samedi 12 juillet 2008

Un moi de vacances (1)


Watteau, L'embarquement pour Cythère, 1717

- "C'est totalement indolore et le dépaysement est garanti.
- Indolore, vous dites ?
- Du moins, physiquement. Pour le reste, comme indiqué dans ce formulaire, nous ne prenons pas en charge les réparations liées à un éventuel trauma psychologique. Nos clients sont responsables et si vous vous estimez fragile, il vaut sans doute mieux opter pour une semaine au Pouldu ou à la Grande Motte..."
L'agent se renfonça dans son siège de bureau. Il avait accompagné sa suggestion d'un sourire au coin narquois et ses mains ouvertes répétaient en choeur "c'est vous qui voyez".
- "Je devrais peut-être réfléchir alors...
- Nous sommes forts de nos douze mois d'expérience. Il n'y a jamais eu de problèmes.
- Peut-être que je...
- Ceux qui en sont revenus demeurent très satisfaits de nos services.
- Bon...
- Signez là.
- Je déclare être seul responsable des chocs traumatiques que ce voyage pourrait occasionner, ah tout de même...
- Oh ça, c'est une mention que nous mettons par précaution mais ça ne signifie rien. De toute façon, notre assurance vous couvre en cas de perte de bagage psychique.
- Bon...
- Signez là."
Ce voyage était inespéré. J'allais enfin quitter mon chez-moi et mon moi-même pour d'autres horizons. Quitter l'enquiquinant quotidien, me défaire de moi, m'ôter la peau et les os, me pulvériser... Et être une fille ! Pour un temps seulement. Puis redevenir, comme si de rien n'était. J'avais si souvent acquiescé au titre du livre La fatigue d'être soi. A moi maintenant, le repos d'être autre !
J'arrivais pour endosser ma nouvelle vie provisoire. J'avais toujours rêvé d'une semaine culturelle à Paris où je pourrais me retrouver seul face à des oeuvres qui me parleraient. Dans la peau d'une diplômée en arts, je toiserais le guide et m'esclafferais "mais bien sûr, bien sûr..." devant la collection permanente de Beaubourg. Enfin !
L'agent convint d'un rendez-vous avec Marie-Georges. Elle ne disait rien et ne semblait pas de très bonne humeur, mais on m'avait prévenu que les voyages en homme n'étaient pas ses préférés. C'était quand même bien payé comme job d'été et elle en profiterait tout autant ; je fus piqué par ce manque d'enthousiasme à mon endroit. Il n'y avait vraiment pas de quoi se plaindre d'être tombée sur moi : elle vivrait dans un appartement plus grand, en province, et s'occuperait de mes plantes en attendant de recouvrer tout son fort intérieur.


Un technicien nous plaça contre une grille. "C'est la machine de Star Trek !" s'exclama mon futur moi. Du folklore, oui ! En fait, le chassé-croisé mental avait lieu par inoculation d'un implant riquiqui mais ils avaient cru bon d'en rajouter dans le pittoresque en nous affublant d'un casque d'où dépassaient des fils de téléphone piqués dans le métal.

"Souriez, vous êtes en vacances !"

Un flash anti yeux rouges m'aveugla tandis qu'on me piquait le bras.

Je me retrouvai mollement adossée à la grille. Je pris mes fines gambettes à mon cou et partis chez mon nouveau moi, avec en clé USB-cadeau la photo souvenir de cet instant ridicule.

Note : Oui, c'est sans doute à suivre. Mais pour l'heure, je pars prendre l'air en Normandie.

Je dédie ce texte à Zoridae, pour l'envie de lire qu'elle m'a donnée à son insu (son écriture est à fort pouvoir addictif), en plus de celle de créer mon blog et aujourd'hui d'écrire sur ma tête habitée (en somme, tout est de sa faute).

7 commentaires:

Zoridae a dit…

Arg mais c'est fabuleux ! En plus c'est un changement de sexe... Je suis vraiment heureuse de t'avoir inspiré ça, je suis impatiente de lire la suite !

Marie-Georges a dit…

Merci surtout de m'avoir inspirée ! Oui, le changement de sexe est là aussi. Je pensais bien que tu réagirais à cette autre allusion zoridaienne ;)

Dorham a dit…

Impatient aussi...
C'est que quand même, tu ménages les découvertes...
Je reste et j'attends...

Anonyme a dit…

Zut, la grande Motte. Tu t'es faite avoir non ?

Anonyme a dit…

Du choc traumatique, du bagage psychique, de la piquouse, du dépaysement, du nouveau moi : ton écriture est digne du cadavre exquis! La suite! la suite! L'agora en folie, marie-georges addictée demande, réclame, exige le magnéto!

Marie-Georges a dit…

Dorham : devine ! Je ne sais même pas s'il y aura une suite. Je me suis piégée moi-même...
Britbrit : tu crois que j'aurais dû me sauver là-bas ?
Nataloup : merci, c'est trop c'est trop ! Je suis bien bête de démarrer une série avant de partir en vacances...

Marie-Georges de Normandie vous souhaite une belle soirée.

Dorham a dit…

Marie-Georges,

c'est comme ça, on en fait un et à la fin, y en a 11 ; je ne sais pas si c'est drole ou triste.

Pour toi, j'ai viré la palme sécable, j'ai inventé la palme soluble :)))