vendredi 24 octobre 2008

Amphore de France

Dubuffet, Monsieur Plume plis au pantalon
(portrait d'henri Michaux), 1947

Ce soir, je suis allée écouter Marie-Georges.

Une amie, qui tenait absolument à fêter mon anniversaire aujourd'hui malgré mes protestations ("ce n'est pas mon anniversaire" me semblait pourtant imparable), m'avait concocté un bouquet de réjouissances : un repas original se terminant par une soirée Buffet.

Niveau bouffe, je fus comblée par un plat complet : le riz aux lardons façon bicéphale.

Il s'agit d'une recette qui, dans la tête de celle qui l'initie, est un plat asiatique très relevé. S'inquiétant de la surdose de piment jetée dans la casserole, la chef laisse ensuite place à son compagnon qui, sans doute féru de cuisine normande, prend soin d'élaborer une sauce crème-sucre censée adoucir l'ensemble. Vous vous retrouvez à table avec un genre de crème caramel pimentée à la paysanne et un couple en pleine crise de reproches culinaires mutuels.

Nous sanglotâmes tous trois. Des chariots de feu dévalaient nos oesophages.


Sachez que, contre la virulence d'un piment ayant rendu un plat de riz-patates aux lardons radioactif, le sucre et la crème ne peuvent rien. Attribuer une fonction canadair à la boisson n'arrangera pas vos brûlures mais peut fonctionner comme excuse pour vous resservir en vin.


Engloutir ce riz façon bicéphale fut un peu comme couvrir avec application nos parois stomacales d'un badigeon d'acide sulfurique. Mon estomac ondula comme pour aller voir par lui-même ce qui se tramait dans mon assiette. Il avait d'autant moins l'air d'aimer ça que l'apéro avait été une orgie pâtissière, sous le prétexte un peu léger qu'il n'était pas l'heure de manger.

Lorsqu'il n'est pas l'heure de se mettre à table et que l'on souhaite manger, il est possible d'avancer un peu l'apéritif, en transformant ce dernier en goûter tardif arrosé d'alcool. Millefeuille, religieuse et tarte normande en guise de mise en bouche seront même judicieux si un des convives fête son anniversaire dans le mois. Plus tard, le dessert sera simple : il s'agira de reprendre l'apéro où on l'aura laissé. Si cette logique vous échappe, c'est vraiment que vous le faites exprès.

C'est donc le ventre proéminent que nous trottâmes jusqu'au parti communiste, où une étrange sculpture surnommée "le yaourt" fit soupirer d'envie nos tubes digestifs.

C'était la première fois que j'entrais dans le bâtiment de la place du colonel Fabien. La voix de Marie-Georges nous guida vers l'événement. Appuyée à un pupitre, elle discourait déjà lorsque nous nous laissâmes rouler vers son auditoire. Nos jambes ployèrent et nous installâmes nos ventres sur un renflement de moquette aux formes voisines des nôtres. Yeux et oreilles écarquillés, nous captâmes sa dernière phrase sans être sûrs d'avoir jamais entendu le début. Puis nous applaudîmes, dans l'espoir de dissimuler notre ignardise sous les claquements de paumes et d'imiter les comprenants. Le verre de l'amitié fut annoncé. Nous relevâmes nos ventres en soufflant et déambulâmes jusqu'à un bar. Nous attrapâmes d'une main leste un gobelet empli de vin, sans la moindre considération pour les rangées de noix de tarama qui se tortillaient sur leur blini. Nous décrispâmes nos mâchoires et balançâmes le verre de blanc par-dessus les dégâts antérieurs.

