lundi 7 juillet 2008

Déconfitures


Fragonard, Les hasards heureux de l'escarpolette, 1767

Les fabricants de tongs peinent à écouler leur stock en ce doux mois de juillet : les touristes ont pris leur petite laine pour aller photographier la Seine. Je leur conseille au passage le deuxième étage du musée Carnavalet pour se réchauffer. Petit guide thermique de l'édifice : en cas de canicule, filez droit vers les vestiges du néolithique. Privilégiez la révolution en cas de grand froid. La royauté prise en sandwich entre l'âge de fer et et les jets de pierre sera étudiée lors de températures plus clémentes. J'aime me nicher dans un des recoins tapissés de ce majestueux musée. En plus d'offrir une large gamme de degrés Celsius, c'est gratuit et instructif. Je ne me lasse pas d'y admirer le portrait de madame de Sévigné : quand j'étais petite je l'avais en triple dans mes images de chocolat Poulain.


Il fait froid, mais parlez pour vous : moi, depuis quelques jours, je suis brûlante comme la braise. C'est bien l'été à Paris, les oiseaux s'égosillent sous les vrombissements des moteurs, les arbres poussent à l'envers (vu square du temple) et le soleil caresse la face cachée des nuages. Je passerai le plus clair de mes vacances dans cette cave à l'air libre qu'est notre capitale. Alors la chaise longue, ce ne sera ni pour moi, ni pour mes hormones. [ C'est quoi des hormones au fait ? "Les hormones ont une fonction de communication", dixit itsi-Wiki.] Ah ça, pour communiquer elles communiquent... J'ai l'impression que chaque pore de ma peau s'amuse à lancer des clins d'oeil aux inconnus. Je fais des clins de pores. Je clignote, en quelque sorte. C'est raté pour la discrétion, alors j'ai décidé d'assumer. Ces derniers temps, je sors le grand jeu en toutes circonstances ; je fais ma grande Zoa dès qu'il s'agit de descendre les poubelles. Jugez plutôt.


Hier, en me pavanant à Carnavalet, vêtue d'une combinaison catwoman (ou d'un jean, je ne sais plus bien), je m'installai lascivement sur un gros pouf rouge. Je balançai ma chevelure d'avant en arrière, prétextant une gêne capillaire qui m'empêchait d'observer à ma guise les événements de la Commune. Afin de n'en rien rater, je pivotais régulièrement sur mon pouf, à l'aide d'un jeu de jambes à la Cyd Charisse (ou Charlot, je ne sais plus bien). Im-pa-rable, le coup des gambettes en folie : un jeune homme vint, taillé comme l'armoire de Paul Léautaud aperçue peu de temps avant (ou était-ce l'armoire elle-même qui s'approchait, le doute me submerge). L'individu meuble exprima le souhait de partager mon pouf et engagea derechef la conversation. Ca mordait sec à l'hameçon, me félicitai-je intérieurement. Une bien belle prise, en plus. De l'écaille luisante, de l'oeil vif, de la chair ferme, du sauvage quoi ; un parler plein d'arêtes, un vocabulaire rudimentaire comme les armes de l'âge de bronze exposées plus bas, des fautes de frappes plein la bouche, ah non là ce n'était plus possible. Sa prose grinçait comme les gonds d'une grange abandonnée et les pores de ma peau se verrouillaient les uns après les autres. Je pris congé poliment en lui souhaitant bonne chance pour les réparations de sa voiture, qui le plantait "juste avant ses vacances au Cap d'âge". Pour équilibrer ma journée, je décidai d'aller draguer l'octogénaire au square du temple. Bonne pioche : 4 papys aux yeux rieurs et à la brioche turgescente avaient, eux, moult aventures amusantes à conter. Pratique : leur banc jouxtait le mien. Occupée à chercher en quelle langue ils devisaient, je n'eus pas le temps d'aller à l'abordage et les vis partir sans un regard à mon endroit. Mon jeu de jambes passait-il moins bien sur banc vert que sur pouf rouge ? Je ne le saurai jamais.

