J'ai quatorze ans et demi et ma meilleure amie me parle de plus en plus de cette boîte de nuit où elle sort depuis quelques temps. Je suis fascinée. Je veux y aller avec elle.
Je demande la permission à ma mère. J'aime bien que mes parents soient d'accord avant de faire quelque chose. Ils sont toujours d'accord, mais quand même.
Ma mère n'est pas d'accord. Elle dit que ça se termine en bagarre entre bandes rivales. Je lui réponds que c'est n'importe quoi, que c'est plus comme à son époque, que si c'était vrai il n'y aurait plus de clients parce qu'ils seraient tous morts.
Ma mère ne veut pas que j'y aille, tant pis. Je dis que je vais passer la nuit chez ma meilleure amie. Je n'ai pas pour habitude de dormir chez elle mais là j'ai une excuse toute trouvée : je joue une pièce de théâtre dans son village. Je ne sais pas à quelle heure ça se finit et ça évitera à mon père de venir me chercher. Ma mère est d'accord.
C'est le grand soir. Avec quelques filles de ma classe, nous avons mis en scène des textes de Clavel. J'ai un rôle de vieux barman qui se souvient des crues du Rhône. J'ai un long monologue à la fin. Avant cela, j'évolue en silence derrière de vraies bouteilles, astiquant le comptoir et servant des verres. Par curiosité, je remplis celui d'une des protagonistes avec un alcool qui ressemble à de l'eau. Celle qui lui donne la réplique la voit suffoquer en silence après une gorgée et laisse échapper un rire suraigu. A cet instant, nous ne sommes guère crédibles en papys nostalgiques devisant dans un troquet des pentes lyonnaises.
Je demande la permission à ma mère. J'aime bien que mes parents soient d'accord avant de faire quelque chose. Ils sont toujours d'accord, mais quand même.
Ma mère n'est pas d'accord. Elle dit que ça se termine en bagarre entre bandes rivales. Je lui réponds que c'est n'importe quoi, que c'est plus comme à son époque, que si c'était vrai il n'y aurait plus de clients parce qu'ils seraient tous morts.
Ma mère ne veut pas que j'y aille, tant pis. Je dis que je vais passer la nuit chez ma meilleure amie. Je n'ai pas pour habitude de dormir chez elle mais là j'ai une excuse toute trouvée : je joue une pièce de théâtre dans son village. Je ne sais pas à quelle heure ça se finit et ça évitera à mon père de venir me chercher. Ma mère est d'accord.
C'est le grand soir. Avec quelques filles de ma classe, nous avons mis en scène des textes de Clavel. J'ai un rôle de vieux barman qui se souvient des crues du Rhône. J'ai un long monologue à la fin. Avant cela, j'évolue en silence derrière de vraies bouteilles, astiquant le comptoir et servant des verres. Par curiosité, je remplis celui d'une des protagonistes avec un alcool qui ressemble à de l'eau. Celle qui lui donne la réplique la voit suffoquer en silence après une gorgée et laisse échapper un rire suraigu. A cet instant, nous ne sommes guère crédibles en papys nostalgiques devisant dans un troquet des pentes lyonnaises.
Mes parents ne sont pas là. C'est la deuxième année que je fais du théâtre et à chaque fois qu'il y a une représentation je leur fais le coup : "Ne venez pas me voir, j'aurai trop le trac !" Ils acquiescent, mon père me dépose et s'en va. A la fin, quand je vois les parents de mes camarades féliciter leur progéniture, je regrette un peu de les avoir écartés.
Ma meilleure amie est là. Nous allons chez elle. Elle habite une toute petite maison au centre du village. Un rideau sépare sa chambre de celle de ses parents. Nous dévalons sans cesse les escaliers qui mènent de la salle de bains à la chambre. Les préparatifs sont à peine moins longs que la soirée elle-même. J'aime ce moment. Mon amie a un nombre incalculable de rouges à lèvre et de parfums sous forme d'échantillons. Elle entreprend ma transformation. Elle dit que si j'y vais comme ça, je vais me faire refouler à l'entrée. Au moindre essai de mascara, je vois un monsieur désapprouver : "mademoiselle, on n'entre pas avec ce mascara".
J'ai les cheveux crêpés tant que faire se peut. Je ressemble à une héroïne de Dallas. Je porte un jean, une brassière moulante, une imitation de grand parfum et beaucoup de maquillage sous mes lunettes en plastique. Des filles du quartier arrivent. Elles sont pour la plupart plus âgées que nous. Nous allons à pied jusqu'à la boîte de nuit, une bonne marche jusqu'en périphérie. Je ne dis rien et écoute les recommandations des grandes de 16 ans.
