Giotto, Le Christ chassant les marchands du temple, 1306 On me somme de râler. Et dire qu'il y a tout juste une heure, tranquillement assise au bord du canal Saint-Martin et dégustant une pâtisserie compliquée, une amie me lançait un "arrête de râler" tandis que ma bouche menait un combat méritoire. La crème s'échappait de toutes parts et mes lèvres durent à plusieurs reprises s'élancer au plus loin pour rattraper la fuyarde. Les dents râclaient le papier qui essayait de digérer le gâteau avant moi en le tenant prisonnier sur toute sa surface et la langue jouait au ping-pong pour arrêter le feuilleté qui tentait de s'échapper alternativement à droite et à gauche. D'impuissantes gencives sanglotaient devant l'amas gluant d'un glaçage pervers, qui cachait son jeu et ses munitions d'éclats de pistaches pour mieux les immiscer là où nul poil de brosse à dents ne passe. Dans le même temps, La division des zygomatiques se livrait à d'usantes contorsions pour rassembler les troupes de miettes disséminées dans tout le territoire buccal.
Vous l'aurez compris,
1- les millefeuilles m'énervent.
Voilà des pâtisseries qui vous aguichent de tout leur long, posées comme ça, nonchalantes, sur le plateau en inox, en présentant leur meilleur profil. Leurs strates tour à tour dures et moelleuses se grimpent les unes sur les autres sans vergogne en vitrine, provoquant l'hystérie collective de vos papilles. Vous cherchez à les fuir du regard mais lorsque la dame demande ce que vous désirez, votre index, aussi fébrile que le reste, se tend vers une de ces allumeuses glacées. Toute résistance est vaine, d'autant que ce sont au bas mots 749 feuillets qui font la danse de l'éventail pour attirer dans leurs filets vos dents écarquillées. Vous réglez et partez à grandes enjambées, les phalanges précautionneusement repliées autour de votre victime dont vous sentez l'insolente fraîcheur au travers du papier beurre.
Pourtant. A peine entamé, le millefeuille n'est plus cette promesse d'une fête gustative où chaque matière, bien rangée au départ, pénètre petit à petit les autres pour y insinuer ses saveurs et tournoyer dans votre bouche en une formidable partouze pâtissière. La danse des mille textures qui craquent, cèdent et fondent se révèle être un sac de noeuds où rien ne circule dans le sens prévu. Voilà votre bouche privée de dessert et salivant dans le désert.
Mais est-ce bien raisonnable, tout ça ? On s'en fout.
Vous l'aurez compris,
2- Les incitations à la prudence diététique m'énervent.
Les conseils me pompent l'air. Je parle des conseils d'état sur le nôtre. Enfin, de ceux-ci : "pour être en forme, ne fumez pas" ; "mangez au moins cinq fruits et légumes par jour" ; "ne grignotez pas, ne mangez ni trop salé ni trop sucré et pratiquez une activité sportive régulière". Comme degré zéro de l'information doublé d'une préoccupation faux-derche pour notre santé, ça se pose là. L'idée, c'est de nous faire croire que tout est de notre faute. En politique, on appelle ça "responsabiliser". Les milliers de produits infâmes que l'on nous vend n'y sont pour rien, c'est nous qui ne savons pas les manger au bon moment. Et on voudrait la gratuité des soins ! J'attends l'étape suivante. Une carte vitale à points ? "Vous avez du cholestérol, moins 3 points". Des packs soins-cadeaux financés par les grands groupes, genre "Un pot de Nulleta acheté, une analyse sanguine offerte" ?
Ces gentils conseils ne sont qu'une parade publique pour nous faire croire que l'état se préoccupe de notre santé tandis qu'il se désengage. Il pérore et nous avise avec du vent.
Ca y est, je suis énervée.
J'ose à peine laisser échapper une autre raison de râler. Pourtant il y en a pléthore. Mais je vais sabrer mon troisième. Si j'allais plutôt me faire une camomille ?
3- Les journalistes incompétents m'énervent.
Zut, ça m'a échappé. Je développe ? C'est clair pourtant. Je ne parle pas de leurs approximations langagières qui peuvent, au pire, m'irriter gentiment. Non. Je ne parlerai même pas des courtisans au pouvoir en place qui grouillent sur les plateaux. Et pourtant, vous en conviendrez, c'est particulièrement gonflant. Non. La propension qu'ont beaucoup d'entre eux à broder des phrases truffées de lieux communs sur des sujets qu'ils ne connaissent pas m'énerve.
Marie-Georges clique rageusement sur "publier le message". L'eau de la camomille bout pendant qu'elle est à bout. Elle serre un sachet de tisane dans son poing puis le jette au fond de la tasse. Le fait qu'il faille attendre que ça refroidisse avant de boire, mais pas trop, l'énerve.