Une nuit passa et mes hormones n'eurent de cesse de m'envoyer leurs fax désespérés. La combustion opérait toujours. "Il fait froid, j'ai chaud !" continuai-je de gémir, prise dans d'épaisses fumées dont l'origine semblait me suivre partout. Ce fut donc en déshabillé de satin que j'attendis mon agent EDF ce matin (ou en jean, je ne sais plus bien). Lorsqu'il parut, ma joie et mon compteur ne firent qu'un tour. "1040, vous êtes d'accord ?" me lança-t-il en titillant un petit bouton bleu. "Je ne sais pas, je vais réfléchir", crus-je bon de répondre d'un ton langoureux (ou langoustier, je ne sais plus bien). Il eut un rire surpris. Il interrompit son activité et me regarda dans les yeux en souriant. Puis il sembla se raviser et me dit au revoir. "C'est tout ?", rajoutai-je, de la sauce au beurre plein la voix. Ma question le plongea dans un abîme de réflexion. Avouez que le moment était propice pour embrayer avec un "What else ?" prononcé d'un ton grave, en me plaquant au mur ou en me préparant un café. Visiblement dans l'embarras, il paraissait chercher ses mots. Son visage s'illumina au bout d'une interminable poignée de secondes. Il eut un regard appuyé qui remonta lentement de l'intérieur de ma cheville à mes paupières en me chatouillant tout du long. Ses lèvres s'entrouvrirent et il dit : "Non, ce n'est pas tout : vous recevrez votre facture dans dix jours".

22 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore! Du croustillant! Du juteux! Du savoureux! Du goutu! Avez-vous d'autres recettes de seduction O miss Profoonde?

Nicolas Jégou a dit…

"je m'installai lascivement sur un gros pouf rouge"

Moi, c'est pareil. Je me suis installer dans une grosse pouffe toute rouge.

Anonyme a dit…

Alors là! Je me bidonne, je me gausse, je pouffe puis je me prosterne, je m'agenouille, je fais profil bas devant tant de lyrisme!!! C'est un régal cérébral (on lit, relit et rerelit tellement l'harmonie des mots claque, résonne, taquine et émoustille!!!) Longue vie à ta plume aiguisée!!!
P.S : J'ai tenté ma chère MG de répondre à ton pitit tag! hi! hi!

Zoridae a dit…

Pfff, tout ce que tu écris est brillant, drôle, profond, marie-georges !

Malgré tout, je suis navrée pour tes hormones, qu'annonce ton horoscope de l'été ?

(Juste une petite question "brioche turgescente"... tu es sûre qu'il s'agissait bien de ventres ?)

Anonyme a dit…

T'es coquine toi :)

Marie-Georges a dit…

Bobonne : tu veux dire d'autres recettes qui foirent ? (Je ferais mieux de trouver des stratégies en plat tout prêt chez Picard.)
Nicolas : et après tu as entamé la conversation ?
Nataloup : Merci beaucoup (c'est trop). Chouette ! J'arrive, j'accours !
Zoridae : je dirai aussi : c'est trop, je vais à présent me consumer de gêne ! Mais merci ! Bonne question pour l'horoscope d'été ?!
Britbrit : Moi l'été ça me fait de l'effet, pas toi ?

Mlle ciguë a dit…

En fait, je pense que tu peux oublier les 'Martine à la plage' et passer directement à des lectures plus 'profondes'...

Anonyme a dit…

Pfff comment il a cassé l'ambiance l'electricien...

Marie-Georges a dit…

Mademoiselle Ciguë : au contraire, je risque la combustion spontanée si je ne me calme pas ! Tiens je vais relire l'intégrale de la Comtesse de Ségur (qui avait un bracelet, exposé à Carnavalet, qui ressemble drôlement à une montre mais sans aiguilles).
Hélène : oui, c'est à désespérer. Mais peut-être étais-je la douzième à lui faire le coup ? Dur d'être agent EDF...

Balmeyer a dit…

L'homme meuble, excellent !

Ouais mais je proteste, la concurrence des hommes meubles est quand même déjà pénible pour les honnêtes hommes, alors si tu les harponnes !

Audine a dit…

Bon Marie-Georges, faut que je te dise, même avec le jeu de jambes de Cyd Charisse on ne PEUT PAS faire pivoter un banc de square.
Et puis à l'homme EDF, tu aurais du lui parler de tes clignotements y compris nocturnes, mais EN FRANCAIS, pourquoi t'as besoin d'aller faire bilingue ?
Quant à la facture, t'as loupé l'occase de lui demander en main propre.

