dimanche 28 septembre 2008

Trop la classe

Jeudi, école maternelle Truc

- "Ravie de te rencontrer. On ne se connaîtra probablement jamais car tu es là une fois par semaine et on ne se croise pas ce jour-là. Prends de la distance avec tout : personne ne reconnaîtra ton travail. Apprends à te détendre : il faut que tu tiennes toute l'année. Et puis les enfants ont besoin de voir un adulte épanoui. Contente de t'avoir connue."
Il y a des gens, comme cette collègue, qui ont trop la classe. Moi j'ai juste trop de classes. 4 cette année, ce qui fait 4 écoles, 4 directrices, 4 équipes, 4 collègues qui bossent à 75%, et avec qui avoir une correspondance chaque semaine pour caler mes cours dans leur programme, 4 réunions de rentrée, 4x27 élèves. Je ne suis pas remplaçante, je n'ai aucune compensation financière au surcroît de travail que cela représente (ça a existé mais ça n'est plus, la satisfaction de mener à bien sa mission de service public primant forcément sur l'appât du gain), c'est comme ça et c'est juste une mauvaise année à passer.


Vendredi, école élémentaire Machin

- "Tu sais, la directrice est pas du tout comme ça d'habitude, là elle était stressée parce qu'on doit mettre en place le soutien. C'est pour ça qu'elle s'est énervée. C'était pas contre toi".
Je me doute mais lui en veux un peu quand même. Elle me reproche le fait que ma collègue ne m'ait pas téléphoné pour me parler du soutien. Je ne peux qu'hausser les épaules. Elle insiste. Je n'y suis toujours pour rien. Elle commence à se lamenter qu'elle travaille trop alors comment voulez-vous si en plus... Je décide d'entrer dans la danse histoire de me défouler aussi. Tant pis pour l'ambiance. Je lui dis que j'ai fait 4 réunions de parents, elle réplique "et moi 5" avec la mauvaise foi de la dirlo qui est, dans les faits, passée se présenter 10 minutes dans chaque réunion. Je rétorque "j'ai 4 classes", elle surenchérit "j'ai travaillé tout le mercredi et le samedi". Euh pareil pis toi t'as pas de cours à préparer, t'as pas de classe, nananère bon ok je me tais histoire d'enrayer le moulin à plaintes. Les collègues sont liquéfiés sur leur chaise, les plus anciens tentent de la calmer en lui répétant que je n'étais pas là cette semaine, que je ne peux pas savoir ce qu'elle me demande, que ma collègue lui donnera un papier etc.

Le même jour, effervescence devant la photocopieuse dès 8h00. Tout le monde a des copies à faire pour ses élèves. "Je t'en prie", dis-je à la collègue qui me précède et me le fait remarquer au cas où je ne l'aurais pas vue. Elle me sourit et plaisante : "Oh mais j'y vais même si tu ne m'en pries pas !". Je devrais m'esclaffer, je pleure. Elles sont deux à ouvrir des yeux ronds comme des billes. "Ca va ?" me demandent-elles doucement. "Oui. Pleure quand manque de sommeil, me suis levée à 6 heures. Moral d'acier, juste fatigue." Ce n'est presque pas mentir.

