J'ai accouché trois fois ce week-end : trois belles représentations théâtrales, chacune avec son caractère, ses qualités et leurs pendants moins reluisants. A présent j'affronte fatigue et vague déprime post-partum. Dans ma salle de bal crânienne, satisfaction et nostalgie martèlent le sol au rythme d'une sardane interminable, orchestrée par le souvenir de notre performance d'équipe.
Mais je vous épargnerai les affres du blues de la comédienne fraîchement tombée de l'estrade. Comme je ne suis pas comédienne, je vais déjà beaucoup mieux.
Opera Panica de Jodorowsky se compose de saynètes où évoluent des archétypes (qui se prénomment A, B, C, D ou encore E) pris dans leur obsession vitale. Vous assistez par exemple à la scène de "l'optimiste et le pessimiste", où l'optimiste est prête à tout pour que le pessimiste la suive dans son monde. C'est l'unique but de sa vie, vie qui, d'ailleurs, se résume à ce but. Pour le dire autrement, les personnages de Jodo yoyotent frénétiquement de la touffe. Cela se traduisait au niveau du jeu par une tension constante et un rythme effréné que nous devions maintenir, dans un ping-pong de répliques parfois assourdissant. Deux monologues plus posés, à la même saveur absurde donc riche de sens, entrecoupaient les scènes féroces et offraient une respiration à l'ensemble.
Marie-Georges a eu la chance de pouvoir jouer trois registres différents : un rôle tragique (la prisonnière), un personnage clownesque (la fameuse optimiste) et un bref monologue à la tonalité plus aérienne. Autant vous dire que je me voyais déjà sortir de ma loge nominative, dissimulée derrière de gigantesques lunettes fumées, me limer les ongles devant le gratin des metteurs en scène en file indienne, et répliquer à leurs offres pressantes "Ouais, on verra... Faudrait voir à ce que je ne m'ennuie pas trop dans ton nanar... Je suis comme ça, moi, je peux tout jouer, tu vois...", dans une diction aussi élastique que le chewing-gum servant de balle pour beach-volley à ma rutilante dentition.
Hé bien, si vous remplacez la foule de professionnels du spectacle par une poignée de proches m'ayant fait l'amitié de venir nous soutenir, c'est exactement ce qui s'est passé.
Pour le reste, expliquez-moi pourquoi la bougie que je devais allumer sur scène au début de mon monologue renâcla à cette tâche pourtant précisément dans ses cordes ? Je ne lui demandais pas de sourire, encore moins de déclamer, or tout porta à croire qu'elle eût préféré cela à sa triviale fonction. Trouvant sans doute son rôle limitatif, elle décida de déployer une palette de talents inattendus.
Vendredi, elle flamboya de toute sa mèche, si bien que son éclairage seul suffit. Me voilà articulant mon monologue, le visage caressé par son doux halo. Réflexion de mes amis venus vendredi : "La jupe que tu as achetée pour ce rôle, en fait on la voit pas, tu sais ?".
Samedi, la traîtresse s'éteignit au moment où je m'apprêtais à donner de la voix. Plongée dans le noir, mes prunelles ne purent s'empêcher de se jeter d'un bond angoissé aux coins droits des bordures oculaires, afin de considérer le régisseur réagissant. La lumière fut, bien qu'artificielle. Mon drap de dignité en fut à peine froissé.
"Je t'en ficherai, moi, de l'extinction !!" maugréai-je en coulisse, creusant d'un bout d'allumette une tranchée de cire autour de la mèche qui, marrie après coup d'avoir voulu jouer les stars, se faisait toute petite.
Mes amis du samedi attestèrent généreusement qu'ils avaient cru dur comme fer en un effet jodorowskyen tout à fait contrôlé.
Dimanche, je pris le taureau par les cornes avant la représentation et m'adressai directement à l'objet. "Tu joueras les malades imaginaires un autre jour !" lui soufflai-je tandis qu'elle peinait à nourrir la minuscule aurore bleuissant entre nous. La mèche, après moult sillons gravés en sa périphérie, finit par reprendre du poil de la bête. Ensemble, nous répétâmes son rôle. Elle retrouva son feu d'antan.
