mercredi 3 décembre 2008

On décolle vite

David, Les Sabines, 1799

Voici un texte qui s'inscrit dans la chaîne initiée par Audine, en hommage au texte de Dorham. Le principe ? Faire référence à un odieux projet du gouvernement, ou à une pratique actuelle contraire aux principes républicains, dans un billet inspiré de celui de Dorham.

L'autre nuit, vous n'avez pas fait l'amour. Ne venez pas me chanter l'argument du célibat qui n'aide pas. Je ne vois pas le rapport. Ni les rapports en général, si vous insistez. Là n'est pas la question : nous parlons de l'autre nuit, voulez-vous bien vous concentrer ?

Hier soir, c'est vous qui avez chauffé la place dans votre lit, juste pour votre deuxième vous-même, qui s'en satisfit. Oui, vous vivez en couple, mais à l'intérieur de vous. C'est comme une ultime division cellulaire.

Parfois c'est la guerre. C'est normal dans les couples. Vos deux moitiés se toisent. Y'en a une qui refuse de faire la vaisselle et l'autre qui lui fait remarquer que c'est dégueulasse. Mais l'avantage du couple interne du célibataire, c'est qu'à nous deux, on n'a que deux épaules. Alors c'est forcément en même temps qu'on les hausse.

L'autre nuit, disais-je, vous n'avez pas fait l'amour. Vous étiez tous les deux crevés. Vous n'auriez pas pu procréer de toute façon parce que la nature n'a pas réfléchi plus que ça aux célibataires en mal de maternité. C'est comme ça. En plus, vous prenez la pilule. Pourquoi diable ? Parce que vous portez un prénom biblique. Alors, si d'aventure l'ange Gabriel vous rendait visite, vous préférez prendre vos précautions. Avec tout ça, c'est sûr, vous n'avez pas procréé.

A vos heures perdues, vous tissez une poupée vaudou à l'effigie de votre gynécologue et vous l'étranglez avec une ficelle de tampon. Oui, parce qu'un jour vous causiez contraception et elle vous a dit : "ce n'est pas la pilule qui peut réduire votre fertilité, c'est votre âge", alors que vous n'aviez justement rien demandé au sujet des conséquences de l'âge sur la fertilité.

Aujourd'hui vous cherchez votre poupée. Vous la retrouvez sous une pile de vingt volumes de "L'histoire universelle". Vous décidez de la sanctifier. Alors, après avoir desserré la ficelle, vous l'asseyez sur la pile dans une pose digne et l'encensez au patchouli.

Vous n'aurez sans doute jamais d'enfants mais la société vient de vous apprendre à adorer cette idée. Jamais votre fillette ne vous demandera à sept ans pourquoi son camarade de classe ne vient plus depuis que des policiers sont venus le chercher avec son papa.


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Le sujet de ce billet, Flo Py en a parlé ici. J'ajoute, hors texte-hommage :

Je viens d'apprendre qu'il y a quelques jours, à Grenoble, un père est allé chercher ses enfants à l'école un peu plus tôt, accompagné de deux policiers, pour un "rendez-vous à la préfecture". A 19h, les enseignants apprenaient que la famille était au centre de rétention de Lyon.

Ce n'est que le matin qu'ils réussirent à joindre la famille paniquée. Ils informèrent le centre de la visite de la Cimade (seule organisation autorisée à entrer) ce même matin. Lorsque les militants de la Cimade arrivèrent sur place, la famille était déjà en route vers l'aéroport, leur avion décollant une demie heure plus tard.

Je copie et colle ici un extrait de la lettre d'une militante de Réseau Éducation Sans Frontières destinée aux écoles :

Nous n'avons rien pu faire, nous attendions que les militants de la Cimade comprennent la situation de la famille, afin de pouvoir les aider en connaissance de cause. Ils ont été expulsés ce matin. Leurs chaises d'école resteront vides. C'est une première en Isère : la traque des étranger-e-s pénètre dans les écoles.

Les seuls enfants en situation irrégulière sont ceux qui ne sont pas à l'école.

Nous vous demandons de bien vouloir faire circuler cette information le plus largement possible. Personne ne doit pouvoir dire "on ne savait pas".

Merci,

Emmanuelle, pour le Réseau Education Sans Frontières 38

17 commentaires:

mtislav a dit…

L'Enlèvement des Sabines... Cette fois, c'est le tableau qui crisse.

Marie-Georges a dit…

Mtislav,
Ce n'est pas exactement l'enlèvement, c'est quelques années après. Déjà enlevées, déjà mères, les Sabines brandissent leurs bébés pour que le combat cesse. Et j'adore.

Anonyme a dit…

C'est surtout que je n'ai pas fait l'amour parce que je suis seule. Merci de m'avoir fait prendre conscience que ma vie vire au néant.

@mtislav : Sabine, what a wonderful name. Mais il en existe encore des sabines ?

Didier Goux a dit…

Des mères qui brandissent leurs bébés ? Mais quelle HORREUR ! Qu'elles crèvent ! Et les "bébés" avec, tiens !

Marie-Georges a dit…

Britbrit,
Oui mais tu vois bien que tu n'es pas seule à être seule...
Didier Goux,
Reprenez l'alcool, je vous en conjure...

Anonyme a dit…

Et quand on pense que le ministre qui prône de telles mesures est enceinte jusqu'aux yeux! J'en frémis!!

Dorham a dit…

Meuh...
c'est quoi cette désespérance... Toi aussi, tu vas voir, tu vas y avoir droit à ton petit taulard, y a pas de raison...

