mercredi 18 août 2010

Harmo(g)nieux

Gérard, L'Amour et Psyché, 1798

Je l'avoue tout de go, j'aime Bernard-Henri Devaux. C'est pourquoi nous convolons en juste blog. Ah, qu'il est doux d'entrelacer nos plumes numériques afin de scribouiller de concert sur un site qui fleure bon la peinture fraîche et le zéro commentaire ! Ne dit-on pas "aimer, c'est s'énerver à deux sur les mêmes sujets" ?

samedi 7 août 2010

Explications

Courbet, L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale), 1855

par mail

- "Cher papa, tu es injoignable par téléphone ! J'ai pris des billets de train pour venir te voir du 21 au 27 juillet. J'espère que cela te convient. Bisous."
- "Ma fille, pourquoi pas mais je suis précisément absent du 21 au 27. Bises."
- "Cher papa, je vais donc annuler et en reprendre deux autres pour la période du 28 juillet au 3 août. Bonnes vacances et à très vite."

sur le site de la sncf
- "Pour annuler vos billets, cliquez sur annuler."
- "Clic"
- "Votre commande a bien été annulée."

le surlendemain
- "Chouette, je viens de recevoir mes billets annulés par courrier. Ils sont bizarres à la sncf mais ils sont drôlement rapides en tout cas."

sur une page du site, en petits caractères
"Pour le remboursement de billets, munissez-vous de ces derniers et allez dans une gare."

à la gare

- "Bonjour madame, je souhaiterais le remboursement de ce billet.
- Aucun problème, j'ai besoin de l'autre pour cela.
- L'autre ?
- Oui, le retour.
- Mais j'ai cru comprendre qu'il n'était pas remboursable ?
- Tout à fait. Non remboursable, mais indispensable pour rembourser le remboursable.
- Eh bien je ne l'ai pas sur moi.
- Dans ce cas je ne peux rien.
- A vrai dire, je ne sais pas si je l'ai gardé. Si je ne le retrouve pas, que puis-je faire ?
- Ici, de toute façon, nous ne pourrons rien faire sans ce billet. Cependant vous pouvez vous adresser au service clients. Cela prendra un mois, il faut le savoir.
- Bien. Avez-vous l'adresse du service clients ?
- C'est à ce même guichet.
- ...
- Je résume : vous revenez ici avec votre billet non remboursable pour que je puisse rembourser celui qui l'est, et si vous ne le trouvez pas eh bien vous revenez ici, mais je ne pourrai rien pour vous.
- Un peu comme maintenant ?
- Oui mais à ce moment-là, nous procéderons aux démarches pour le service client.
- Dites, je peux peut-être effectuer ces démarches par courrier ?
- Bien sûr.
- Dans ce cas, je veux bien l'adresse s'il vous plaît.
- Vous pouvez en effet trouver l'adresse sur notre site internet."

Je regarde l'écran de l'ordinateur de la dame, visiblement connecté sur ledit site. Je me dis qu'il doit y avoir un protocole extrêmement pensé indiquant qu'il vaut mieux renvoyer un usager chercher l'information par lui-même plutôt que de la lui donner bêtement. Je suis rentrée en constatant chez moi le même phénomène qui survient après une lecture d'article de presse féminine : une sorte de litanie explicative insensée déguisée en réponse dansait dans mon espace crânien.

mercredi 4 août 2010

Prise de vie


Picasso, la nageuse, 1929


Je me sens bizarre et j'ai encore perdu ma notice, c'est pénible ; je voudrais juste vérifier un truc au chapitre "effets indésirables". Ah, la voilà.

"Qu'est-ce que LA VIE NORMALE et dans quels cas l'utiliser ?"

Bon ça je sais. La vie normale, ça se prend avant chaque sortie et ça sert à avoir l'air comme les autres.

"Quels sont les effets indésirables éventuels ?
Comme toutes les formes de vie, LA VIE NORMALE est susceptible d'avoir des effets indésirables, bien que tout le monde n'y soit pas sujet :
- poussée d'air renfrogné sur le visage ;
- akathisie en période de vacances, parfois associée à une apathie au travail ;
- bavardages internes aggravés avec accroissement du débit aux heures de repos ;
- visites d'anciennes connaissances non souhaitées voire gênantes."