La prochaine fois, tu me demandes avant :)

Marie-Georges a dit…

Balmeyer : le problème de l'homme meuble, c'est qu'il est creux. Et harponner une cavité, c'est délicat.
Audine : mais c'est moi qui pivote, pas le pouf ! Sinon c'est le pouf qui se ferait draguer. Pis à l'agent, j'lui ai dit "c'est tout ?" et non pas "that's all ?" (qui m'aurait permis de tenter un "that's hole" de bon aloi). Cela dit, merci pour ta proposition. Je veux bien te demander avant. Dès que j'apercevrai une personne qui me plaît, j'irai bloguer.

gabbriel a dit…

doux, suave et salutaire. J'acquiese et comme c'est bien ecrit je lis et relis. Je postule á EDF pour l'été prochain...

Marie-Georges a dit…

Gabbriel : bienvenue et merci beaucoup, je suis rouge comme une pivoine ! Bonne chance pour ton entrée à EDF :)

Anonyme a dit…

Mais quel lyrisme en effet ! Chapeau bas !
Et encore à Paris... Les libidos en panique n'ont pas à supporter les feulements de bêtes sauvages en pleine saison des amours puisque pour avoir vécu l'expérience pas plus tard que mardi dernier, il n'est rien de pire que de se faire réveiller par des cris sans équivoque et d'alors se dire... Si même les renards baisent, pourquoi pas moi ?!

Anonyme a dit…

gnihihi!
"je cligne des pores"...
"(...)jeu de jambes moins efficace sur banc vert que sur pouf rouge!"... maaah, t'es vraiment bien allumée, toi!

ça me rappelle un vers de Supervielle (écrivain surréaliste, s'il en fût) : "... un oiseau plus tendre de survoler l'herbe au sortir des mers..."

chtadd'dooore!

gabbriel a dit…

ca me donne l'idee d'une agence de plombier fetichistes, d'electricien SM ou encore de platrier-peintre echangistes...

Je ne relis plus mais j'y pense en regardant les filles evoluer au soleil: ha les coquines qui nous font croire qu'elles sont pures et innocentes.

Anonyme a dit…

Punaise Marie-Georges, quand est-ce que tu écris un livre??? Je te promets que je l'achète direct, tu seras riche et moi j'ai aussi besoin d'argent et je vais investir sur toi. En même temps, j'ai un doute. Vu que les gens sont très friands de "littérature" à la Marc Levy et Bernard Werber, quelque chose me dit que seuls les vrais amoureux de la lecture tomberont sous ton charme, et ils sont malheureusement peu nombreux ces énergumènes.

Tes textes ont une odeur, une saveur, j'ai presque envie de les lire à voix hautes pour qu'ils fassent de la musique. Ils fleurent bon la mélancolie, la douce nostalgie ou alors parfois il me feraient presque penser à l'ambiance guillerette et burlesque de Bobby Lapointe.

Cet électricien ne voit visiblement pas ce qu'il rate! Tant pis pour lui :))
(N'empêche, lui aussi il avait de la répartie :op )

Marie-Georges a dit…

Aurélisme : Hihihi ! C'est de bonne guerre après tout, les occasions de se venger sur l'homme sont rares pour les petites bêtes...
May Nat : Joli !
Gabbriel : Remarque aussi, y'en a plein qui évoluent au soleil histoire de prendre le soleil. Et si tu faisais électricien au soleil ?
Pépite : Là je suis plus que flattée... Boby Lapointe, j'adore ! Mais en toute honnêteté, je me vois très mal publier quoi que ce soit. Un livre sur mes petites misères, boarf !

Anonyme a dit…

Me dis pas que tous les bons écrivains ont des vies palpitantes! Je trouve que tu transformes l'ordinaire en extraordinaire, c'est toute ta force, tu es tellement riche!

Anonyme a dit…

Et sinon je me doutais bien que tu aimes Boby Lapointe, une amoureuse des mots comme toi ne peut qu'aimer Boby Lapointe :)

Marie-Georges a dit…

Je ne dis pas qu'il faut avoir une vie extraordinaire pour écrire ; En bouquins, j'aime ce qui a du fond. On ne peut pas dire que j'aie un message qui mérite d'être largement diffusé ! Quand j'écris, ça m'amuse ou ça me défoule mais je ne pense pas que ça mérite plus de promotion que je n'en fais déjà avec ce blog. Grand merci tout de même, ça fait plaisir :)