Las, sur scène, ce fut le trou noir. Elle refusa d'obtempérer et repoussa les brassées de flammes que l'allumette lui tendait. Fatiguée d'être ainsi éconduite, cette dernière me lâcha à son tour. "La honte ! Garde ton calme. La honte ! Du calme." me répétais-je, frottant nerveusement un deuxième bâtonnet sur les flancs de sa boîte. Rien. Pas le plus petit avorton d'étincelle ne daigna surgir de l'ombre. Même le souffre avait oublié quoi faire. J'avançai vers le public, bougie éteinte en main - dans une sorte de métaphore matérielle de l'absurde -, port de tête péniblement altier et pieds hésitants. Le réactif régisseur me sortit une fois de plus de cette obscurité improvisée.
La rébellion du morceau de cire n'entacha cependant pas cette piquante expérience. J'avais dit que j'arrêtais le théâtre après ce spectacle. Je commence déjà à changer d'avis.
Hé bien, si vous remplacez la foule de professionnels du spectacle par une poignée de proches m'ayant fait l'amitié de venir nous soutenir, c'est exactement ce qui s'est passé.
Pour le reste, expliquez-moi pourquoi la bougie que je devais allumer sur scène au début de mon monologue renâcla à cette tâche pourtant précisément dans ses cordes ? Je ne lui demandais pas de sourire, encore moins de déclamer, or tout porta à croire qu'elle eût préféré cela à sa triviale fonction. Trouvant sans doute son rôle limitatif, elle décida de déployer une palette de talents inattendus.
Vendredi, elle flamboya de toute sa mèche, si bien que son éclairage seul suffit. Me voilà articulant mon monologue, le visage caressé par son doux halo. Réflexion de mes amis venus vendredi : "La jupe que tu as achetée pour ce rôle, en fait on la voit pas, tu sais ?".
Samedi, la traîtresse s'éteignit au moment où je m'apprêtais à donner de la voix. Plongée dans le noir, mes prunelles ne purent s'empêcher de se jeter d'un bond angoissé aux coins droits des bordures oculaires, afin de considérer le régisseur réagissant. La lumière fut, bien qu'artificielle. Mon drap de dignité en fut à peine froissé.
"Je t'en ficherai, moi, de l'extinction !!" maugréai-je en coulisse, creusant d'un bout d'allumette une tranchée de cire autour de la mèche qui, marrie après coup d'avoir voulu jouer les stars, se faisait toute petite.
Mes amis du samedi attestèrent généreusement qu'ils avaient cru dur comme fer en un effet jodorowskyen tout à fait contrôlé.
Dimanche, je pris le taureau par les cornes avant la représentation et m'adressai directement à l'objet. "Tu joueras les malades imaginaires un autre jour !" lui soufflai-je tandis qu'elle peinait à nourrir la minuscule aurore bleuissant entre nous. La mèche, après moult sillons gravés en sa périphérie, finit par reprendre du poil de la bête. Ensemble, nous répétâmes son rôle. Elle retrouva son feu d'antan.
Las, sur scène, ce fut le trou noir. Elle refusa d'obtempérer et repoussa les brassées de flammes que l'allumette lui tendait. Fatiguée d'être ainsi éconduite, cette dernière me lâcha à son tour. "La honte ! Garde ton calme. La honte ! Du calme." me répétais-je, frottant nerveusement un deuxième bâtonnet sur les flancs de sa boîte. Rien. Pas le plus petit avorton d'étincelle ne daigna surgir de l'ombre. Même le souffre avait oublié quoi faire. J'avançai vers le public, bougie éteinte en main - dans une sorte de métaphore matérielle de l'absurde -, port de tête péniblement altier et pieds hésitants. Le réactif régisseur me sortit une fois de plus de cette obscurité improvisée.
La rébellion du morceau de cire n'entacha cependant pas cette piquante expérience. J'avais dit que j'arrêtais le théâtre après ce spectacle. Je commence déjà à changer d'avis.
18 commentaires:
J'attends avec impatience la vidéo de tes accouchements.
Vu comment tu narres, m'est avis que t'es pas prête d'arrêter ça.
La Bouche écrit à la 3ème personne ? Ce sont les effets de la péridurale ?
Merci pour ta rubrique "Ils m'en bouchent un coin" qui affiche la publication d'un article paru sur mon blog, encore une merveille de la technologie. J'ai fini de l'écrire il y a une heure et c'est marqué "publié il y a deux heures" !