Me voici soulagée : les tous récents événements du dedans de moi ne seraient pas pathologiques mais semblent consécutifs à mon nouveau traitement. Ce dernier est heureusement aisé à suivre : rien le matin, rien le midi, rien le soir, et tout ça trois fois par jour.
Depuis que j'ai commencé, je me sens comme Perrette et son pot aux roses, la tête surmontée d'une outre débordant d'idées brunâtres. J'essaie de filer droit pour éviter l'écoulement intempestif du liquide sombre et haut parlant. J'ai en effet le verbe interne abondant. Qu'est-ce que ça cause là-dedans ! Ma cure précédente, à base de sourdines de l'esprit en poudre, m'avait fait oublier cet élément constitutif du moi mal vissé.
Ne pas déprimer, c'est donc avoir une tête qui la boucle et se tient droite en attendant les consignes. Hé bien il était temps que j'arrête. J'étais en train de perdre des amis de toujours : le boxeur nocturne, le chansonnier phobique, le brodeur de scenarii outrés, la cantatrice miséreuse, le conteur d'histoires à veiller couché, la vendeuse de crayons déminés, le rémouleur de nerfs, l'éplucheuse des sens, que ferais-je sans eux ?
Aujourd'hui, cela fait une semaine que les derniers débris de joie chimique se sont dilués dans mes veines. Depuis lors, grisée par nos retrouvailles, encastrée dans le mou strapontin du moi-même, je contemple d'un œil attendri ma troupe d'infortune qui a repris place sur la grande scène cérébrale illuminée pour l'occasion, en attendant l'overdose.


vendredi 25 décembre 2009

Rouge

Cézanne, Les joueurs de cartes, 1895

La préparation du repas de réveillon prit deux minutes à mon papa. La recette ? Vous déposez un pavé de biche* dans une poêle, vous le retournez au bout d'une minute, vous attendez au moins autant avant de servir.
Pendant ce temps, j'égouttais le riz, que j'avais pris soin de choisir en version libre dans sa boîte plutôt qu'en sachet-cuisson. "C'est Noël, quand même."
Nous nous installâmes de chaque côté de la table de la cuisine.
- Tu as déjà goûté le vin ?
- Je vérifiais qu'il ne soit pas bouchonné.
Je blêmis. Non, un côte-rôtie 2003 n'a pas le droit d'être gâté; c'est contraire à toutes les lois de la bonne soirée ainsi qu'à l'éthique du prix exorbitant.
- Alors ?
- Non.
- Ouf.
Nous piquâmes dans nos assiettes et nous délectâmes de la tendre chair de cette bête qu'un Bambi pleurait sans doute quelque part. De temps en temps, je m'aventurais dans une phrase sortie de tout contexte introductif. Dans ces moments-là, mon père arrêtait net sa mastication pour mieux m'entendre. J'avais l'impression de dire des choses graves tout le temps. Lorsqu'il ne répondait pas, je savais que ça l'était.
- C'est drôlement bon, le côte-rôtie, je n'en avais jamais bu.
- C'est un vin qui râpe.
- Et c'est bien, quand ça râpe ?
- C'est qu'il a beaucoup de tanin. Rien à voir avec le beaujolais.
Mon père désigna d'un mouvement de tête le cubi qui trônait en bout de table.
2003, poursuivit-il, c'est l'année de la canicule.
- Ah oui c'est vrai ! Je me souviens, je partais au Mexique... Et euh, c'est bénéfique, une canicule, pour un vin ?
- Pour celui-là oui.
Ce fut le deuxième soulagement au cours du repas. Lorsque j'apporte quelque chose à mon père, il faut non seulement que ça lui plaise, mais aussi que j'en aie l'absolue certitude. Seulement voilà : mon papa ne répond pas toujours aux questions qui le concernent de trop près. Alors je l'interroge sur ses goûts de façon détournée, en faisant mine de rechercher un éclairage auprès de sa légendaire rigueur scientifique.
- Je me demande pourquoi le champagne est aussi cher. Je préfère vraiment un bon rouge ! Tu sais pourquoi, toi ?
- Non, j'ai jamais compris.
J'avais rudement bien fait de choisir du vin.
- Tu sais ? Le père de Françoise est mort exactement de la même manière que maman.
Mon père reprit illico sa mastication. Il sembla observer fixement un point dont l'abscisse et l'ordonnée se trouvaient entre le goulot de la bouteille et le manche de ma fourchette.
Tu sais ? Plein de gens pensent que le soleil tourne autour de la terre. C'est dingue quand même. Moi j'aime beaucoup ce vin.