Je suis une pleureuse assidue. Malheureuse non, je larmoie fréquemment, c'est tout. Joie, colère, tristesse, tout s'arrose. J'ai découvert ça avec une psychothérapie. J'ai passé 3 ans, à raison d'une à deux fois par semaine, à pleurer pendant 30 minutes et à payer à la fin. C'était un brin surréaliste. La conclusion s'est imposée : pas grave, c'est comme ça. Toujours atteinte d'épanchement lacrymal récurrent, je ne suis pas déprimée le moins du monde. Ma vie est belle et bien remplie, pas seulement par mon travail. Mais une conjonction d'éléments m'a empêchée de préparer mes classes. Avoir des situations d'apprentissage à proposer aux élèves, vous pensez que c'est l'essentiel du travail du prof, n'est-ce pas ? Je suis de votre avis. Dans un monde simple, l'enseignant peut organiser ses cours et ses corrections de cahiers.
Cette semaine donc, on eut dit que tout s'était organisé pour plonger mes prépas dans l'eau de la fontaine pétrifiante. Je vous passe les soucis purement techniques "Bah qu'est-ce qu'il a cet ordi ?! Je dois imprimer argh ça sonne". Stupeur enclenchée, sécrétions oculaires parées au décollage...
Tout ce que je demande à mes larmes, c'est qu'elles ne se pointent pas devant les élèves. La veille, c'était hélas pendant que je surveillais la récré mais comme je porte des lentilles, j'avais pu feindre une anodine irritation de la cornée. Là, meubles sauvés une fois de plus : 5 minutes après le blues de la photocopieuse, je menais ma classe victorieusement. Yeux de lapin insomniaque mués en prunelles assassines, regards noirs décochés à l'arbalète aux zozos sortant du rang et sourire conquérant de la maîtresse qui a moult choses à leur apprendre. La maîtresse, elle maîtrise. Elle assure, elle a tout prévu.
Ce qui me rend dingue, c'est lorsque l'Education nationale se laisse pousser la barbe kafkaïenne. "Réponds présente partout, Marie-Georges, nous n'avons pas besoin de ton avis mais tu dois être là. Tes préparations de cours, ce n'est pas notre problème." Les priorités deviennent secondaires. Panique à bord : nous devons organiser le soutien tout de suite. C'était pour le 3 octobre, mais les gens d'en haut ont vociféré : ça n'est plus pour octobre, c'était pour hier. Rendez vos copies et que ça saute ! Qui fait quoi quand et avec quels élèves ? Quid des 108 heures des samedis que nous vous avons enlevées ? Viendrez-vous le mercredi ? Soutien à midi ? Le soir ? Les élèves en difficulté seront ravis de se coltiner du soutien pendant que le reste de la classe criera "ouaiiiiiis c'est la récré !!" en galopant dans le couloir. On les prive de pause repas ou de pause goûter ? Nous hésitons. Assez réfléchi, on veut des tableaux remplis avec des heures !
Réunion de parents jeudi soir jusqu'à 19h30 (découverte professionnelle : être au boulot de 8h à 19h30 dont 6 heures avec enfants, ça fatigue), dans laquelle je fis acte de présence car, comme vous le savez, on ne me demande rien, je suis simplement la maîtresse du vendredi ; réunion le lendemain à 12h15 alors que je comptais mettre à profit la pause déjeuner pour enfin trouver des documents intéressants pour les élèves. On m'a sommée d'être là, là, là et puis là, rien d'autre. Vous avez déjà essayé d'être là là là devant des élèves pendant 6 heures sans avoir pu préparer quoi que ce soit avant ? Heureusement, j'ai l'expérience du théâtre d'impro et surtout, un reliquat d'exercices de la semaine passée. J'ai joué la comédie de la rigueur, de la cohérence, j'ai aboyé "dépêchez-vous, le programme est chargé aujourd'hui, vous avez plein de choses à faire !" tandis que mon journal de bord était d'un blanc étincelant. C'était beau comme une pièce de Ionesco.

Dimanche, maison

"Scorpions : mettez à profit cette journée pour ne rien faire."
Purée, heureusement que ça tombe un dimanche. C'est bien foutu, les planètes.

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16 commentaires:

Dorham a dit…

C'est édifiant.
La discussion avec la dirlo, c'est comme une discussion de couples où l'on essaie de déterminer qui en fait le plus...

Enfin, édifiant...

Anonyme a dit…

Moi ça me rassure vraiment qu'un enseignant puisse pleurer parfois, douter, saturer, se poser des questions car en général, ils nous donnent plutôt l'impression de TOUT maîtriser et nous RIEN. On s'excuserait presque d'avoir pondu nos mômes dans cette totale ignorance...

detoutderien a dit…

c'est vrai qu"elles sont fortes les planètes ! mais bon t'aurais peut-être pu profiter de ton dimanche pour aller faire des photocopies

Anonyme a dit…

Franchement, je compatis. Enseigner dans ces conditions relève de la bravoure et de l'abnégation les plus remarquables. Quand je pense à la manière dont vous traite l'odieux Darcos, j'ai des envies coupables - mais légitimes, non ? - de réduire des têtes à exposer au bout d'une pique. Par pur souci pédagogique d'apprendre aux enfants à éviter de proférer des conneries mensongères en public, bien sûr !
Bon courage :)

Le_M_Poireau a dit…

Evidemment, si le dimanche tu ne fous rien, comment veux-tu avancer !
Tu n'y mets pas du tien, c'est clair !!!
:-))

[le côté "j'applique des procédures" plutôt que de vraiment faire le travail est un mal assez courant, pas que dans le public d'ailleurs et c'est une des choses qui m'énervent plus au monde !]