Audine, May Nat, Cynique-ta-mère et Britbrit, au rapport !
36 commentaires:
Ah oui, le troisième moi aussi.
Mais pas le premier, non, c'est bon !
Le coup de la carte vital à point ça m'a bien fait rire -j'en ai pouffé dans mon café qui a bien failli finir sur l'ordi...ça m'aurait énervée pour le coup!-
franssoit,
Tu maîtrises le millefeuille ?Respect...
mademoiselle Ciguë,
Gaffe, un clavier en l'air y'a en effet vraiment de quoi se mettre en rogne !
Je fonce lire et commenter bêtement mais le premier lien sur un de mes blogs est foireux. Et sans vouloir être désobligeant, je n'ai vu aucun lien sur mon quatrième (et dernier) blog.
"Journaliste incompétent", c'est pas un lieu commun ?
Nicolas,
Le premier lien est réparé, merci d'avoir signalé cette coquille. Quant au 4è blog, j'ignorais !
Nicolas,
Non. Le Canard enchaîné me rassure chaque semaine sur ce point.
qui a dit que le français était congénitalement râleur ?!!
de toute façon quand c'est si bien écrit que dire ..
si. A quand un tag sur les petits bonheurs ou ce qui vous rend heureux ce serait sympa non ?
je propose les 3 de ce matin pour moi :
*un chéri qui vous sourit et tend les bras pour un câlin alors qu'il dort encore profondément.
*un bébé qui vous tend les bras dans le train alors que vous émergez juste de votre nuit.
*un bus qui s'arrête pour vous permettre de tourner devant lui et vous évite d'être coincé pendant les 3 plombes que promet la fille des voitures derrière lui (et oui ça existe à Nantes).
Faut croire que j'ai une bonne tête.
bisous marie georges
Cé
@Cé le monolecte a lancé une telle chaîne sur les p'tits bonheurs
@marie-georges pareil pour la prudence diététique !
Ma Cé,
Malgré tout, je reste campée sur mon énervement. Je viens d'entendre des journalistes béats d'admiration devant l'Inde parce que c'est une nation jeune. Les gens meurent jeunes, c'est le paradis ! Quels nazes. Comment vais-je sortir de ma hargne et mon courroux coucou ?!
Ah, elle est belle, ma cuisine fabriquée par ton homme... Voilà !
Grooos bisous à toi.
Gaël,
Merci (tu m'apportes des infos à chaque commentaire) !
j'arrête alors !
Gaël,
Ah nan hein !
Pour le millefeuille, c'est bien fait : vous n'avez qu'à passer à la saucisse sèche, comme tous les gens de qualité.
Pour le permis à point, je suggérerai un raffinement : que ceux qui n'ont ni cholestérol ni diabète (c'est un exemple, hein ?) puissent transférer des points sur leur permis de conduire.
Personnellement, ça m'arrangerait.
Didier Goux,
Griller un feu ou une saucisse, il faudra choisir ?
un tag à deux doigts de voir trois possibilités de ne pas y aller par quatre chemins pour t'en claquer cinq... dans ta paume, la cops!
tu m'as bien eue, là!
bon.
c'est comment ?!!
c'est comment tu fais ton "Précieux Billets" là ?
comment-comment-comment ?
dis.
May Nat,
Hihi !
Bin en fait... C'est un service de Blogger... Alors je ne fais rien... C'est lui qui me demande si je veux ajouter une liste de blogs. Je dis oui, je mets juste l'URL et hop, il travaille tout seul !
j'aime beaucoup quand tu t'énerves... c'est à la fois terriblement drôle et sublimement juste... mais n'est ce pas parque l'un découle de l'autre?
Tu l'avais déjà expliqué mais je constate que chez toi la bouche est d'importance ! Deux de tes énervements la concernent...
Sinon, comme d'habitude, j'adore quand tu t'emportes !
Sandrine,
Grand merci, j'en rougis !
Zoridae,
Oui ! Le 3è aussi, si l'on considère les inepties qui sortent de celle des journalistes radio :)
Chère MGP,
commençons d'abord par un peu de fatterie, ça n'a jamais fait de mal à personne, hein, car en effet, j'aime beacoup la verve et le lyrisme qui sont tiens! Je trouve ta plume fort agréable et, donc, j'en redemande.
Quant à tes péripéties millefeuillines (peut-être dit-on millefeuillesques??) je partage tout à fait ta vision des choses! Ces drôles là sont des sournois qui ne présentent bien et ne sont propres sur eux que pour mieux révéler leur nature profonde une fois leur victime séduite! Car, oui, si j'osais (je ne suis quand même qu'un nouveau venu, je vais m'abstiendre!) mais je te reprendrais presque quand tu te décris enserrant "TA victime" dans son papier beurre. Point de méprise, la victime n'est pas celle que l'on croit!
fab-fab,
Bienvenue !