* (Les végétariens, je compatis. Vous pouvez remplacer la biche par une tranche de feta, à condition de la saisir dans une huile très chaude pour la faire dorer.)

mardi 10 novembre 2009

Défaut d'entrain

Munch, Le matin, 1884

Je pense être assise dans le sens de la marche. "Si la gare est derrière moi c'est bon signe", me rassuré-je. Je n'ose pas me retourner pour vérifier, des fois que ma rotation entraîne celle du wagon entier.

Je m'appuie contre la vitre et je regarde les compagnons de galère ou passagers encore sur le quai. Un couple s'embrasse. L'homme est si content que ses dents dépassent. Il approche son sourire pour l'appliquer directement sur la face de sa partenaire. La fille se dégage. Elle se retrouve avec le sourire tout collé sur le visage. Il entame un jeu de va et vient du cou, comme pour imiter un pompon de manège titillant l'occiput des enfants qui tentent de l'attraper. Ils se cognent les lèvres plusieurs fois, vérifiant régulièrement qu'ils ont embrassé la bonne personne.

Me voilà flanquée d'une angoisse. J'aimerais crier à la fille qu'elle parte avant qu'il la mange mais trop tard : il dépèce sa gorge à grands coups de canines tandis qu'elle, bâillonnée par le sourire-scotch, ne crie pas. Je tourne la tête.

Le train a démarré et mon chéri, placé quelques wagons plus loin, me rejoint. Nous parlons différentes langues pour nous croire incompris des voisins. Il sait que quelque chose cloche. Le voyage se passe quand même bien, pour peu que j'arrête de réfléchir à ce que je vois. Nous arrivons en gare connue.

"- Tu veux que je te raccompagne chez toi ?
- Oh, non tu sais, franchement, j'habite à côté de la gare. Cela étant, est-ce que je peux changer d'avis immédiatement ? Je veux bien que tu fasses un bout de chemin avec moi jusqu'au métro.
- Bien sûr."

Arrivés à ma station, nous prenons congé et je poursuis ma marche. Mes pas convergent de plus en plus avec l'alignement des murs. Il faut dire que les bancs de passants que je croise s'ingénient à me faire des queues de poisson. Des gouttes jouent au toboggan sur mon visage. Les rues sont bordées de molaires à fenêtres et je ne sais lesquelles emprunter. Je me rends compte que j'allonge mon trajet à force d'avancer de réverbère en réverbère. J'ai la tête comme le reste qui n'en finit pas de tourner. Je veux juste rentrer chez moi mais il y a comme un rond-point mental à la Devos qui se répercute dans mes guiboles et m'empêche de me diriger au bon endroit.

Quelques jours plus tard, chez le médecin, nous nous en tapons les cuisses :
-"Wouh, docteur, je suis partie en week-end en oubliant mes antidépresseurs, eh bien c'est quelque chose !
- Ah oui effectivement ! Vous avez eu des flashs non ? Des décharges électriques peut-être ?
- Non, juste des hallucinations et des vertiges. Au moins je m'en souviendrai, fini les oublis.
- C'est pour ça que vous ne devez jamais arrêter le traitement d'un coup. Cela doit se faire progressivement.
- Loin de moi l'envie de rejouer les kamikazes chimiques, croyez-moi."