Marie-Georges a dit…

Dorham,
J'ai oublié ces joies du couple :)
Mots d'elle,
La maîtrise, c'est la face que nous devons montrer... Mais enseigner, c'est se remettre en question, beaucoup de collègues le savent et heureusement !
Gaël,
Je sais... C'est mal...
Martin,
Merci de ton soutien ! C'est un travail assez usant mais chut ! La pénibilité n'existe plus depuis Sarko !
Monsieur Poireau,
J'ai écouté l'horoscope hier mais je vais le payer ce soir :s
(oui ! J'aime l'absurde au théâtre ou en littérature mais beaucoup moins au boulot !)

Anonyme a dit…

T'en a fais quoi de l'aiguille de ta mécrèsse ?
c'est peut-être le moment de la ressortir pour couer le bec à ces dirches qui ne sont après tout que des pilotes d'équipe - même pas responsables comme chargés du personnels et ça trouve quand même le moyen de faire ièche!!

ah ben tiens, pendant que j'y pense (blague) : - tu connais la différence entre un tampon et un I.E.N ?

réponse au MNW-café [clique le pseudo], c'est ma tournée!

Anonyme a dit…

Je me risque à un commentaire dans "la cour des gnomes". Bien des échos dans ce texte que je comprends et partage de toute l'empathie de mon expérience si proche. Du courage, oh oui, il en faut, à l'infanterie de l'EducNat.

Marie-Georges a dit…

May Nat,
Excellente blague :))))) Faut que je la raconte aux collègues... Merci pour la tournée !
Clarinesse,
Bienvenue et merci. Je ne te le fais pas dire !

sodilettante a dit…

franchement je te tire mon chapeau. être prof par les temps qui courent...

Marie-Georges a dit…

So dilettante,
Et encore : l'année prochaine sera pire (6000 postes supprimés dans le primaire, pour + d'élèves) donc profitons-en :s

Anonyme a dit…

oh oui profitons en ... ah ces instit qui se plaignent tout le tps ...
les moutons doivent avancer sans bêlement ou presque ...
hélas moi non plus je n ai pas signé pour ça ...

on culpabiliserait presque le dimanche de penser à soi !!! un peu

le don de soi sans reconnaissance ou très peu !!! que des incompris nous sommes, mais chuttt nous avons la sécurité de l'emploi et PLEIN de vacances ... ... ...

Courage même si on a besoin de plus que ça

Une cigale à Panam copine de natou

Anonyme a dit…

Ma chère MG,
Tout ce que tu dis me donne bien envie d'écrire et de jouer des scenettes estampillées EducNat, une sorte d'exutoire, de défouloir, de déversoire!!! Moi, ce matin j'ai assisté à une grand messe désopilante ou plutôt déprimante; tout dépendant de l'état d'esprit du moment... Bref, tout ça me donne bien envie de reprendre mes dessins réflexifs "sont zarbis ces profs!" ou "du symptôme des instits!" Saches MG que si t'as besoin d'un temps pédadingo partagé, I am ready! Des bisettes et une bonne dose de NIAAAQQQUUUEEE!!!! Non! non! on ne finira pas à La Vérrière (charmante commune où est implanté l'HP des instits (pour de vrai!)) Ce métier n'aura pas raison de nous! Nah!
P.S : La cigalou c'est ma pote! hi! hi! Elle kiffe grave ton staïle!

Marie-Georges a dit…

Cigale,
Bienvenue ! Oui, la sécurité de l'emploi et les vacances, jusqu'où va-t-on aller au nom de ces "privilèges" ?
Remarque, cela sera révisé aussi (cf. les contrats privés que Sarko a proposé pour ceux qui le souhaiteront.)
Nataloup,
La Verrière a de beaux jours devant elle en effet ! Voui tu peux reprendre tes dessins, on ne peut qu'acquiescer à telle proposition !! Désolée pour la grand-messe (pourquoi ça ne m'étonne pas ?)... On m'en a prédit une mais pour l'heure, j'ai fait l'autruche et n'en ai pas encore vu (pourvu que je l'aie loupée, pleaaase !). Je trouve que c'est le summum du déprimant !
A bientôt ;)

Le_M_Poireau a dit…

Zut, j'ai commencé à lire puis j'ai été interrompu, je reviendrais...
Par contre, je n'ai pas ton mail pour te joindre !
:-))

Oh!91 a dit…

Vive les professeurs d'école ! C'est la seule chose qui me vient... (accessoirement : bon courage !)