Je suis très fier de sortir sur cette Bouche (de) là ! Quoique si j'ai bien compris les lumières ont tendance à vaciller par ici. C'est parce qu'on est soufflés...
Ce qui est bien au théâtre, c'est justement la part d'imprévu qui s'y glisse non ?
Les spectateurs, de toute manière ne savent pas si cette bougie doit s'allumer ou s'éteindre !
:-)))
[Je serais bien incapable de faire quoique ce soit sur scène pour ma part...].
Ce n'est pas le théâtre qu'il faut arrêter, c'est la bougie.
Ah, et puis, merci pour le lien ! Et en tête, en plus : classe...
Britbrit,
Moi aussi ! J'espère l'avoir bientôt.
Pipobanjo,
Tu crois ? Je me tâte quand même !
Mtislav,
Oui, ce sont les feux de la rampe qui me montent à la tête.
Quant à ma blog-roll, de rien c'est un plaisir d'y voir s'afficher tes articles (surtout s'ils atterrissent ici avant que tu les écrives !)
Monsieur Poireau,
Certes (De là à jouer dans le noir !)...
[tu as essayé ?]
Didier Goux,
Si mon aura d'éteignoir ne m'empêche pas de briller sur scène alors tout va bien ! Quant à l'en-tête, de rien. Je n'ai fait que vous citer ; c'est vous qui grimpez !
A mon âge, vous savez, il n'y a plus que Mme Wikio qui vous permette encore de grimper.
Ah, non, hein, fais pas ta mijaurée, au boulot Marie Georges !
Sinon, le coup de la bougie, je suppose que c'est le charme du théâtre ; l'art vivant comme on dit, avec ses imprévus, ses artifices un peu foireux. C'est ce qui en fait aussi la force.
J'imagine très bien ta contenance et (comme je suis un peu moqueur) je me représente ton regard rond, interdit, puis agacé, puis carrément flippé...
(autre chose, les bougies servent à plein de choses : cf Sade)
(récit délicieux)
Hmmm pourrait-on voir la bougie comme symbole phallique?
Stéphane
Didier Goux,
C'est déjà ça, remarquez.
Dorham,
Ah non je n'ai pas flippé, j'ai été pro. Zen. Juste que dans le noir, mon self-control ne se voyait pas non plus.
(Là dessus je suis incollable. J'ai eu un petit ami chirurgien qui m'a conté des usages de la bougie que Sade lui-même ne soupçonnait pas !)
(merci!)
Stéphane,
Sauf que c'est quand tu la chauffes qu'elle ramollit.
Ca a l'air super, je ne vois pas pourquoi tu arrêterais !! En plus, nous, ça nous fait des récits rigolos !
Les histoires de bougie, ça doit avoir une signification lacanienne.
(me demande pas laquelle)
(je dis ça juste pour frimer)
T'as remarqué ? Mtislav ne croit pas qu'ici il est chez l'annexe de Zoridae : ça prouve.
(me demande pas quoi)
Finalement, elle vous a volé la vedette, cette bougie !
Tu n'as pas pensé au briquet ?
Audine,
Ah mais je veux la citation exacte de Lacan, quel séminaire et tout. C'est pas le tout, sinon.
(Ca me rassure, si ça prouve. Le "quoi" en devient secondaire.)
Catherine,
Oui. Depuis, je me venge en la laissant traîner au fond d'un vulgaire sac plastique.
Cochon,
J'étais censée être vaguement une fée. Et une fée avec un briquet, ça le fée pas...
Quel billet génial !
Va savoir pourquoi Netvibes n'a pas voulu me le signaler. Figure-toi que je suis venue sur ton blog pour râler et découvert que j'avais de la lecture en retard !
J'ai adoré la personnification de la bougie, les témoignages des amis !
Tout quoi...
Comme je regrette de n'avoir pu venir !
Zoridae,
Netvibes, en fait, c'est un truc que tout le monde a mais qui ne fonctionne pas, c'est ça ?
Merci beaucoup !
(Tu n'as pas tout perdu : je t'envoie les photos !)
Mon retard de lecture ne m'empêchera pas de sortir une connerie : les lampes torches, ce n'est pas pour les chiens. Il fallait remplacer la bougies par une lampe, et pi vala.
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