Aujourd'hui, cela va faire environ trois semaines que j'ai complètement arrêté. Ce fut long mais pas trop difficile. En revanche, la vie l'est toujours. Je constate que je n'arrive plus à aller travailler sans adoucissant cérébral. Comme je ne tire aucune gloire particulière de me passer de ce genre de béquille, j'ai rendez-vous ce soir avec mon médecin pour causer reprise. Il faut bien tenir. Du moins c'est ce que disent les collègues. Et puis, d'après mes calculs, cette année est la dernière de ma vie où j'ai trente-six ans. Autant qu'elle se passe avec les commissures relevées.

(Mais vous avez remarqué ? Dès que j'arrête les cachets je reprends le blog, c'est bizarre ça.)

samedi 17 octobre 2009

Kafkonç'

Ernst, Au rendez-vous des amis, 1922

Des fois, je sors pour oublier l'univers surréaliste dans lequel je baigne tous les jours grâce à mon énigmatique boulot de prof à mission indéterminée. Des fois, je me dis après coup que c'est pas gagné.

La scène se passe hier soir, dans un lieu branché de la capitale.

- Vous désirez boire ou manger ?
- Nous allons juste prendre une boisson, merci.
- Vous avez choisi ?
- Euh vous avez quoi comme vin rouge au verre ?
- Je vous apporte la carte.

La serveuse revient avec des fourchettes.

- Vous désirez manger ou boire ?
- Euh nous c'était pour boire.
- Vous ne mangez pas ?
- Non.
- Vous avez fait votre choix ?
- Vous avez quoi comme vin rouge ?
- Je vous apporte la carte.

La serveuse réapparaît en traînant une chaise surmontée d'une grande ardoise. En dessous du menu, je distingue deux noms de vins inscrits à la craie.

- Alors voici les vins, en bas de la carte.
- Merci.
- Vous ne mangez pas ?
- Non.
- Vous n'avez pas besoin de la carte alors, je la tourne parce que vos voisins veulent commander des plats. (faisant pivoter la chaise porteuse) Excusez-nous, nous n'avons pas beaucoup de cartes.
- Ce n'est pas grave. Vous avez quoi comme bières ?
- Alors en pression, nous avons Kornembourg ou Heinkenen. Excusez-moi.

La serveuse se démène avec une autre dalle géante un peu plus loin.

- Elle a l'air un peu perdue. Bon, vous avez choisi ?
- Ouais, une Kor pour moi.
- Moi je prendrai un jus de fraise. Tu as choisi ton vin, Marie-Georges ?
- Euh alors, dans la seconde où j'ai aperçu le tableau, j'ai cru lire "Côteaux Lyonnais", ça ira bien.

La serveuse arrive à petits pas rapides.

- Je peux prendre votre commande ?
- Oui, alors il y a : une Kor, un jus de fraise, un verre de Côteaux Lyonnais.
- C'est parti.

La serveuse revient avec un bout de papier.

- Excusez-nous, nous avons eu un problème en caisse. Je dois reprendre votre commande. Alors il y avait une Heinkenen et puis ?
- Non, une Kornembourg.
- D'accord. Ensuite ?
- Un jus de fraise.
- Nous n'en avons plus, désolée.
- Euh alors un jus de mangue.
- Oui, et puis ?
- Un verre de Côt...
- CÔTEAUX LYONNAIS !! Ça je me souviens !
- Hum, oui voilà.
- C'est noté.

- Quand même, ça fait quarante-cinq minutes qu'on a commandé nos boissons.
- Pas grave, on est bien installés ici, non ?

Je tourne la tête pour regarder la scène en contrebas. Sur une vaste estrade, un disc-jockey se tient debout derrière ses platines face à un public indifférent, des spectateurs se demandant sans doute s'ils verront leur boisson arriver un jour. Vus d'en haut, on dirait des rois mages en plastique tournés vers le divin nourrisson. Tout nimbé de couleurs, les bras en croix, le maître de cérémonie se concentre sur son mix de vieilles mélodies latines. Mes oreilles tentent de comprendre en quoi sa main effleurant chaque vinyle disposé autour de son ventre influence l'air de salsa qui s'échappe des amplis. Je remarque que ceux qui ont commandé des plats sont servis.