"- Tu baisses les yeux et tu dis : bonsoir. Tu souris pas. Comme ça : bonsoir.
- T'as dix-sept ans, ok ? 17 ans, ils s'en foutent.
- Normalement c'est 18, si y'a un contrôle ils sont mal alors ils s'en foutent pas.
- Mais ils demandent pas aux meufs ! Ma sœur elle est bien déjà rentrée, elle a treize ans.
- Mais toi t'es une habituée et moi ils me connaissent.
- T'es folle toi.
- Ça veut rien dire. Si ils veulent pas qu'elle rentre ils refoulent tout le monde.
- On n'y va pas toutes en même temps ok ?
- Pourvu qu'on se fasse pas refoul !"
A l'entrée du parking, nous nous scindons en deux groupes. Je me place derrière mon amie de manière à pouvoir l'imiter. Nous ne parlons pas. Nous affichons un air neutre qui se veut celui des clients venus cent fois, blasés jusqu'à l'os. Nous lançons un "bonsoir" en travaillant notre intonation d'habituées.
Les videurs ont un costume noir et les bras croisés. Ils nous suivent du regard. L'un, très grand, tête et corps carrés, cheveux gris et nez à la Belmondo, se tient debout devant le guichet. Un autre, assis sur un tabouret, a un visage maigre et renfrogné. Il ne parle pas. Il porte des santiags rouges avec des têtes d'indiens dessus.
J'entendrais presque l'autofocus de leurs prunelles. Ne tourne pas la tête, Marie-Georges, ta soirée en dépend. Imagine que tu portes une minerve.
Personne n'est refoulé. Je constate que certains hommes entrent malgré une chemise du plus mauvais goût.
Ma meilleure amie est là. Nous allons chez elle. Elle habite une toute petite maison au centre du village. Un rideau sépare sa chambre de celle de ses parents. Nous dévalons sans cesse les escaliers qui mènent de la salle de bains à la chambre. Les préparatifs sont à peine moins longs que la soirée elle-même. J'aime ce moment. Mon amie a un nombre incalculable de rouges à lèvre et de parfums sous forme d'échantillons. Elle entreprend ma transformation. Elle dit que si j'y vais comme ça, je vais me faire refouler à l'entrée. Au moindre essai de mascara, je vois un monsieur désapprouver : "mademoiselle, on n'entre pas avec ce mascara".
J'ai les cheveux crêpés tant que faire se peut. Je ressemble à une héroïne de Dallas. Je porte un jean, une brassière moulante, une imitation de grand parfum et beaucoup de maquillage sous mes lunettes en plastique. Des filles du quartier arrivent. Elles sont pour la plupart plus âgées que nous. Nous allons à pied jusqu'à la boîte de nuit, une bonne marche jusqu'en périphérie. Je ne dis rien et écoute les recommandations des grandes de 16 ans.
"- Tu baisses les yeux et tu dis : bonsoir. Tu souris pas. Comme ça : bonsoir.
- T'as dix-sept ans, ok ? 17 ans, ils s'en foutent.
- Normalement c'est 18, si y'a un contrôle ils sont mal alors ils s'en foutent pas.
- Mais ils demandent pas aux meufs ! Ma sœur elle est bien déjà rentrée, elle a treize ans.
- Mais toi t'es une habituée et moi ils me connaissent.
- T'es folle toi.
- Ça veut rien dire. Si ils veulent pas qu'elle rentre ils refoulent tout le monde.
- On n'y va pas toutes en même temps ok ?
- Pourvu qu'on se fasse pas refoul !"
A l'entrée du parking, nous nous scindons en deux groupes. Je me place derrière mon amie de manière à pouvoir l'imiter. Nous ne parlons pas. Nous affichons un air neutre qui se veut celui des clients venus cent fois, blasés jusqu'à l'os. Nous lançons un "bonsoir" en travaillant notre intonation d'habituées.
Les videurs ont un costume noir et les bras croisés. Ils nous suivent du regard. L'un, très grand, tête et corps carrés, cheveux gris et nez à la Belmondo, se tient debout devant le guichet. Un autre, assis sur un tabouret, a un visage maigre et renfrogné. Il ne parle pas. Il porte des santiags rouges avec des têtes d'indiens dessus.
J'entendrais presque l'autofocus de leurs prunelles. Ne tourne pas la tête, Marie-Georges, ta soirée en dépend. Imagine que tu portes une minerve.
Personne n'est refoulé. Je constate que certains hommes entrent malgré une chemise du plus mauvais goût.