Tu dis vrai. D'ailleurs je me suis arrêtée sur cette phrase, j'ai effacé puis remis "victime"... C'est donc pour cela !
Excellent ! Pour le millefeuille, ce que j'ai trouvé (que j'ai piqué à Z., plutôt) : le couper en tranche.
Sinon, il y a éventuellement la possibilité de le mixer, afin d'obtenir une purée plus pratique.
(excellent ce tag. Y'a pas quelqu'un qui voudrait se dévouer pour me tagger ??????????? Je suis surpris, j'y passe à travers. Personne ne m'aime. Je vais me tagger tout seul. Faire un coup d'étag.)
Mais pourquoi moi, pourquoooiiii ???
Bon, je file en vacances, mais à mon retour, je m'y colle.
Au fait, on dit merci dans ces cas-là ?
Balmeyer,
Merci.
Ah bin ça ! Si on m'avait dit ! Chez May Nat y'a Joe Dalton qui me tire dessus en guise de bienvenue à cause du tag, Britbrit et Audine grognent, Cynique-ta-mère disparaît mystérieusement... Et toi, qui nous cisèles bi- voire tri-quotidiennement fins billets et minutieux textes, tu es encore prêt à découper des millefeuilles en tranches (tu as déjà essayé ?!) tout en répondant à des tags.
Ca peut s'arranger. Je connais une personne qui a également reçu ce tag (elle s'appelle Z. et écrit beaucoup au sujet de la reproduction arachnéenne). Nous pourrions lui souffler l'idée de te taguer ? En toute discrétion.
Brit-brit,
Je ne sais pas si les tags s'échangent comme des autocollants Panini. Si oui, je pense que B., un homme avec un chapeau qui nourrit d'épineux fantasmes sur toutes sortes de cordes, est intéressé. Avis !
Et bonnes vacances :)
C'est la camomille qui t'énerve. D'ailleurs une loi l'interdisant est en préparation!!!
Louis,
Merci de ta visite et de ce précieux conseil :))
Pas encore lu les commentaires mais j'aime beaucoup la description de l'aventure bucco patissière. Ça donne une bonne idée d'un l'effeuillage sucré réussi !
Ca va mieux ?
Pour le mille-feuille, je prends une assiette et je le mange partie par partie.
Pour la carte vitale, je choisis moi-même ma santé, sans tenir compte des obligations légales (qui changent suivant les circonstances. Dans les années 50, on donnait du vin aux enfants pour leur bien-être !).
Pour les journalistes, j'éteinds !
Je ne disparais pas, je suis un blogueur intermittent, c'est très différent.
Pour les dents, le mieux, c'est d'user de fil dentaire. Y'a que ça de vrai contre la plaque dentaire de toute facon ! :-))
Pour les journaliste, par contre, je n'ai pas de solution...
De biens beaux enervements ! :-)
[Monsieur Poireau, blogueur bucco-dentaire !]
(Petit détail sans importance et hors sujet : la lettre "à" s'encode mal dans ma boite gmail. Elle est remplacée par le code "à". Ce qui fait que le titre du blog "Bouche de là" donne "Bouche de là". J'ai à chaque fois l'impression de lire "bouche de là, grave". Mais non, j'y suis, j'y reste. Je tenais à le dire)
Si quelqu'un comprend quelque chose au commentaire de Balmeyer, qu'il me l'explique car je me fais du souci pour une de nos santés mentales !
cynique-ta-mère,
J'ai trouvé la parade : deveir méchante. J'ai offert un millefeuille à une copine.
Blogueur intermittent ? Addiction en pointillé ? Je t'envie !
Monsieur poireau,
Merci ! Ca me donne une idée. Je vais essayer de couper mon millefeuille avec du fil dentaire.
Balmeyer,
Voilagrave. J'ai remarqué ça aussi dans ma boicirconflexete gmail. Y'a pas agrave dire, c'est pas joli.
Zoridae,
Ne t'inquiète pas, tout va bien ! C'est juste que gmail n'aime pas le nom de mon blog, à cause de l'accent sur le a.
Mon énervement préféré de toi est certes le millefeuille,
parce que c'est le truc qui énerve tout le monde,
mais si insignifiant,
qu'on ne pense même pas à le remarquer.
C'est de l'ordre de l'infra-ordinaire, comme dit Perec (Georges).
Parce que les journalistes incompétents...
Tu tires sur un corbillard, là!
Bon, maitenant c'est à moi de me metre à rédiger...
Pffffff...
Je compatis !
Doudou,
un tag et le voilà tout tourneboulé, il cherche chez l'un, chez l'autre... :)
Héhé... Oui tiens, c'en est où Doudourou ?
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