- Voici votre Kornembourg, monsieur, et le Côteaux Lyonnais. (déposant une petite bouteille de nectar) Je suis désolée madame, il n'y avait plus de jus de goyave.
- Merci.

- Pourquoi elle nous dit qu'il n'y a plus de goyave ?
- Je ne sais pas.
- (trempant ses lèvres dans le mystérieux breuvage) Mais c'est du jus d'ananas ! Je déteste le jus d'ananas.
- On rappelle la serveuse ?
- Non, ça ira très bien.
- C'est pas génial, les concerts, ce soir.
(...)

La serveuse repasse nous voir et dépose une machine à cartes bleues sur la table.

- Je vais devoir vous encaisser.
- Bougez pas, c'est ma tournée.
Je tends ma carte à la serveuse.
- Désolée, on ne prend pas la carte en dessous de dix euros.
La serveuse s'en va jusqu'à la table voisine tandis que je remballe mon moyen moderne de paiement. Elle se pointe à nouveau sans tarder. Je farfouille dans mon porte-monnaie.
- Attendez, j'ai du liquide. Alors ça fait combien au juste ?
- Onze euros.
- ...
- Oui, excusez-moi, j'avais oublié de compter le jus de fraise.
- Je peux régler par carte ?
- Bien sûr madame. Je reviens tout de suite avec la machine.

jeudi 15 octobre 2009

Année ionescolaire (2)

Hokusai, Kajikasawa dans la province de Kai, 1831

L'épisode 1 est sur cette page, un peu plus bas (penser à mettre un lien). La scène se passe le 1er septembre.

Toujours à l'inspection, le secrétaire et moi tentons de joindre le rectorat depuis dix minutes sans grand succès.
- Ah, ça y est, ça sonne. Je vous passe la personne que vous avez rencontrée ce matin.
- Merci. Allô ?
- Allô mademoiselle Profonde ? Oui excusez-nous, nous vous avons attribué un poste déjà pourvu. Je suis désolée, j'avais mal lu l'écran... Bref, nous allons vous donner autre chose. Alors il me reste... Euh... Laissez-moi voir... Remplaçante dans le 12è ou le 20è, ou bien un poste soutien dans une école.
- Dans UNE école vous dites ? C'est bien, ça ! je prends ! Mais c'est quoi ?
- Je ne sais pas, ce sont des postes qui ont été créés cette année, je n'ai aucune information. Pour en savoir plus, contactez vite l'école Bidule, la directrice, madame Machin, vous expliquera en quoi cela consiste. Au revoir.
- Merci ! Au revoir ! clic
- L'école Bidule ne dépend pas de ma circonscription mais vous pouvez les appeler depuis le bureau d'à côté, ma collègue s'en occupe.
- Merci ! Au revoir !

Au bureau d'à côté

- Bonjour, le rectorat vient de m'affecter dans votre circonscription pour remplacer madame Truc cette année, est-il possible de joindre l'école Bidule ?
- Je les appelle. Vous êtes ?
- Euh Marie-Georges Profonde, poste soutien.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Je ne sais pas.
- J'appelle. (...) Allô, madame la directrice de l'école Bidule ? (...) Oui, je suis avec mademoiselle Profonde, elle est euh...
- Maître soutien !
- Maître soutien chez vous. (...) Votre équipe est au complet ? Ah non, moi j'ai quelqu'un qui vient justement pour remplacer une de vos collègues, madame Truc. (...) Vous êtes sûre ? Bon, je vous l'envoie. clic. Elle vous attend.

A l'école Bidule

- Bonjour madame la directrice, alors voilà : je viens remplacer madame Truc...
- Je ne connais pas de madame Truc.
- Eh bien à l'inspection, ils ont un papier avec la liste des professeurs de votre école, et je vous assure qu'il existe une madame Truc, travaillant ici.
- Jamais vue.
- Bon, je suis là en tout cas, c'est le rectorat qui m'envoie.
- Très bien, euh, ils vous ont précisé la nature de votre fonction ?
- En fait il m'ont dit que vous m'expliqueriez.
- Ah.
- Hum.
- Eh bien, je vais demander à l'inspecteur.
(...)
Il n'est pas au courant. Il m'a dit de ne pas nous réjouir trop vite, il y a de grandes chances que vous nous quittiez d'ici la fin de la semaine.
- Mais mon poste soutien alors ? Et madame Truc ?
- Je n'en sais pas plus.
- Fichtre...

mercredi 16 septembre 2009

Au fête !