15 commentaires:
Crrrrrrrrsssssssssssss. (crissement de plume)
Ça me rappelle un lointain souvenir... C'est drôlement bien raconté.
Je veuuuuuuuuuuuux savoir la suiiiiiiiiiiite !!!
Alors, y a eu la bagarre avec les Bandes Rivales ??
oups et re-oups!! Ma fille a 14 ans et-demi et fait du théâtre!!! Je t'interdis d'écrire la suite!!! sourire...
Tiens vos souvenirs de boîte, ça me rappelle l'histoire des deux filles saoules qui sortent de boîte et veulent se faire raccompagner jusqu'à leur bled. A un moment, il y en a une...
OK, je me tais !
lol, Didier, qui me pique mes blagues.
J'ai du trop regarder Dallas, c'est irrésistible.
Ambiance "on s'y croirait". C'est bien, ça rajeunit.
C'est curieux les cheveux crêpés, ça me fait penser à ma fille de 16 ans dont les cheveux bouclent naturellement ... et qui passe de longues heures à les lisser consciencieusement en priant pour qu'il ne pleuve pas ...
Avant les commentaires : ça fait quand même un sacré nombre de siècles que les "jeunes" sortent en douce ne mentant à leurs parents, on va finir par se demander si les gens ne deviennent pas naïfs avec l'âge… ou alors on perd la mémoire !!!
Bravo !
:-))
Mtislav,
gargl (reçu dans l'oreille)
Catherine,
Ah oui ? Vous nous raconterez ?
Audine,
Euh comme d'habitude, je ne prévois pas de suite car je ne sais pas faire. Pas de bagarre, juste un slow avec un gars de 25 ans qui s'est arrêté de danser quand je lui ai dit mon âge.
Mots d'Elle,
Loin de moi l'idée de t'alerter mais... :))
Didier Goux,
Racontez siouplaît !!
Balmeyer,
Dans ce cas tu nous raconterais pas, toi, dis ?
Archie,
Oui, ma copine c'était ça. Brushing sévère pour contrarier ses belles boucles, moi crêpage pour rendre mes cheveux moins raides !
Monsieur Poireau,
Oui. Mais je détestais mentir, je ne le faisais pas, j'omettais juste quelques menus détails O:-)
Raconter quoi ? La blague ?
Non, je voulais dire (mais que je m'exprime mal en ce moment): je ne sais pas si j'ai trop regardé Dallas, comme dans ton texte, mais je le trouve irrésistible. Ton texte, pas Dallas. Même si Dallas est assez proche du Brésil, et que comme leurs danseuses, tu as aussi une sacré plume.
Ma fille était chez des copains hier elle m'a promis qu'ils restaient à la maison !!je préfére être naïf. J'ai bien aimé aussi l'ambiance.
Bon, alors, à la demande générale, LA blague :
C'est à la campagne, deux filles sortent de boîte, très tard et très saoules. Sans avoir emballé qui que ce soit. Au point qu'il n'y a plus personne pour les raccompagner et qu'elles se résignent à se taper à pied les quatre bornes qui les séparent de leur bled, le long de la petite route plongée dans les ténèbres (c'est beau comme du Hugo).
A un moment, l'une, tellement bourrée, dévie, roule dans le fossé et passe sous les barbelés pour s'échouer dans la pâture voisine. Sa copine franchit tant bien que mal le fossé pour tâcher de la retrouver. Elle découvre sa copine allongée sous une vache, en train de lui téter un pis.
Elle : Mais qu'est-ce que tu fous, Josyane ?
L'autre, arrêtant de téter : Oh, ben, je me suis dit que, sur les quatre, y en a bien un qu'allait accepter de nous ramener en voiture...
Voilà.
Une héroïne de Dallas ??? Trop fort, je veux le nom de ta coiffeuse de l'époque. On pourrait relancer une mode ;)
Bravo! Je me demande si les enfants qui nous (ma femme et moi) montaient des coups fumants pour sortir en boîte s'en souviennent assez pour avoir l'œil sur leurs propres gosses… Moi, j'ai oublié mes mensonges d'enfant. Je devais être exemplaire.
Balmeyer,
C'est beaucoup plus clair, merci :))
J'ai pas tant regardé Dallas mais pas besoin : sur les programmes télé y'avait les photos de ces femmes coiffées façon oreilles de chien.
Marc,
Merci :) Tu as raison, il faut savoir être un peu naïf, difficile de tout contrôler de toute façon.
Didier Goux,
Pas trop tôt !!
Britbrit,
Ah mais ce n'était pas la coiffeuse, nous nous crêpions les cheveux nous-même et ça prenait un temps fou.
Le Coucou,
Oui, on va dire que c'est pour ça :))
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