lundi 12 mai 2008

Sur le fil

De chez moi à la station de métro je suis morte deux ou trois fois. Arrivée au pied de la bouche, je me suis pendue. Une vraie gaffe : je n'avais pas vu le fil tendu en travers de la rue. Pourtant c'est pas la première fois que je les repère, noués comme ça pour me barrer le passage. Mais d'habitude ils sont plutôt accrochés à la plus haute marche des escaliers, que je dévale alors tête la première. D'ailleurs, après cette pendaison fatale, j'en ai justement trouvé un comme ça. J'ai fait bien attention à l'enjamber, celui-là. Puis la machine a avalé mon ticket.

J'ai vu que le métro était là, toutes portes ouvertes. Je n'ai pas eu envie de courir et tandis qu'il repartait je trouvai ça inhabituel. En règle générale, l'air sous terre provoque chez moi une envie frénétique de doubler tout le monde. Là, je flânais où il n'y avait rien à voir, mes sandales résonnaient sur les marches carrelées et j'étais toute seule. Sur le quai, les minutes lumineuses me mirent de bonne humeur. J'aime bien les minutes du métro parce que chacune d'elles est unique. Il y a la minute qui dure vingt secondes et celle de trois minutes, et toutes les autres.

Voyant qu'il me restait trois minutes à durée indéterminée, je me rapprochai d'un panneau d'informations en repensant à ma dernière mort. Où avais-je pu pêcher cette cordelette vicieuse ? Une très vieille histoire me revint de je ne sais quel tréfonds où elle était enfouie. Je me remémorai une mort familière, une étrange pendaison qu'on avait jugé bon de ne pas m'expliquer. Je devais avoir six ans. Un soir, devant la vieille maison aux chats qui jouxtait notre jardin, la voisine avait été retrouvée pendue à sa corde à linge. Ma copine avait accouru à toutes jambes m'annoncer ça :

- "La dame des chats, elle a été trouvée morte, c'est mon papa qui l'a dépendue !
- Mais comment elle s'est pendue ?
- Elle a descendu l'escalier, y'avait la corde à linge en travers, elle l'a pas vue et ça l'a étranglée !"

J'y ai réfléchi longuement. Il y avait quelque chose qui me paraissait mystérieux scientifiquement parlant. Sans plus d'explication, je finis par me dire qu'il fallait faire attention avec les étendages.

Au cimetière du village, notre voisine avait été placée à côté de ma grande soeur, décédée quelques temps auparavant. Je m'étais demandé si c'était parce que nos noms de famille commençaient par la même syllabe ; j'ai pensé qu'ils rangeaient peut-être les tombes par ordre alphabétique. J'étais au CP.

Je suis entrée dans le métro avec le linge, les chats, les pierres et un vague sentiment d'incongruité.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Un "simple" griffonnage qui vaut mieux que beaucoup de textes bien plus renommés.

Stéphane

Anonyme a dit…

J'aime vraiment beaucoup tes écrits...

Anonyme a dit…

ton blog est excellent ! merci pépite pour nous l'avoir fait découvrir.

Marie-Georges a dit…

Z'êtes adorables !