Pfff, la deuxième partie, c'est désespérant...

Comme quoi...

Le petit monde d'Archie a dit…

Faut avouer que, même si c'est voulu (parce que ça ne peut pas être autrement) ils y vont fort : entre le dépistage dés 3 ans qu'on repose à plat, la responsabilité pénale dés 12 ans, et les descentes de flics/contrôle anti-drogue en collège (avec chiens et fouilles au corps, notamment sur une gamine de 14 ans qui n'avait évidemment ... rien), Oui vraiment, ils y vont très forts.

Alors je pose ici la même question que j'ai posé sur le blog d'Audine, et que j'ai posé à mes collègues il y a trois jours, dans le vain espoir que quelqu'un amorce une réponse :

Tu crois vraiment que si on avait eu Le Pen à la place de Sarko, ce serait pire ?

Anonyme a dit…

@u petit monde d'Archie : je ne crois pas que ça serait pire. Et même, y a des jours où je me dis carrément qu'il aurait presque mieux valu, parce qu'au moins, tout le monde sait depuis des années de quoi Le Pen est le nom. Du coup, on aurait sans doute été plus nombreux à réagir et à résister dès le départ.
Enfin, j'en sais rien...
Bises et bonne soirée à tous.

Marie-Georges a dit…

Mots d'Elle,
Je relate l'expulsion d'une famille donc pour une fois je laisse Rachida tranquille. Mais puisque tu en parles, oui (c'est pour ça que je n'ai jamais été une fanatique acharnée de la parité !). C'est plutôt Brice qui me pose problème, ici.
Dorham,
Euh j'ai plus trop de temps devant moi mais si tu le dis. Fais-moi penser à lui payer un hochet-scie à métaux avant ses 3 ans.
Archie,
Je pensais un peu comme Flo Py et puis... Si, ce serait pire : Le Pen n'aurait pas échelonné ses réformes pour les faire passer en douce, nous aurions réagi plus vivement et hop, à la première manif j'imagine une répression sanglante... C'est ce genre de choses qui me fait dire que oui, ce serait tout de même pire. Mais je sais que le fatalisme du moment peut nous faire rêver à ce genre d'affrontement. Et si ça avait le mérite de déclencher cette bonne vieille révolte qu'on ne voit pas poindre malgré l'actuel retour en arrière en matière d'acquis sociaux, de protection du peuple, de droit du travail, des services publics etc. ?

Audine a dit…

Purée, pourtant il va bien en falloir, de l'herbe à bonheur pour supporter tout ça ...

Ouais en fait, c'est insupportable.
Mais peut être je vieillis mal ?

Dorham a dit…

Pour cette mesure, Rachida Dati a dit qu'elle était de simple "bon sens". L'opposition a dit qu'elle était stupide.

Personne n'a envisagé un plan de l'enfance.

Plus personne n'en a rien à foutre. Sarko, Le Pen, j'en sais rien et à la limite, on s'en fiche de savoir quel cul est posé sur la grand chaise du grand bureau élyséen... Et il faudrait être respectueux de la Marseillaise et de leur drapeau merdeux comme un gosse respecte ses playmobils...

Plus personne, mais vraiment plus personne n'en a rien à foutre de rien !

Didier Goux a dit…

Mince ! Dorham qui vire nihiliste, maintenant...

Le petit monde d'Archie a dit…

C'est intéressant, ce que dis Dorham. Si plus personne n'en a rien à foutre de rien, à quoi bon le politique ?

La seule raison d'être du politique, c'est de tracer une direction et d'essayer de la suivre.
Or là, on est même pas sûr qu'il y ait encore un capitaine dans la cabine. Et un navire sans capitaine dérive forcément.

Je continue donc de penser que le bateau va finir par se planter, ou percuter quelque chose, bref : craquer.
Je ne sais pas au bout de combien de temps de dérive, le choc social, c'est là le problème ...

Marie-Georges a dit…

Audine,
C'est étrange, cette sensation de mal vieillir... Alors que ce sont les vieux riches qui s'inventent un monde gavé de prisons, prêts à ce qu'il ne reste qu'eux. Qu'ils se reproduisent entre eux, tiens.
Dorham,
Un plan de l'enfance, pour des gens qui se cantonnent à "ils n'ont qu'à pas faire de conneries", tu imagines la révolution cérébrale que cela leur coûterait.
Didier Goux,
Ah ? Je n'avais pas compris ça comme ça, au contraire...
Archie,
Oui c'est intéressant. Bonne métaphore aussi. Ce bateau navigue à vue en tirant sur tout ce qui le dérange (mouettes, coquillages, méduses...) et en affichant en drapeau le sourire niais de Lagarde qui annonce la croissance pour bientôt tandis que la coque se délabre.
Pathétique !
Dans le meilleur des cas, les gens vont un jour s'indigner de voir ce que leurs "représentants" leur trafiquent, comme monde meilleur. Tiens, sans vergogne, ce titre vu hier : "Sarkozy casse sa tirelire", tu vois à quel point on essaie de suggérer au bon peuple que ce n'est pas son argent mais celui du bon prince... A pleurer.

Anonyme a dit…

J'aime bien le dernier paragraphe de la première partie. Ce genre de question qui font que tu hésites à donner la vie à un souffre douleur dont tu ne pourras te moquer.

Quant à la deuxième partie comme dit l'autre...

Anonyme a dit…

beau texte d'un gai désespoir, qui m'a fait sourire avec l'immaculée conceptionne
mais parfois la vie réserve bien des surprises

Beabab