Watteau, Les bergers, 1717

Empêtrée dans mes démêlés professionnels avec la maison qui rend fou, j'allais oublier d'établir un compte rendu de la big teuf du Kremlin, au 27 (ou l'inverse). J'avoue avoir manqué à tous mes devoirs de vacances. Heureusement, les collègues blogueurs ont sacrément bien fait le job avant moi. Y'a qu'à voir quel arbre majestueux notre écureuil a créé à partir de tout cela. Sans vouloir entamer un compte rendu des comptes rendus, après lecture je trouve que j'ai rudement bien fait de mettre ma robe décolletée ce soir-là.
Tout a été dit, donc. Il me reste à me démarquer comme je peux, en me prenant pour la Queneau de la Comète. Voici donc mon exercice de style sur le thème du KdB :

Interjections
Hey ! Smuak ! Hihi ! Hmm ? Aaaaaah ! tchin ! Gloups ! héhé ! oh ?! youhou ! Glouglou ! Héhé ! Euh ?! Ah ! Hihi !

Contexte verbal des interjections (développement)
moi - Heeeeey ! Salut ! Ca fait trop plaisir de te revoir ! Rrrroh et toi, t'es toujours aussi belle, smuak, smuak ! Hé, je te connais, toi ! Pis toi !
- Marie-Georges ? Bonsoir !
- Euh ?
- Je me présente : je ne suis pas connu, je tiens un blog de cuisine landaise très peu fréquenté.
- Ah ? Hum, c'est... Chouette... (Nicolas commente même dans les blogs cuisine ?! Mais quand dort-il, cet homme-là ?)
- Coucou MG !
- Youpi, t'es là aussi ! Heyyy, bonsoir, toi, ça fait longtemps !
- Oui ! Bonsoir, euh... Euh... ?
- Sacrée toi ! Mais si : la soirée Elle où on ne s'est jamais vues, la République des blogs où l'on s'est enfin rencontrées...
- Ah oui, ça me revient !
- Rrrrroh et toi, là, toi, t'es célèbre ! Je t'ai vue à la télé !
- Oui. Tu sais que tu es un des premiers blogs que j'ai lus ?
- Aga ? Enfin je veux dire : ah bon ? Héhé... Eh vous avez entendu, là, tous, hein !
- Bon je t'offre un verre ? Tchin, Marie-Georges, hein !
- Ouééé, tchin à tous ! Mais, mais... Quelqu'un peut-il me montrer où est le héros de cette soirée ?
- Je suis là.
- Oooooh ! Je, euh c'est euh salutbonsoir hihi hum damned, je suis impressionnée...

J'en perdis momentanément la voix. Voilà ! J'en ai fini avec mon extrait sonore scrupuleusement transcrit. On a causé de plein de choses aussi, de supermarchés et de numéros. C'était rudement intéressant et réjouissant de trinquer avec autant de blogueurs en même temps. Seul bémol : j'étais venue pile poil pour le dessert mais ce soir-là c'était un menu sans dessert. C'est bête.

lundi 14 septembre 2009

Naturellement riche en psy

Poussin, L'enlèvement des Sabines, 1640

Comme d'habitude, j'ai voulu acheter une margarine en barquette qui ne parle pas d'artères. J'ai pas trouvé. On ne peut plus tartiner tranquille en ce bas monde, ni déjeuner sans avoir à penser à l'état de la tuyauterie interne. A les croire qui plus est, il suffirait d'avaler quotidiennement des louches de matières grasses végétales pour vivre centenaire.