-"Veuillez prendre place dans l'amphithéâtre, le débat va commencer", annonça un fringant membre du parti.
Nous nous dandinâmes en direction de fauteuils bien situés pour nous permettre une sortie anticipée à peu près discrète. Il faut dire que nous n'étions guère rassurés : faudrait-il parler ? Dire "bonjour, je m'appelle Marie-Georges, je ne connais rien au sujet mais comme c'est mon anniversaire j'avais envie d'écouter des trucs intelligents en cuvant mon vin" ? Ma copine me chuchota avec espoir :
- "Tu as déjà lu du Aimé Césaire, toi ?
- Non, et toi ?
- Non. On est nulles !
- Ouais..."
Il faisait peut-être 35 degrés dans cette pièce au plafond pendouillant. Nous mijotions en essayant de digérer des choses dans un ordre indéterminé.

Malgré nos panses de ministres qui rôtissaient entre les néons et le skaï des fauteuil, nous ne somnolâmes pas le moins du monde. Mon attention se détourna même avec bonheur de la pesanteur Newtonienne. Je me fichai juste un peu de la question - telle qu'elle fut abordée - sur la nature des relations entre Césaire et le parti communiste. J'appris que ses obsèques, proclamées "nationales", ne seraient finalement pas payées par l'Etat mais que la note avait été élégamment laissée à Fort-de-France. Des obsèques nationales pas si nationales que ça, donc. Je fis connaissance avec l'ADEN dont la représentante évoqua le colloque de Dakar, parrainé par Césaire, sur la traite négrière. La discussion porta ensuite sur les liens entre colonialisme et capitalisme. Un des intervenants de l'ADEN souligna les expressions "quartier sensible" et "minorité visible" en s'interrogeant sur l'existence de quartiers insensibles et d'une majorité invisible. J'imaginai une meute de gens transparents.

Son discours était fin. Il prenait soin d'écarter tout manichéisme tant en évoquant l'esclavage vécu par son grand-père qu'en parlant de sa propre condition de citoyen européen à la peau noire.

Je partis légère et gonflée à bloc. Le débat, doux désodorisant pour hortefeurisme ambiant, m'avait requinquée. Mes neurones admiraient leurs abdos tout neufs en naviguant à vue à bord de leur gondole avinée.

7 commentaires:

Didier Goux a dit…

Bon, le piment, ça ne m'impressionne pas : j'ai un entraînement de Marine, de ce point de vue. En revanche, aller écouter la p'tite mère néo-stal', alors là j'en tremble comme feuille, d'horreur rétrospective.

Quant à Césaire, à mon humble avis, vous n'avez pas perdu grand-chose...

Didier Goux a dit…

Comment ça, Dorham est passé devant moi ?????

Marie-Georges a dit…

C'était juste une introduction à une expo sur Césaire, rien de très stalinien.
Dorham est passé devant vous mais ça ne saurait durer : il suspend son blog, argh ! J'espère que c'est "définitif" au sens Gouxien du terme ;)

Balmeyer a dit…

Ah ! Je la croise parfois, dans des concerts de jazz, sur scène, il est toujours intéressant de voir Marie-Georges Boeufer...

(pardon).

(sinon j'avais mis en choix numéro deux : je me souviens d'un tournoi de poker, c'était très impressionant quand Marie-Georges bluffait...)

(pardon deux)

Didier : cette "blograulle" est trié par date de parution du dernier billet...

Marie-Georges a dit…

C'est courageux :
1- d'avoir lu tout ça ;
2- de faire des jeux de mots comme ça
:))

Tu sais, je ne le dis pas dans mon texte mais ce soir-là, à la cafétéria du parti, Marie-Georges bouffait.

Balmeyer a dit…

Oui, mine de rien, ça m'a rappelé un souvenir... une des premières fois que ma mère est venue me visiter à Paris, elle a tenu à ce que je l'emmène place du Colonel Fabien, voir le siège du Parti... je suis entré dans cette sorte d'oeuf, elle était émue...

Ah ! Tout le monde n'a pas eu la chance, etc.

Marie-Georges a dit…

Ça, ça impressionne les mômes qui ont eu la chance etc.
Tu crois que c'est pour concurrencer Disneyland, l'oeuf-yaourt ?