Je m'en vais vous conter mes origines. Vous partez déjà ? Bon. Je vous le concède volontiers, point n'est plus rasoir que l'arbre généalogique des autres. D'abord, personne n'a jamais voulu dire de quel bois se chauffait ce fameux arbre aux fruits familiers. Toi, rescapé-e des premières lignes de ce texte, saurais-tu dire dans quel genre de branches s'étale ta propre lignée ? Chêne (solide ou enchaînant) ? Saule pleureur (quand on a la famille qui flanche) ? Troène (pour clamer "famille, je vous haie") ? Courgette (pour ceux dont les racines courent en souterrain) ? Espèce hybride (courgette pleureuse, par exemple) ? Bonsaï (problème de croissance suite à archivage défaillant) ? Nous y sommes. Quand j'ai vu la belle gravure sur laquelle mon père avait collé les portraits de tout le monde, je me suis écrié, ébahie que j'étais, "ouaaah, mon arbre à moi" ! Oui, c'était mon mien, l'écorce pavoisée par ma trogne à moi. Tout de même, ça fait bizarre de voir ma tronche, née à la Tronche (si, si), collée sur un tronc. L'arbre généalogique a ceci d'étrange que la descendance vient se nicher près des racines tandis que les aïeuls, sur leurs rameaux perchés, semblent nés de la dernière pousse. Ca s'appelle un arbre généalogique ascendant, c'est comme ça et puis c'est tout. Bon d'accord, mais sur mon mien y'a quelques couacs visuels. Les plus vieux ont été portraiturés plus jeunes que les plus jeunes. Visez les visages et vous verrez : la grand-mère de ma mère paraît être sa fille. D'où l'intérêt des ramifications pour remettre un peu d'ordre canonique dans tout ça. Je n'impressionnerai pas les historiens avec ma plante d'intérieur neurasthénique qui s'arrête net aux grands-parents de mes parents pour les branches les plus hautes. Presque personne n'a eu la bonne idée de naître en France, résultat les pousses partent dans tous les sens et mes racines se perdent en cours de route. Mais ce qui me fait bizarre là dedans, ce sont toutes ces paires d'yeux dans le feuillage dont je suis l'extension inconnue de leur vivant. Sans compter les absents qu'on n'a même pas collés tellement qu'ils sont partis vite. J'ai remarqué que je n'étais pas centrée sur ma ligne, je fais bel et bien un pas de côté, comme pour laisser une place à ma soeur disparue, ma copropriétaire d'ascendants. De cette armée de branches cassées, mon père et moi sommes aujourd'hui les seules âmes vives, affairées à en rafistoler sur papier les feuilles tombées. Et qu'est-ce que ce boulot nous branche ! Ca me rappelle un truc. Pendant un certain temps, l'écran de veille de l'ordinateur de mon père était une phrase qui défilait inlassablement. Ca disait : "Un seul hêtre vous manque et tout est peuplier."
Qui suis-je ?
Il y a 14 ans
9 commentaires:
Je ne te fais pas toujours signes mais je te lis tous les jours et j'aime énormément tes billets.
Celui-ci est très beau, dense comme le feuillage des arbres que tu évoques...
Zoridae : je suis très flattée d'être lue par mon inspiratrice :) car oui, c'est ton blog qui m'a donné envie d'en créer un.
Cé : d'après ton mail je pense que tu as compris pourquoi je supprime ton commentaire, que j'ai apprécié par ailleurs ;) Bisous.
C'est Zoridae (ci-dessus) qui me parachute ici. C'est idiot ce que je vais dire, mais j'apprécie beaucoup ton billet. "Un seul hêtre vous manque et tout est peuplier" : vive les arbres ! :D
Bonjour et bienvenue Balmeyer. C'est rigolo, je parlais d'un de tes textes ce matin sur un autre blog... Un honneur pour moi que ce texte soit apprécié par des écrivains de la cour des grands, comme tu sais peut-être (cf. mon commentaire chez Zoridae !), alors un grand merci à toi d'avoir fait crisser ta plume ici.
Et un être un peu plié, c'est dommage...
Marie-Georges,
Tss tss nous ne sommes pas des écrivains, mais des auteurs de blog. Rien de plus !
Alors tu me le prêtes ton ballon et on joue ensemble ?
(les joues cramoisies) Ahem, bon d'accord :p
Sublimes jeux de mots, sujet touchant... C'est très beau... J'm'en va faire lire tout ça à mes parents!
Enregistrer un commentaire