J'en ai marre de m'écouter râler au rayon frais mais il faut bien l'avouer : tout m'énerve. Sauf certains trucs bêtes, comme la taille visiblement insuffisante de la serpillière que je viens de placer sous mon vasistas afin de recueillir la pluie qui traverse ce dernier avec une facilité déconcertante. Entendre les gouttes s'écraser sur le parquet a quelque chose de relaxant. Ça me calme au moins jusqu'au moment où je me promène en chaussettes.

Le spectacle de parents se plaignant chaque matin parce que l'école exige que leurs mômes se présentent avant 8h30 a-t-il contribué à mon irritabilité patente ? Le fait d'avoir été accusée de cacher des cas de grippe A dans le but probable de contaminer l'ensemble des élèves est-il pour quelque chose dans mon léger mal-être ? Voir les incessantes bagarres d'enfants - guerre de quartiers oblige - se poursuivre entre adultes à la sortie de l'école devant d'autres grandes personnes filmant la scène au téléphone portable est-il sans conséquence pour ma santé mentale ? Je me demande. En tout cas mes revendications d'enseignante commencent à évoluer. Je vais en toucher deux mots à mes chefs, tiens :

"Chère hiérarchie du très-haut, Je voudrais savoir comment aider les enfants en difficulté scolaire qui ne dorment pas suffisamment la nuit et vivent dans des contextes violents. Je vous remercie de m'avoir mise en lien avec la psychologue qui travaille dans les six écoles du secteur. En auriez-vous d'autres en stock que nous pourrions par exemple mettre dans les cartables ou distribuer à la sortie de l'école ? En attendant que vous donniez suite à ma demande, je vais relire la circulaire sur les aides possibles. Veuillez bien vouloir croire en l'expression de mes salutations respectueuses les meilleures. Marie-Georges Prof. PS : Je me suis lavé les mains avant d'écrire cette lettre."

Le croirez-vous ? La réponse était inscrite en lettres d'or dans la circulaire ministérielle :

« dès qu’un élève rencontre une difficulté dans ses apprentissages, les aides nécessaires doivent lui être apportées dans le cadre du service public d’éducation »


Je commence à comprendre pourquoi je termine ma journée en scrutant le rayon beurre d'un œil vindicatif. La circulaire est à l'école publique ce que la barquette est à la margarine : une promesse difficilement tenable.

lundi 7 septembre 2009

Année ionescolaire

Les frères Limbourg, Les très riches heures du duc de Berry, juillet, 1416

Cette année, affublée une fois de plus d'un poste saucissonné, j'ai effectué ma pré-rentrée dans trois écoles. Un bien beau puzzle s'annonçait : CM2 le lundi, CP le mardi, CE1 le jeudi et un autre CM2 le vendredi.
On appelle ce poste un quatre quarts temps. C'est un plein temps, mais plutôt en aggloméré qu'en chêne massif. L'an dernier j'avais déjà goûté à cette formidable fonction de bouche-trou rotatif de l'Education nationale inventée en dépit de la santé mentale de ceux qui l'exercent.
Le lendemain de cette pré-rentrée, je décidai d'aller chercher un formulaire au rectorat pour demander l'autorisation de partir en courant.

Rectorat, bureau 356
- Bonjour, j'aimerais solliciter une mise en disponibilité pour cette année.
- Ah ? Et vous avez un motif ?
- Oui : je préfère être serveuse en pizzeria plutôt que d'enseigner un an de plus en quatre quarts temps. Quelle est la marche à suivre ?
- Une lettre manuscrite suffit. Mais avant, s'il s'agit d'un problème d'affectation, allez voir monsieur D. ; il peut peut-être quelque chose pour vous. Ce serait dommage de vous mettre en dispo sur un coup de tête : vous perdriez votre salaire, quand même...
- Monsieur D. ? Le monsieur qui n'a jamais répondu à mon mail ni au syndicat par qui j'ai fait suivre ma demande, est visible ? Dans ce cas, je veux bien le voir.

