bien bricoler avec frénésie à pareille heure ? Sans doute un mari stressé par la promesse faite à sa femme de finir les étagères avant le départ en vacances. Ou la femme dudit mari, martelant et maudissant en rythme ce dernier de ne jamais tenir ses promesses. Ou la mère du même, s'adonnant nerveusement aux balancements de son rocking-chair près du mur, consternée d'avoir appelé son fils Manuel alors qu'il n'en était pas un. L'envie de jeter un oeil par la fenêtre me décida à l'ouvrir. Mais le sculpteur fou n'était pas sous mes carreaux. Le bam bam continuait et je le suivis à la trace. Là, il est là ! Mon index, fier d'avoir flairé l'origine du vacarme métronomique, pointait résolument ma poitrine. "Hein ?" fis-je, en enlevant mes bouchons d'oreille. Le calme était revenu. Je les remis mais les retirai aussitôt. "Quel boucan en moi-même !" ronchonnai-je, abandonnant l'idée d'une reprise des activités morphiques. A l'extérieur de mon épiderme, un silence de matin d'été. J'entrepris de calmer mon tambour : "hé, oh, cool Raoul, tu vas te fatiguer et me faire clamser par la même occasion. Là où tu es il ne peut pas t'arriver grand-chose hein." Tout ce que je lui demandais, à mon myocarde, c'était d'éviter d'en faire trop, des fois qu'après lui prenne l'idée farfelue de se mettre à un repos total bien mérité. "Allez quoi, ne me dis pas que c'est ce cauchemar qui t'a fait peur, si ?"

Je m'allongeai sur le dos histoire de fixer le plafond pour y projeter mon étrange film nocturne. Un producteur un peu grisonnant, lunettes noires et fierté incrustées sur le visage, attiré par ma ferme intention de visionner le nanar, s'installa près de moi sur un siège pliant en tissu. "Tu vas voir, bébé, c'est de la bombe !", me lança-t-il, visiblement satisfait de son oeuvre. Sur son dossier de chaise était écrit "Inconscient". Mon coeur la ramenait un peu moins avec son numéro de claquettes.
Des cris, de l'invisible partout, une amie d'enfance torturée dans une cave... Ca parlait de vampires, de possession et de kidnapping mental. "Ri-di-cule", m'exclamai-je en direction de mes co-spectateurs, "C'est tout pompé sur l'Exorciste et Evil Dead, le scénario en moins". Le producteur fit un bond sur sa chaise mais ne dit rien. Pompon final : en guise de dénouement, un bruit sourd et régulier...

samedi 5 juillet 2008

La promise qu'on vole en justes noces

Ingres, Le bain Turc (détail), 1862
source
J'étais préoccupée par un fait scientifique : si j'envoyais ma tasse de café par la poste, le café risquait de s'écouler tôt ou tard. L'idée me vint de l'occulter avec du scotch. Mais collerait-il suffisamment, n'y aurait-il pas fuite entre les bandes, combien de bouts entrecroisés pour étanchéifier la tasse à coups sûrs ? Heureusement, j'avais fort à faire et oubliai vite l'épineux problème : le mariage commençait ! Dans un métro nuptial, la mariée asiatique placée juste derrière moi fixait le sol et on eût dit que rien ne pouvait la sortir de sa rêverie mélancolique. Je me retournai pour lui parler. Je voulais lui préciser ce qu'elle ignorait peut-être : "hey, c'est un chouette jour pour toi, normalement tu souris !". La prise de conscience qu'elle convolait à contrecoeur fut la claque qui me bascula en état de veille.

Rien ne m'étonne dans ce rêve puisqu'hier j'envoyais des pâtes d'amande par la poste tout en rêvant d'un café, avant d'aller chez une copine me morfondre devant un reportage sur les vietnamiennes qu'on marie à de riches étrangers. Oh, elles ne sont pas exilées comme ça, sans préparation : on les acclimate un peu en leur apprenant les recettes de cuisine de leur futur pays. Elégante initiative. De quoi honorer la panse du crétin venu chercher exotisme et soumission parmi les pauvresses. J'imagine que d'aucuns vanteront à la moralisatrice que je suis les innombrables avantages pour ces heureuses épouses : un foyer tout équipé, des marmots scolarisés. Il y a toujours un moment où l'on exhibe les avantages en nature qui justifient qu'on puisse vendre une fille à un inconnu, l'isoler définitivement des siens, l'installer dans une maison d'où elle ne sortira jamais, tout en exigeant des contreparties à ce beau cadeau de la vie qu'on lui fait. C'est vrai quoi, merde, c'est pas si horrible, c'est juste un mariage. D'accord, se fader un mari qui ne parle pas votre langue, rentre bourré et conçoit l'obéissance de sa moitié comme un dû, c'est pas toujours rigolo. Mais bon, les avantages, quoi ! Je dois être égoïste à m'offusquer de ce genre de contrat. Les a-van-tages ! Dans un futur chapitre, je démontrerai que le tourisme sexuel constitue un complément de revenu non négligeable pour toute autochtone pubère ou presque qui se respecte. En vous remerciant. Bonsoir.