Rectorat, bureau 363
- Bonjour, je suis mademoiselle Profonde, je vous ai écrit au sujet du quatre quarts temps que je ne veux pas faire.
- Oui, ah ! Justement, j'étais en train de chercher dans mes mails... Vous tombez bien. Vous allez pouvoir répondre directement à ma question. Aviez-vous demandé un quatre quarts temps lors de la saisie de vos vœux ?
- Figurez-vous que non, d'où ma démarche.
- Vous ne vous êtes pas portée volontaire ?
- Pas le moins du monde.
- Non parce que, parfois, certains en font la demande...
- Chacun ses névroses.
- Oh ce n'est pas si bête vous savez, c'est une stratégie pour avoir les quatre points bonus qui permettent à terme d'obtenir un poste.
- Ah oui, je les ai eus, ceux-là. Voyez comme ça m'a servi ! Au fait, est-ce que j'en garde le "bénéfice" cette année ?
- Non.
- Trop dommage (je me demande si ça se vend sur e-bay ?). Écoutez-moi bien : je suis venue pour une dispo. Je ne veux pas travailler un an de plus comme quatre quarts temps, j'aime encore mieux pointer à l'ANPE.
- Ne faites pas ça, vous perdriez votre salaire...
- Vous avez raison : je ne pourrais plus payer ma psychothérapie. D'un autre côté, l'origine de mes troubles disparaîtrait aussi.
- Écoutez, nous allons arranger cela. C'est une erreur de notre part ; nous n'affectons pas un professeur deux ans de suite sur un quatre quarts temps s'il n'en a pas exprimé le souhait. Mais vous auriez dû venir dès réception de votre affectation : nous l'aurions changée et cela vous aurait évité bien du stress...
- Vous m'avez envoyé ma nouvelle affectation le jour de votre fermeture.
- Vous auriez dû venir dès la réouverture, cela vous aurait évité bien du stress...
- C'est vrai qu'au lieu d'angoisser durant un mois et demi, cela aurait ramené mon stress à un tout petit mois. J'aurais dû attendre la réouverture du rectorat au lieu de partir en vacances.
- Mademoiselle Profonde, vraiment, quand ça se passe comme ça, il faut venir nous voir sans attendre.
- Je le saurai pour l'an prochain.
- J'annule votre affectation (...) Voilà.
- Et maintenant ?
- Vous attendez, et dans quelques temps, vous serez affectée ailleurs.
- Et si je reçois un autre quatre quarts temps ?
- Mais non. Nous ferons attention, vous aurez une classe. Ou deux.
- Ou trois ? Ou QUATRE ?!
- Nous vous assurons que non. Vous aurez... Quelque chose. En ZEP, bien sûr, c'est tout ce qu'il nous reste.
- Vous m'angoissez à la fin ! Je demande juste à savoir quel niveau de classe je vais avoir, si possible un peu avant d'accueillir mes élèves ! La rentrée c'est quand même demain ! Vous me voyez débouler devant une classe de mômes déjà en difficulté, ayant probablement fait leur rentrée avec quelqu'un d'autre, le tout sans aucune préparation ?! Je n'ai pas passé le concours de superhéros, il me semble !
- (après avoir scruté son écran) J'ai un poste pour vous, un instituteur qu'il faudra remplacer toute l'année, à la maternelle Truc-Muche, monsieur B., à partir du 14 septembre.
- Ah, je le connais ! Il a une moyenne section... Bon, je prends.
- Allez vite vous présenter là-bas. Mais avant, passez à l'inspection pour leur dire que c'est vous qui êtes affectée sur ce poste.
- J'y cours. Merci, au revoir !

Bureau 356 (passant ma tête)
- Finalement je reste. Au revoir.

Inspection de l'école Truc-Muche
- Mademoiselle Profonde ?
- (conquérante) Oui, c'est moi !
- Le rectorat vient de m'appeler. Ils vous ont affectée par erreur à un poste déjà pourvu, le remplacement de monsieur B. à Truc-Muche... Il y a déjà quelqu'un...
- C'est pas moi ?
- Monsieur D. m'a dit qu'il avait mal lu l'écran.
- ...
- Asseyez-vous mademoiselle, je vais les appeler. Tiens, c'est occupé. Je rappelle. (...) Tiens, c'est encore occupé. (...)