Et puis quoi encore.

mardi 1 juillet 2008

Groupie

Poussin, L'adoration du veau d'or, 1634


Là où je suis nulle, c'est que je n'ai pas la télé. Et que Sex and the city par exemple, je ne connais pas. Et qu'en plus, à entendre les descriptions sur le sujet, ma curiosité s'élime plus sûrement que le cuir de mes chaussures (du temps où je les utilisais comme frein à vélo). C'est grave docteur ? En revanche, y'a un type sur cette planète qui s'est réveillé un jour en se disant : "Tiens, si je prouvais au monde (d)entier que Sarah Jessica Parker possède un gène commun avec nos amis les équidés ?", un aperçu .
Non moi, les séries télé, je peux pas, j'ai jamais pu. Sauf. Oui bon, il fallait bien une exception. Sauf une série hippie qui se passait dans l'espace. J'avais 14 ans quand il y eut une rediffusion de ce vieux tromblon télévisuel qu'était déjà Star Trek, sur la 5 berlusconienne de l'époque (on dit souvent que c'était mieux avant. La 5ème nous prouve que non). Ca se passait dans un futur où les humains, réconciliés tous entre eux, partaient à la conquête de l'espace. Y'avait une lieutenant noire des Etats unis d'Afrique, un Japonais et un Russe au sein de l'équipage et ça, dans une série états-unienne des années 60, c'était notable.

A chaque épisode, les protagonistes arrivaient tout pailletés dans des mondes saugrenus. Ils brillaient de toutes leurs cellules et bing, ils débarquaient où bon leur semblait. Pour des questions de sous, leur vaisseau n'atterrissait jamais. Ainsi naquit la télétransportation, sorte de désintégration corporelle avec recollage automatique de morceaux, qui permettait de traverser les stratosphères les plus nébuleuses et de choisir précisément où jouer avec son propre puzzle humain. Souvent, le monde hostile qui les attendait n'était en fait pas si terrible. Il y eut par exemple une planète où, après moult démêlés, ils finirent par s'apercevoir que c'était juste leurs pensées qui se matérialisaient et décidèrent d'y passer leurs vacances. Les monstres, sauvages ou de compagnie, étaient souvent en peluche. L'imagination du créateur de la série dépassait largement les bornes de son budget. Résultat : l'addiction s'empara de tout mon être. Pire. Mon émoi de fille en fleur ne fit qu'un tour en découvrant ce personnage épris de logique et d'une insensibilité à toute épreuve : Spock, l'homme au sang vert, oreilles en pointes et coupe de cheveux playmobil-au-bol. Je tombai raide dingue de cet intellectuel bout de bois dont le visage s'animait au mieux d'un haussement du sourcil droit à la vue d'une navette inconnue. La collégienne que j'étais se retrouva dans l'embarras : ma copine de classe se consumait pour Harrison Ford, les autres piaillaient au son d'une roucoulade d'un Georges Michaël tandis que j'envoyais des missives enflammées à un extra-terrestre sans libido.


Un vieillard d'au moins 50 ans me répondait en me dédicaçant sa photo. Il avait les oreilles rondes et quelques cheveux soyeux. Je me demandais si j'avais mes chances, s'il aurait accepté de me rejouer Spock en privé. Heureusement qu'à l'écran l'infirmière de l'équipage était atteinte du même mal que moi. Je me sentais moins tordue, ou disons moins seule dans ma torsion. C'était un âge où j'aimais à pouffer en groupe, à soupirer en choeur, à rosir de concert sitôt qu'un blondinet chanteur, torse nu et hanches gigoteuses, nous jetait au visage sa sainte sueur sur serviette. Nous poussions alors des cris aigus et nos semblables. En évoquant avec les copines mon icône de la sensualité autour d'un fraise-coca, je ne demandais qu'une chose : leur approbation par un "ah ouaiiiiiiiiis" nasalisant. L'irruption de Spock dans mon espace myocardien me privait de cette douce hystérie complice. Je décidai de porter des pulls de couleurs vives pour accompagner mon originalité sentimentale. Les années filèrent avec leurs chatoyants chandails : mes 17 ans à peine soufflés, j'avais enfin des petits amis avec un Q.I. de sardine. Mes vêtements étaient noirs comme la substance que je broyais.


A présent j'assume mes goûts : la moue de mannequin rasé de près m'ennuie, la cellule grise m'excite ? Tant mieux. Je laisserai mes congénères se piétiner les unes les autres pour déchirer le T-shirt du minet d'à coté. J'en profiterai pour aller caqueter devant celui qui a du répondant. J'irai le voir se produire dans les cafés philo. Il tournera les pages de son Spinoza pendant que je me dandinerai tout autour. Je baverai devant le sensuel déhanché de ses synapses en espérant qu'il me jette son marque-pages au visage. Puis je tirerai sur sa chemise en hululant, après lui avoir arraché une branche de lunettes.